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« … Un plat du jour et un dessert, un seul service le midi. Le café reste ouvert aux joueurs de cartes et aux verres de l’amitié comme à ceux plus solitaires qui cherchent compagnie.
En peu de temps, le bruit court dans les ruelles et voyage vers les villages voisins :
« Vous avez gouté la matelote de l’Andrée ? Et le ragoût d’agneau ? Peuchère, ses poires au vin, j’y suis retournée deux jours de suite ! »
Andrée a déjà beaucoup cuisiné. Elle a, au fil du temps, compilé les recettes dans plusieurs carnets. Chacune a le goût d’une maison, d’une famille, d’un moment de la vie d’Andrée. Derrière chaque page, un sourire, une larme, un souvenir. Parfois, entre deux feuillets quadrillés, un brin de santoline séchée, un trèfle, une fleur aux teintes passées. Lui reviennent alors, en désordre, les visages, les cours, les odeurs, les feux qui crépitent et le froid qui saisit dans un lit étranger, lorsque, à dix ans, quelqu’un a décidé qu’il serait désormais le vôtre.
Les mots écrits de sa main, maladroite, puis de plus en plus appliquée. Les plats, les desserts comme autant de cailloux sur sa route.
Aux anciennes recettes s’ajoutent celles qu’elle découvre dans le livre offert en cadeau de mariage par Mme Montlahuc : Le livre de cuisine de Mme E. Saint-Ange.
Lourd comme une brique, plus de mille pages, fines, à l’écriture serrée, de planches illustrées, de conseils et de propositions de menus pour chaque saison.
Une bible que j’ai plus consultée que celle conseillée par M. le Curé ! Tu peux me croire mon Ninou !…
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… Jacquie porte autour du cou le cadeau personnel de Mme de Gaulle, un carré Hermès aux tons jaunes et dorés portant différents motifs équestres, harnais, sellettes, ornements d’apparat. Les conseillers de l’Élysée avaient parfaitement étudié les centres d’intérêt de la première dame passionnée d’équitation et excellente cavalière.
Il fut ce soir là, autour de la table, question de cuisine et de vins français. Les frères et sœurs, en partie réunis, avaient tous une anecdote, un souvenir à ce sujet, mais lorsque Jacquie sortit de son sac le menu du dîner de gala à Versailles, le silence se fit pour l’écouter.
« Just a minut, Jacquie, dit alors Ted, please wait… »
Andrée essuie ses mains et se laisse entrainer par son patron vers la salle à manger où les convives la regardent approcher timidement.
« Go ahead, Jacquie. »
Les commentateurs ont souvent souligné la diction aristocratique de l’épouse de Jack, une manière de parler lentement sur un ton doux et mesuré d’une distinction et d’une correction parfaites. La façon idéale pour décliner un menu empreint de poésie française.
Velouté Sultane
Timbales de soles Joinville
Cœur de filet de Charolais renaissance
Chaud-froid de volaille
Salade de romaine à l’estragon
Ronde des fromages
Parfait Viviane
Andrée, bouche bée, se reprend vite pour faire face aux questions des uns et des autres. Jack reconnaît que tout était délicieux, ses soeurs veulent savoir : Sultane, Joinville, Renaissance, pourquoi diable ces français s’obstinent-ils à donner des noms à leurs plats incompréhensibles aux non-initiés.
Alors Andrée explique : « à la sultane » s’applique aux préparations qui contiennent de la pistache. Mariée à du beurre, elle termine parfaitement un velouté de volaille… »
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Cette histoire débute en 1999 dans un cimetière du Vaucluse, là vient d’être inhumée Andrée Imbert.
Enfant abandonnée à la naissance, l’Assistance publique la confie – sous le matricule 18603 – à une première famille d’accueil, puis à une seconde à l’age de 10 ans. Comme le prévoit la loi, elle est placée en tant que bonne dès 13 ans. Plus tard elle épouse Léopold Imbert, veuf père d’un petit garçon, il tient un café de village, ils auront ensemble une fille, Madeleine.
Passionnée de cuisine, Andrée note depuis toujours des recettes sur de précieux carnets, ils la suivront partout. Son mari accepte qu’elle dispose quelques tables dans son établissement, elle y servira du lundi au samedi, à midi, un plat du jour avec dessert. Très vite ses talents culinaires attirent… Mais Andrée voit grand et voit loin, elle a soif d’apprendre, d’explorer d’autres lieux, elle part travailler dans de « grandes » maisons, à Lyon chez les Berliet… sur la côte d’Azur chez les Lumière, chez Albert Camus venu se reposer sur les hauteurs de Grasse, chez les Gallimard, chez Fred et Helen Rogers qui lui proposent de venir à New York… et enfin dans la famille Kennedy.
Incroyable destinée de cette femme qui est restée en relation avec les membres de ses familles, elle a toujours écrit et envoyé de l’argent à sa fille et prenant sa retraite, elle a rejoint les siens dans la Drôme.
Ce récit est très vivant, la vie d’Andrée est racontée par petites touches, l’auteure a un grand sens de la narration, elle s’est bien documentée sur le plan historique, les détails affluent avec légèreté et l’on se passionne au fil des pages pour cette personnalité singulière, la vie ne l’a pas épargnée mais elle en a fait une force, avec un goût du travail bien fait et de la tendresse à partager…
Ce fut un agréable moment de lecture, je vous le garantis.
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Extraits de : « La cuisinière des Kennedy » 2024 Valérie Paturaud.
Illustrations : 1/ « Mettre la table » August Eiebakke 1867-1938
2/ « L’employée de maison » William Mac Gregor Paxton 1869-1941.
3/ « Table fleurie » Jane Nérée-Gautier 1877-1948
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Avoir le goût du travail bien fait…
BVJ – Plumes d’Anges.
Effectivement, un incroyable destin que celui de cette femme qui a su se faire connaître des grands. Quand la tendresse passe par l’estomac, la vie est plus facile. Bises alpines.
Un livre qu’on ne peut littéralement pas lâcher, incroyablement vivant, la vie d’une femme si simple, vraie et aimante qui laisse une trace lumineuse partout où elle va, quel courage il lui a fallu pour se réaliser !!
Je suis si heureuse que tu parles de ce livre formidable qui met dans la lumière la grande vie des êtres !!
Je t’embrasse Bribri jolie
Certaines destinées humaines sont incroyables, presque cinématographiques,
celle d’Andrée en est une illustration : les portes qu’elle a su pousser
se sont ouvertes par une sorte de sainteté laïque basée sur la droiture
et la persévérance, un exemple à méditer !
Tu nous fais souvent entrer dans des histoires et des milieux
bien éloignés de nos vies, chère Brigitte, marquant ainsi nos semaines
d’un éclairage inconnu, un vrai délice pour rester dans l’atmosphère
de ce livre : merci de partager ainsi tes dégustations dont les fumets
nous parviennent si agréablement !
elle a su parler aux gens avec ses talents , elle a su les développer et c’est étonnant, une vie hors norme, une manière de faire découvrir l’univers culinaire ….
ah ce doit être savoureux dans tous les sens du terme
j’aime beaucoup ces destins de femmes mal connus et pourtant si représentatif de la place des femmes
J’adore ton article, je note le titre…….Une destinée un peu à la coco Chanel. A l’époque pas de cellule de soutien psychologique, on n’est pas pris en charge, on SE prend en charge sous peine de ployer sous la destinée.
Brigitte, urgent: Ce livre conviendrait -il à une jeune fille de 16 ans qui aurait tendance à s’enfermer dans son statut de soi- disant victime Est- il facile à lire, sans scène scabreuse ou choquante? Je fais confiance à ton jugement amical. Merci!
Rien que le menu, une manière très poétique de présenter les plats…
Et puis ce destin inimaginable, une vie réussie à force de volonté et de talent!
Un récit de vie bien tentant que tu nous donnes envie de découvrir en effet tant le destin de cette femme est remarquable. Merci pour tes extraits toujours bien choisis et ces superbes illustrations
C’était un beau destin , une belle vie……
Une destinée que je ne connaissais pas, tu me donnes très envie de la lire. Encore une preuve de l’ingéniosité de femmes talentueuses, quel que soit leur bagage scolaire et social. Bonne journée Brigitte bises.
Etonnant et extraordinaire destin de cette femme aux talents culinaires.
Je la découvre et tu nous donnes envie d’en savoir plus.
Je prends note de ce livre.
Bon mois d’octobre Brigitte
Quelle merveilleuse histoire! ça donne vraiment envie de lire le livre 🙂
Chacun(e) a un ou des talents qui sont parfois cachés dans les débuts de la vie. Il importe que le milieu ambiant favorise la découverte de ce qui peut rendre une vie heureuse, au service des autres avec le sentiment d’être vraiment à sa place. Être doué en cuisine n’est pas anodin et peut mener loin.
tout ces mots me mettent en appétit
livre noté sur ma liste à acheter
bon mercredi Brigitte et merci pour ce régal visuel et écrit
Une lecture inattendue & qui met en appétit !
Pour moi il y avait le feston de Babette, il y aura maintenant, le livre et les notes d’Andrée Imbert.
Un sujet qui m’intéresse, la bonne cuisine régionale qui a pris racine.
Mais bien posée, pas bâclée.
Ton tableau l’illustre bien, la lumière se pose éclairante sur la table et les plats préparés.
Et chemin faisant, direction les Amériques, une illustre famille.
Amic@lement. > Yann
Quelle volonté et quel travail, elle a fait jusqu’au bout ce qu’elle aime, un livre comme je les aime. Une vie de femme simple mais…merci aussi pour ces superbes illustrations.
Bonne journée, un beso de vents aujourd’hui.
La volonté se tenait dans le coeur de cette femme qui démontre combien l’être humain peut sortir des pires conditions dès qu’il a une vision de sa destinée, se fixer un but et s’en donner les moyens. Pour elle ce fut la cuisine, quelle merveilleuse association.