Univers saturnien…

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« … Montée au refuge  La terrasse d’alpage fut vite traversée et l’on commença d’attaquer la vaste structure composite du flanc de montagne. Ull suivit d’abord un vague sentier qui ne tarda pas à disparaître sous la neige ; tout, à présent, en était recouvert. (Dans les rigoles plates et dans l’intervalle entre des pans de rocher d’inégales hauteurs.) La terrasse ne cessait de plonger vers le bas ; elle se faisait plus lisse encore, absolument lisse. Et voilà que l’éclat du petit jour frappait ce plateau d’une manière étrange : les mille petits cours d’eau (que l’on n’aurait pas remarqués plus bas), la surface des flaques gelées étaient comme des plaques métalliques arrondies par un emporte-pièce multiforme qui se détachaient sur le fond sombre ; certaines de ces plaques, de platine ou d’étain, dont les bords incurvés tissaient des entrelacs d’une incroyable finesse de tranchant, étaient parfaitement mates ; les autres, extraordinairement brillantes, émettaient une lumière intense, sans fluctuation aucune, ni vibration quelconque, sans l’ombre d’une teinte chaude ; leur clarté blanche et vive déchargeait d’un seul coup sa lumière et, tout éclatante qu’elle fût, cette clarté restait d’une dureté impitoyable. Cette continuité, cette infaillibilité sans nuances, était un trait propre aux terrifiants miroirs (qui ne reflétaient rien) et aux parements de métal mat. Que l’on se représente maintenant l’infinité de ces structures – et particulièrement des méandres formés par l’intense ramification des ruisselets – et qu’on les situe tous merveilleusement reliés entre eux sur la tonalité sombre de l’arrière plan – et l’on se sera fait une faible image du somptueux ouvrage de forge que ce plateau, basculant à l’abîme, offrait au regard froid du jour commençant…  »

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Deux hommes, Ull, un alpiniste chevronné et Johann,  un alpiniste qui l’est un peu moins, s’engagent dans l’ascension d’un glacier des Alpes. La météo s’avère mauvaise, les éléments se dressent contre eux, une sourde menace plane. Johann est tétanisé par la peur, il abandonne. Ull continue seul, il sait au fond de lui que c’est une folie mais il s’en va. Face à l’adversité, la personnalité profonde d’un individu se révèle. Une série d’épreuves les attend l’un est l’autre. La fin est…

Je ne vous dévoilerai bien sûr pas le dénouement de cette histoire.

J’ai été émerveillée par la description de la montagne et des situations que peuvent vivre les alpinistes quand tout se ligue contre eux. L’auteur fait preuve d’un tel réalisme, d’un tel sens du détail que l’on peut imaginer qu’il raconte du vécu. Il a, parait-il, écrit et réécrit ce roman plusieurs fois, pour trouver le vocabulaire le plus juste peut être. C’est du grand art, le résultat est à la fois glacial et brillant, on se retrouve vraiment aux côtés de ceux qui ascensionnent , on sent la rudesse des caractères, on vit les évènements, on imagine le roc acéré et cassant, l’atmosphère ténébreuse, l’effort, le froid, l’épuisement…

J’ai buté plusieurs fois sur des mots, l’auteur (ou le traducteur ) voulait-il insister sur la difficulté à avancer dans un tel contexte ? Là est un roman assez fascinant, d’une grande force dont je vous conseille vivement la lecture.

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Extraits de : « Ascension »  Ludwig Hohl  1904-1980.

Illustrations : 1/ et 2/« Crevasses et séracs dans le glacier du Mont Blanc »  Gabriel Loppé  1825-1913.

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Faire parler notre personnalité profonde…

BVJ – Plumes d’Anges.

15 commentaires sur “Univers saturnien…”

  1. Florinette dit :

    Quand, en montagne, je les vois gravir certains flancs de montage très abrupt, cela m’a toujours estomaquée de voir avec quelle détermination ces alpinistes continuent leur ascension comme si rien ne pouvait les détourner de cet appel intérieur qui les pousse à continuer…
    Merci Plumes d’Anges pour ce conseil de lecture si tentant, et doux dimanche, je t’embrasse.

  2. daniel dit :

    Moi, c’est bien simple: j’ai le vertige , une peur viscérale du vide. Je suis paralysé. La montagne ce n’est pas pour moi!

  3. Fiorenza dit :

    Comme la mer, la montagne souvent nous interpelle :
    – Que viens-tu faire ici, étranger ?, comment oses-tu t’approcher ainsi de moi ? 

    « Le tranchant, la dureté impitoyable, les terrifiants miroirs »
    nous entraînent dans un monde dantesque éloigné de tes récits habituels, Brigitte !
    La haute montagne m’effraie et me fascine, moi qui suis née
    presque au ras de la mer…
    C’est un récit à la pointe sèche qui semble mené par Ludwig Hohl
    et les crevasses d’un bleu d’acier de Gabriel Loppé lui répondent
    avec à propos !

    Tes trouvailles, même non suivies par la lecture intégrale, nous bouleversent
    au sens étymologique du terme et pour cela…je te remercie chaleureusement !

  4. Adrienne dit :

    Brr… une lecture rafraîchissante 🙂
    La haute montagne attire et fait peur en même temps
    (enfin, je parle pour moi, il y a sûrement plus intrépide ;-))
    Magnifiques illustrations, comme toujours!

  5. Aifelle dit :

    Je ne connais pas du tout cet auteur. Bel extrait, aux antipodes de ce qui m’attire. Je ne suis pas intrépide physiquement, je n’ai pas de grandes capacités sportives. J’admire ceux qui peuvent le faire, mais en réalité ça me fait surtout peur. Bonne semaine Brigitte, bises.

  6. Marie Minoza dit :

    Toujours très intéressant de suivre tes découvertes de lecture… La montagne me fascine mais je serais bien incapable de suivre les alpinistes….

  7. thé ache dit :

    une escalade qui ne se fera plus, les neiges disparaissent, et cet univers montagnard, les lectures (ces livres) sont autant de trésors….

  8. Anne dit :

    Texte qui semble fascinant, même si cet univers me semble loin….Ceci dit, quand j’ai entamé la trilogie de Stefannson, je ne pensais pas que l’Islande pourrait me fasciner; et pourtant………..

  9. Béa Kimcat dit :

    Vertigineux et rafraichissant.
    Bises du lundi Brigitte

  10. Dominique dit :

    ah comme je suis contente, c’est un grand classique de la littérature allemande et de la littérature d’alpinisme si l’on peut dire ça
    un petit livre court mais oh combien dense et fort, je l’ai dans une jolie édition qui n’existe plus hélas mais il a une place favorite dans ma bibliothèque à coté de Frison Roche, de Paolo Cognetti, du Léopard des neiges et tutti quanti
    c’est bien que te le remettes en avant il trouvera ainsi de nouveaux lecteurs

  11. Splendides photos de glaces et de montagne et une littérature qui donne envie de respirer ! Belle journée à vous.

  12. eki eder dit :

    j’aime beaucoup lire les livres d’aventures donc je note.
    Merci du partage
    bon lundi et semaine Brigitte

  13. Tania dit :

    Voilà un livre qui aurait plu à une personne qui n’est plus ; elle s’enthousiasmait chaque fois que je partais dans les Alpes, ça lui rappelait ce genre de souvenirs certainement.
    Je ne connais pas cet auteur, je vais consulter le catalogue de la bibliothèque. Bravo encore pour les illustrations choisies, Brigitte.

  14. Bonjour Brigitte,
    Si l’on aime la montagne on doit être scotchée à ce livre.
    Je note bien-sûr et je te dis Merci.
    Belle journée à toi.

  15. Ulysse dit :

    Merci Brigitte pour la référence Belle semaine à venir !

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