Abondance…

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« … Son sourire enlève à la glace son opacité, son sourire enlève au monde entier son opacité… Ils se regardent longtemps… Les deux sourires bavardent. Très, très longtemps…

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… Non, je n’ai pas envie d’une piscine. Est-ce que j’ai seulement envie de quelque chose ? J’ai tout. Chaque matin j’ouvre les yeux et je me découvre milliardaire : la vie est là, discrète, bruyante, colorée, petite, immense. Le chaos, les siècles et les étoiles ont bâti cette merveille pour moi, pas que pour moi, bien sûr, mais est-ce ma faute si je sais reconnaître un cadeau, si je ne fais pas grise mine devant ce trésor, est-ce ma faute si je n’ai pas le goût de faire le tri et si tout me vient comme une chance, même les migraines, même cette douleur au gros orteil du pied gauche ? Je n’aurais pas dû entrer dans ce champs pour cueillir des coquelicots. Je le savais pourtant : les coquelicots, il faut les aimer avec les yeux, pas avec les mains. Dans les yeux, ils flambent. Au bout des doigts, ils fanent… Vraiment, j’ai tout. Pourquoi aurais-je envie de quelque chose de plus ? Y a-t-il quelque chose de plus que tout ?…

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… Il a trouvé mieux. Il a trouvé ce qui était sous ses yeux, au réveil, après l’ouverture des fenêtres de sa chambre. Un marronnier. Un marronnier gigantesque, respirant, bourdonnant. Albain a pris son petit déjeuner devant l’arbre. Le petit déjeuner a duré une dizaine d’heures. Mon Dieu, comme cette vie est belle et comme elle est bien faite : en nous, quelque chose a faim. Au-dehors, une quantité infinie de nourriture, plus que de raison.

Albain était arrivé de nuit à l’hôtel. Les arbres dans la nuit sont comme des gens râleurs dans une foule. On ne comprend pas ce qu’ils disent. On ne distingue aucun détail, on passe sans s’attarder. Les arbres dans le noir ressemblent à des enfants boudeurs, peu attachants. Mais dans le jour, quelle splendeur ! Le marronnier devant lequel Albain mange son croissant au beurre est un chef indien, un maître international des échecs, un génie de la musique, un chef-d’œuvre de la littérature. Corpulent, agile, il danse sur place, joue, fredonne, écrit. Ce marronnier est dans le sein de Dieu. Il tutoie les plus grands de la hiérarchie céleste… »

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Extraits de : « Geai » 1998  Christian Bobin.

Tableaux : 1/ »Lac de montagne » Fritz Chwala 1872-1936  2/« Le châtaignier des cent chevaux sur les pentes de l’Etna »  Jean-Pierre Houël 1735-1813.

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Savourer le festin de la nature…

BVJ – Plumes d’Anges.


7 commentaires sur “Abondance…”

  1. Phène dit :

    L’Humble est toujours plus riche du Merveilleux, car il sait chasser tout désir superflu… Belle et douce journée, chère Brigitte

  2. J’adore la phrase sur les coquelicots : d’ailleurs, je l’ai recopiée sur mon cahier de poésie …

    La vie est un cadeau, si on la prend comme tel !

    Bises à Toi, ma grande et merci pour tant de poésie.

  3. Aifelle dit :

    J’ai rencontré Christian Bobin à plusieurs reprises et à chaque fois il a parlé des coquelicots !

  4. solveig dit :

    Cette abondance est la seule qui vaille mais comme il est difficile d’en persuader certains !
    Bises Brigitte.

  5. J’ai reconnu l’auteur de ces lignes par l’amour merveilleux qu’il a de la vie et de ces petits riens qui sont magiques. Une lecture édifiante chaque jour qui m’apporte beaucoup. Merci à vous. Amitiés. Joëlle

  6. naline dit :

    Tiens, voilà un ouvrage de Bobin que je n’ai pas encore lu. Merci pour cette découverte !

  7. Clairvoyance de ce grand Christian Bobin.
    Bonne journée.

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