Terre d’ombre…

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« … Les jambes allongées au soleil, on ne parlait pas vraiment avec Charlie, on échangeait des pensées qui nous couraient dans la tête, sans bien faire attention à ce que l’autre racontait de son côté. Des moments agréables, où on laissait filer le temps en sirotant un café. Lorsqu’il m’a dit qu’il avait dû faire piquer son chien, ça m’a surpris, mais sans plus. C’est toujours un peu triste un clebs qui vieillit mal, mais passé quinze ans, il faut se faire à l’idée qu’un jour ou l’autre il va mourir.

– Tu comprends, je pouvais pas le faire passer pour un brun.

– Ben, un labrador, c’est pas trop sa couleur, mais il avait quoi comme maladie ?

– C’est pas la question, c’était pas un chien brun, c’est tout.

– Mince alors, comme pour les chats, maintenant ?

– Oui, pareil…

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Quelque temps après, c’est moi qui avais appris à Charlie que le Quotidien de la ville ne paraîtrait plus. Il en était resté sur le cul : le journal qu’il ouvrait tous les matins en prenant son café crème !

– Ils ont coulé ? Des grèves, une faillite ?

– Non, non, c’est à la suite de l’affaire des chiens.

– Des bruns ?

– Oui, toujours. Pas un jour sans s’attaquer à cette mesure nationale. Ils allaient jusqu’à remettre en cause les résultats des scientifiques. Les lecteurs ne savaient plus ce qu’il fallait penser, certains même commençaient à cacher leur clébard !

– À trop jouer avec le feu…

– Comme tu dis, le journal a fini par se faire interdire.

– Mince alors, et pour le tiercé ?

– Ben mon vieux, faudra chercher tes tuyaux dans les Nouvelles brunes, il n’y a plus que celui-là. (…)

Après, ça avait été au tour des livres de la bibliothèque, une histoire pas très claire, encore.

Les maisons d’édition qui faisaient partie du même groupe financier que le Quotidien de la ville étaient poursuivies en justice et leurs livres interdits de séjour sur les rayons des bibliothèques… »

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Charlie et le narrateur nous racontent leurs journées bousculées par de nouvelles lois absurdes. Ils ferment les yeux, les acceptent, ils veulent vivre comme « avant » mais se laissent dépasser.

Un tout petit livre – onze pages écrites dans la langue de tous les jours – qui nous parle du danger de la pensée d’un seul, de la montée des totalitarismes, il nous incite à demeurer lucides, il y a toujours de vieux démons qui rodent… Une fois le processus, éternellement insidieux à ses débuts, mis en marche, il est de plus en plus difficile de s’en sortir, le peuple est bâillonné, l’ampleur des dégâts devient considérable.

Dans un pays sage, la voix – la voie – unique ne peut exister. Dans l’ombre permanente, on perd sa liberté de penser, de réfléchir, de créer. En étant soi-même, on apporte sa lumière au monde, ombre et lumière se révélant l’une par rapport à l’autre. Ensemble, nos différences nous aident à nous élever, à libérer les couleurs de la vie et exprimer notre humanité. Il est bon, me semble-t-il, de toujours parler, discuter, exprimer nos ressentis avec bienveillance, quelquefois faire silence…

J’ai vraiment aimé ce texte court et incisif, c’est un cri du cœur lancé en 1998 face à certains évènements, il est et sera toujours d’actualité.

RESTONS VIGILANTS …

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Extraits de :  » Matin brun » 1998  Franck Pavloff  ici en audio-livre, il est bien-sûr publié en version papier aux éditions CHEYNE et en version illustrée chez ALBIN MICHEL.

Œuvre : « Saint Georges et le dragon »  – détail –  Giorgio Barbarelli dit Giorgione  1477-1510.

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Ne pas céder à la tentation de la facilité…

BVJ – Plumes d’Anges.

18 commentaires sur “Terre d’ombre…”

  1. Ce texte redevient affreusement d’actualité…
    Bonne semaine, Brigitte,

    ANNE

  2. Fiorenza dit :

    Giorgione, l’illustre vénitien, dès le thé du matin : quel cadeau, chère Brigitte !

    Pour illustrer le texte, tu nous offres deux extraits du tableau intitulé
    « Il tramonto » ou le coucher du soleil…tout un programme !
    Dans mon esprit un peu béat, je choisis bien sûr l’éclairage de la seconde version .

    Oui, notre liberté d’expression, notre liberté tout court,
    souffre depuis quelques temps, une « tempête » venue du monde dit nouveau  💥
    Comment lutter contre ces obligations de penser, de parler… et même d’écrire ?
    En se référant à notre culture, aux penseurs qui ont toujours lutté,
    en France nous avons Montaigne et surtout…La Boétie que je lis et relis sans me lasser !

    La métaphore du chien utilisée par Franck Pavloff (est-ce le vrai nom de l’auteur 😘?)
    me fait penser au cynisme et à tous les cyniques qui encombrent les médias
    et les sphères dirigeantes de nos pays dits libres …

    Comme Giorgione, continuons à mettre la nature à la place d’honneur :
    paradoxalement, elle nous aide souvent à embellir et surtout à protéger les humains,
    à ne jamais effacer les innombrables « couleurs de la vie » 🎨🎨🎨

    La LIBERTÉ des nuages est la plus belle voie à suivre…je crois 🕊

  3. Anne dit :

    Sûrement un texte incisif car les lois liberticides, la presse liberticide, les obligations vaccinales……..tout cela est d’actualité. Merci de nous faire réfléchir dès le petit matin: soyons vigilants!

  4. thé ache dit :

    il faut toujours garder à l’esprit, que vouloir détruire la pensée, écrite (Fahrenheit 451) et Orwell, que ce soit sur papier, sur écran ou de vive voix reste toujours d’actualité : présent ….

  5. Adrienne dit :

    ah! Matin brun! je l’ai reconnu à la première ligne 🙂
    je l’ai fait lire à mes élèves…

  6. Dédé dit :

    Un texte semble-t-il toujours d’actualité. L’humanité n’apprend jamais de ses erreurs. C’est un peu déprimant. Bonne semaine quand même et bises alpines.

  7. DANIEL dit :

    Il faut rester vigilant lucide. Ne pas se laisser embarquer par tous les délirs médiatiques qui fleurissent un peu partout,notamment sur les réseaux sociaux……Vivre simplment ,en étant responsable. Bonne semaine, Brigitte !

  8. Je l’ai acheté en 98, l’ai fait lire à mes enfants et offert une quinzaine de fois (prix si léger pour un texte essentiel).
    Suite à ton article, je vais le ressortir pour mes Loulous.
    Merci Brigitte, il est tellement d’actualité.

  9. Comme tous les grands textes, Matin brun ne cessera d’être lu et de résonner en nous. J’en ai offert beaucoup à l’époque, je me souviens. Il faudrait continuer, certainement.

  10. Aifelle dit :

    « Matin brun » n’a jamais cessé d’être dans l’actualité depuis sa parution, hélas. Il faut rester très vigilant en effet et même de plus en plus.

  11. Dominique dit :

    je te suis à 100% voilà un livre à lire, faire lire, offrir, distribuer
    le genre de livre qui donne le ton juste, qui est là pour nous rappeler que rien n’est jamais acquis, que notre liberté de pensée peut à tout moment être remise en cause
    c’est là la place absolue de la littérature, nous alerter, nous faire réfléchir et rendre le texte d’alerte accessible est aussi un tour de force et à mettre au crédit de l’auteur
    merci de l’avoir remis ici pour nous

  12. eki eder dit :

    rien n’est permanent et c’est important de se le rappeler.
    Je note le titre de ce livre.
    Merci du partage.
    J’ai fait une caresse à Billy.
    Belle journée Brigitte.

  13. Tania dit :

    Un excellent petit livre qui n’a rien perdu de sa force, merci de le rappeler, Brigitte.

  14. angedra dit :

    Gardons notre liberté de penser tout en veillant à ne pas perdre notre liberté tout simplement.

  15. gazou dit :

    un livre à lire et à relire et à faire connaître

  16. Marie Minoza dit :

    Sachons garder notre vraie liberté, celle qui nous fait vivre en dehors des modes et des médias

  17. Ulysse dit :

    Brigitte sur les sentiers de montagnes personne ne me dit quoi faire ou penser !Bon week end

  18. Florinette dit :

    C’est fou, car ce petit livre reflète complètement ce qui se passe aujourd’hui ! Nous perdons petit à petit notre liberté pour soi-disant retrouver le monde d’avant, un monde où l’on ne respecte pas la nature, un monde où beaucoup de personnes prennent des anxiolytiques, un monde où les riches deviennent encore plus riches… Personnellement, je préfère m’engager vers ce monde d’après, vers cette nouvelle humanité qui est en train d’émerger. Beau dimanche Plumes d’Anges, je t’embrasse

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