Écrire…

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« … On dit de la peine qu’elle est une chance, un miracle, une tempête bienvenue dans notre vie. On dit qu’il n’y a point de pensée sans souffrance. On dit aussi, c’est l’accent d’une autre voix, que la plus forte pensée est l’ignorance, le balbutiement. Ignorance absolue de ce qui va advenir sur la page, ignorance de tous les signes noirs ou bleus, ignorance de ce que sera demain dans notre vie : une épopée, un désastre ? Nous n’avons que très peu de mots nous permettant d’énoncer notre vie sans histoire. Des mots de tous les jours récoltés dans la rumeur des rues, sous la poussière des voyages ou dans la chambre du silence. L’écriture serait un papillon, un oiseau dont le vol ne cèderait rien au commentaire, au chahut de la conversation. Plus simplement, l’écriture serait une énigme dont le souffle épouserait la marche. On écrirait presque par magie, à force d’avoir heurté les murs. Après tout cela, l’écriture serait une flèche décochée par l’archet invisible…

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Ce matin, je regarde se lever le monde. Une lumière pâle monte de la terre, de gouffres invisibles, décoiffant les fleurs, les rocs, les herbes et jusqu’aux souvenirs qui battent tambour dans la mémoire…

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La beauté du monde, car il y a une beauté du réel, en particulier de la nature — la beauté du monde nous lance un appel et nous partons alors vers des endroits secrets, déshérités où les grands arbres d’or nous émeuvent, où les oiseaux volent sans inquiétude, où les herbes et les fleurs n’ont jamais vu l’ombre d’un rapt, où les pierres innombrables roulent sous nos pas ou font silence dans le lit des rivières aux eaux si transparentes. Ils ne sont rien, ces endroits là. Ils ne sont évoqués nulle part. Depuis des lustres, ils existent sans références et, sans doute, est-ce pour cela que nous les aimons, que nous aimons nous perdre en leur sein, dans une solitude infinie où le savoir serait un moyen-âge…

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Là, au bord de l’Océan, contre ce monde. Contre ce gris que fait soudainement éclater le rire d’un enfant.

C’est la vie qui commence, se dit l’enfant. Il faut bien un commencement à toute chose, une sorte de ligne de départ, un rivage, une berge d’où se jeter à l’eau. Mais ce commencement n’a-t-il pas déjà le goût de la fin ? Comme l’automne sur la terre, dans ces jours qui s’accumulent en fin d’année, semblables aux dernières lumières de l’été, aux volets que l’on ouvre dans le soir pour, à nouveau, accueillir la chaleur puis la fraîcheur neuve d’un crépuscule. La rouille est sur le seuil mais l’enfant, d’un geste, d’un simple mouvement, efface l’ombre que projette toute naissance, efface les peintures ternies, les troublants malentendus. C’est normal, l’enfant est à sa vie et ne connaît pas d’autre puissance que celle-ci : vivre, s’appuyer comme aucun sur l’instant. Cela est sans doute la plus belle leçon de l’enfance, une leçon qui ne s’enseigne pas. Nous l’emportons avec nous tout au long de notre vie ou bien nous l’avons oubliée quelque part et pour toujours. Mais pourquoi, grandissant, avons-nous assassiné tant d’insouciance ?…

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Oui, on voudrait que les mots rendent gorge, que la vie soit au sommet, la simple vie. Qu’il n’y ait plus ni douleur, ni souffrance. Qu’il n’y ait plus dans notre nuit qu’un immense éclat de rire, infini, vertigineux, plus beau que toute ivresse, plus fou que la folie, que la démence. Mais où est l’azur comblé de paix ?… »

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Extraits de : « La vie nue »  1997  Joël Vernet.

Illustrations : 1/« Le miel du Mont Hymette »  2/« Le Berceau »   Sarah Paxton Ball Dodson  1847-1906.

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Se laisser habiter par le souffle créateur…

BVJ – Plumes d’Anges.

17 commentaires sur “Écrire…”

  1. Poussy dit :

    Ces mots sur l’enfance miraculeuse, sur la beauté du monde, ce miel du Mont Hymette où je me suis trouvée un jour, en novembre et sous la neige et où j’ai touché du doigt l’infini, ces papillons de l’écriture qui s’en délectent, tout cela pour moi ce matin, c’est un ravissement qui m’emporte loin et haut, merci pour ce cadeau Brigitte, oh merci!

  2. michèle dit :

    Etre à la peine est parfois si difficile à vivre que, souvent, cela empêche de voir les beautés du monde qui nous entourent…

    Que cette semaine soit douce à ton coeur Brigitte,
    Joyeuse pensée,
    Michèle

  3. Fiorenza dit :

    Ce texte est tout simplement miraculeux, un cadeau en forme de
    pierre précieuse !

    Merci, chère amie, pour votre constante et subtile générosité !

  4. Anne dit :

    La toute première ligne de ton texte me renvoie à ma lecture du moment : Divine blessure de Jacqueline Kelen; j’aime son approche mais ce texte -ci qui voit les choses différemment, est intéressant. La paix, l’azur, je pense qu’on les vit dans l’amour!!
    Bises!

  5. Magnifique texte !

  6. Adrienne dit :

    je crains d’être trop terre à terre pour apprécier ce genre de texte 😉
    « On écrirait presque par magie, à force d’avoir heurté les murs. Après tout cela, l’écriture serait une flèche décochée par l’archet invisible… »
    pour moi il n’y a pas de magie ni de presque magie à l’acte d’écrire

  7. angedra dit :

    Je pense que chacun trouve son archet invisible…
    L’un peut le trouver magique, l’autre n’y verra qu’un labeur…
    Je préfère voir de la magie un peu en tout ce qui nous comble, nous fascine, nous émerveille. Peut-être mais-je toujours en moi la « leçon de l’enfance ».

  8. Merci Brigitte pour ce beau texte !
    Les phrases sur l’enfance sont si justes …! Nos petits sont dans l’instant présent, totalement.
    J’aime l’attention (et aussi la tension) délicate de la petite fille aux papillons que tu as choisie. Je t’embrasse. Claudie.

  9. Célestine dit :

    J’ai lu et relu.
    Contrairement à mon amie Adrienne, je crois vraiment à la magie de l’écriture. dans le sens de « pouvoir ».
    Un pouvoir comme en possèdent les sorciers et les fées.
    Le pouvoir des mots.
    Et je me promène dans ce texte comme en mon appartement.
    Il me fait du bien.
    Merci Plume
    ¸¸.•*¨*• ☆

  10. Aifelle dit :

    La beauté nous appelle, oui, c’est vrai, mais nous ne sommes pas toujours aptes à l’entendre .. très beau texte qui mérite que l’on y revienne. J’aime beaucoup la deuxième illustration, elle m’emporte ailleurs.

  11. Daniel dit :

    C’est un beau texte, très poétique et c’est vrai que la peine , même si elle fait mal, est une chance. Pour pouvoir connaître le bonheur, il fut aussi avoir connu des peines.

  12. Tania dit :

    La toile aux papillons de Sarah Paxton Ball Dodson a d’abord retenu mon attention par sa délicatesse et cette concentration de la fillette si présente.
    La magie de l’écriture, malgré tout ce qui est douleur et souffrance dans notre vie, est d’être chaque fois un commencement, un accouchement, un élan, un geste qui met la vie en mouvement, sans nous laisser sidérer par elle.
    Bonne après-midi, Brigitte.

  13. gazou dit :

    De beaux extraits..Oui, le beauté du monde nous appelle, sachons la voir et nous en émerveiller

  14. Dominique dit :

    Joël Vernet a beaucoup écrit sur l’orient, le sud, le désert et je l’apprécie
    j’ai un livre un peu magique de lui que je lis quand mon moral est bas, non parce qu’il est gai mais parce qu’il est magnifique : les petites heures je te le recommande
    Il y parle de son village, de la ferme où il a vécu, de son enfance, de l’hiver et des saisons

  15. Colo dit :

    Oh ta première illustration, elle est superbe!
    Quel beau texte aussi, s’il y a un côté magique dans l’écriture, je crois surtout qu’il y a beaucoup de travail, puis l’inspiration, la fantaisie qui ensemble, rendent les écrits sublimes..ou pas:-))
    Bonne journée Brigitte, un beso.

  16. bizak dit :

    L’écriture nous aide à cheminer tout le long de notre parcours quelque soit le temps qu’il fait: qu’il vente, qu’il fasse beau, qu’il pleuve, on continue notre chemin. L’écriture nous ouvre les portes, nous éclaire dans le noir, nous rassérène et ce qui fait notre force: nous comprenons un peu plus les choses de la vie.

  17. christinegio dit :

    Le mot est un sésame qui nous projette à l’Intérieur. Là où il y a la Vie nue. Toute une vie pour revenir à la nudité de la naissance.

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