Long voyage…

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« … je descends la montagne et je suis à pied, je fais toujours ça pour soulager le dos de mon cheval avant de rentrer. Aru me guette, je ne sais pas comment il fait s’il me guette toute la journée tous les jours que je pars enfin il me repère toujours en premier et là il crie. Ce n’est pas un cri comme un cri c’est de la joie. Ça non plus je n’ai pas les mots pour le dire je le perçois dans ma poitrine et c’est gigantesque et le petit court vers moi il ne court pas vite il est petit. C’est là que c’est bizarre chaque fois ça me fait quelque chose dans le ventre et c’est de l’émotion que je n’arrive pas à retenir, de l’émotion de voir qu’il m’attend et qu’il n’attend que moi et sur son visage le bonheur qu’il y a je ne peux pas l’expliquer c’est immense – mais c’est aussi une sorte de pitié effrayante quand je le regarde cavaler pour me rejoindre, il est tellement petit tellement faible ça me fait peur ça me fait de la tristesse à  me broyer, je me dis qu’il sera tout le temps petit et fragile et pourtant je le sais que ce n’est pas vrai seulement je voudrais le protéger pour toujours.

Alors il y a ces instants terribles et puis Aru est là et il se jette contre mes jambes et d’un coup ça va mieux, comme si maintenant qu’il était avec moi il ne pouvait rien lui arriver. Et je sais que tout ça c’est faux parce que c’est sa mère qui s’occupe de lui et c’est sa mère qui le protège, moi ce n’est qu’une sensation mais elle c’est en vrai chaque jour que Dieu fait. Il y a quelque chose d’injuste dans la course d’Aru vers moi et pourtant je le prends et je le garde et Ava sourit en bas du champ je jure que je devine son sourire. Après je finis le chemin avec le petit bonhomme sur mes épaules. Ce sont les seuls moments où je suis vraiment avec lui, ça ne cherche pas bien loin je m’en rends compte et j’embrasse Ava et on est là tous les trois dans la montagne je crois que je suis heureux…

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… Alors à cet instant je me dis que j’ai le choix. Ça peut rester comme ça toute notre vie Aru et moi, ou bien je peux essayer de réparer quelque chose mais c’est maintenant ce n’est pas demain après ce sera trop tard. (…) C’est dur à venir et j’ai peur que le môme me repousse et si j’étais à sa place c’est sûr que je détesterais l’homme qui se lève et qui s’avance vers moi, c’est ça qui me noue le fond du ventre, s’il a un geste de recul s’il s’échappe. Puis soudain il y a son regard sur moi. Dans ce regard je vois, bon sang ce que je vois ce n’est pas ce que je croyais, pas ce que j’appréhendais. Un élan contenu – je vois la joie qui n’ose pas se dire et c’est pareil quand il court vers moi les jours où je rentre de la chasse et même s’il n’a rien oublié il n’attend que ça, ce que je fais là, et c’est ouvrir les bras pour qu’il s’y jette et il se jette, et mes bras je les referme autour de lui comme si c’était un oiseau blessé on y est…

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… je comprends que notre vie ensemble ça tient à des choses banales comme celle-là, des choses qui ne sont pas aussi anodines qu’elles en ont l’air. Alors je tapote la croupe de Dark pour appeler le gosse. Je lui dis viens là marche pas derrière il y a de la place pour deux. Il s’approche il a le regard tout brillant et l’instant d’après on est botte à botte. C’est drôle il s’est redressé en arrivant à ma hauteur, il a gagné cinq pouces mon môme, je le jurerais, et il n’est plus aussi minuscule que je le pensais… »

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Liam, le narrateur, cabossé par son enfance, quitte la maison familiale à l’age de seize ans et part en dehors du monde vers les montagnes. Il vit de la chasse, tanne et vend des peaux. Un jour il fait la connaissance d’Ava, elle s’installe chez lui, il ne change rien à son quotidien. Plus tard elle lui parle de son désir d’enfant, il refuse mais un jour nait Aru. Il laisse à Ava le soin de s’en occuper, il le regarde de loin, pourtant il perçoit de troublantes émotions en observant ce petit bonhomme, il n’ose se laisser aller au bonheur.

Un soir, en rentrant des forêts, quelque chose n’est pas comme d’habitude, un drame fait basculer sa vie. Liam plonge dans un chaos total, une idée lui vient à l’esprit qui ne peut se réaliser, il lutte contre de vieux démons, des bribes de son enfance remontent, les cicatrices s’ouvrent à nouveau. Au fond de lui une petite étincelle fait son chemin. Aru, petit garçon fragile mais courageux, élevé avec amour par sa mère, attend patiemment, il n’a que cinq ans mais il montre à Liam  une voie d’humanité…

C’est une histoire difficile mais captivante, on ne peut la lâcher, on tourne les pages fébrilement jusqu’à la dernière. Une lecture intense qui nous raconte la naissance d’un père. Le style littéraire est particulier, il n’y a pratiquement pas de virgules dans les longues phrases mais celles-ci coulent comme des rivières…

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Extraits de : « On était des loups »  2022  Sandrine Collette.

Illustrations : 1/ « Tir réussi »  2/ « Jument blanche »  Winslow Homer  1836-1910.

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Chemin d’humanité, chemin d’amour, chemin de paix…

BVJ – Plumes d’Anges.

15 commentaires sur “Long voyage…”

  1. Ulysse dit :

    Merci pour cet extrait d’une émouvante histoire Brigitte …Voir un enfant se précipiter vers soi pour y trouver un réconfort est l’un des plus grands bonheurs de l’existence Beau week end

  2. Anne dit :

    Très beau texte qui dit des choses simples; c’et à ça que nous devons revnir!

  3. thé ache dit :

    un beau livre de Sandrine Colette, prix des Lycéen ce qui montre qu’elle écrit juste, ou l’enfant éveille l’adulte à l’humanité…

  4. angedra dit :

    Merci d’offrir ce texte, beau, si émouvant… ressentir cet amour qui fait vibrer notre corps.
    Je trouve qu’il n’y a rien de plus beau que l’amour innocent et sans limites d’un enfant.
    Belle et douce journée

  5. Dominique dit :

    l’extrait est parfaitement choisi pour nous tenter au maximum, je n’aime pas les polars de l’auteure mais là je crois que je vais me laisser convaincre

  6. Fiorenza dit :

    Dans ce livre que je n’ai pas lu, la nature, notre grande institutrice,
    semble jouer encore les premiers rôles, n’est-ce pas, chère Brigitte ?

    Pourquoi ai-je immédiatement pensé à Sylvain Tesson
    en découvrant l’extrait d’ « On était des loups » ?
    Hormis les sentiments, nous retrouvons ici les grands espaces,
    la géographie, les animaux et surtout…
    le silence, la froidure et la solitude .
    Cette plongée dans des paysages nordiques est en quelque sorte
    une quête d’absolu, d’épure…et cela nous bouleverse !

  7. A lire certainement…. Bon dimanche à vous

  8. Une naissance à la paternité qui semble difficile, une nature assez sauvage, la douceur d’Ava, ce livre parait très tentant. Merci Brigitte , et belle fin de semaine.

  9. Florinette dit :

    De très beaux et émouvants extraits. J’aime beaucoup les peintures que tu as choisies pour accompagner ce livre, surtout celle du cheval. Merci Plumes d’Anges pour cette belle découverte et douce journée, je t’embrasse

  10. eki eder dit :

    merci pour ce partage émouvant, je note le titre du livre
    bon lundi Brigitte

  11. Marie Minoza dit :

    Merci des extraits émouvants… je note le livre…

  12. Poussy dit :

    Beau résumé que tu fais de ce livre si fort Brigitte, c’est un coup de poing dans le cœur qu’on reçoit en le lisant, et un choc d’’humanité à l’état pur!
    Merci de refaire danser les mots de Sandrine Collette et de les offrir à nos petites âmes en demande, merveilleux!!!
    Je t’embrasse, fort.

  13. Aifelle dit :

    Un roman que j’ai lu avec parfois une sensation de malaise (je ne donne pas de détails pour les lecteurs potentiels ..). J’avais abandonné Sandrine Collette, je trouvais ses livres de plus en plus sombres, sans une once d’espoir. Celui-ci a un côté plus positif et il maintient en haleine d’un bout à l’autre. Bonne journée Brigitte, bises.

  14. daniel dit :

    Un beau texte ,plein de sensibilité. Merci d’avoir diffusé ces beaux textes !

  15. Dédé dit :

    Coucou. J’aime bien ces mots: « la naissance d’un père ». Aujourd’hui, tant de pères n’osent toujours pas exprimer leurs sentiments et leurs émotions, pensant qu’en faisant ainsi, ils montrent de la faiblesse. Il y a encore beaucoup de travail pour les convaincre! Je note cette lecture. Les extraits choisis m’emballent par le style d’écriture. Bises alpines et bonne fin de semaine.

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