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« … Le mariage eut lieu quelques semaines plus tard. Don Salvatore bénit leur union. Puis Elia convia tous les invités au trabucco pour un grand festin. Michele, le fils de Raffaele, avait dressé une longue table au milieu des filets et des poulies. Toute la famille était là. La fête était simple et joyeuse. Les victuailles en abondance. À la fin du repas, Donato se leva, calme et souriant, demanda le silence et se mit à parler :
« Mon frère, dit-il, tu t’es marié aujourd’hui. Je te regarde, là, dans ton costume. Tu te penches sur le cou de ta femme pour lui murmurer quelque chose. Je te regarde lever ton verre à la santé des invités et je te trouve beau. Tu as la beauté simple de la joie. Je voudrais demander à la vie de vous laisser tels que vous êtes là, intacts, jeunes, pleins de désirs et de forces. Que vous traversiez les ans sans bouger. Que la vie n’ait pour vous aucune des grimaces qu’elle connaît. Je vous regarde aujourd’hui. Je vous contemple avec soif. Et lorsque les temps se feront durs, lorsque je pleurerai sur mon sort, lorsque j’insulterai la vie qui est une chienne, je me souviendrai de ces instants, de vos visages illuminés par la joie et je me dirai : N’insulte pas la vie, ne maudis pas le sort, souviens-toi d’Elia et de Maria qui furent heureux, un jour au moins, dans leur vie, et ce jour tu étais à leurs côtés. »…
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… « Les générations se succèdent, don Salvatore. Et quel sens cela a-t-il au bout du compte ? Est-ce qu’à la fin, nous arrivons à quelque chose ? Regardez ma famille. Les Scorta. Chacun s’est battu à sa manière. Et chacun, à sa manière, a réussi à se surpasser. Pour arriver à quoi ? À moi ? Suis-je vraiment meilleur que ne le furent mes oncles ? Non. Alors à quoi ont servi leurs efforts ? À rien. Don Salvatore. À rien. C’est à pleurer de se dire cela.
– Oui, répondit don Salvatore, les générations se succèdent. Il faut juste faire de son mieux, puis passer le relais et laisser sa place. »
Elia marqua un temps de silence. Il aimait, chez le curé, cette façon de ne pas tenter de simplifier les problèmes ou de leur donner un aspect positif. Beaucoup de gens d’Église ont ce défaut. Ils vendent à leurs ouailles le paradis, ce qui les pousse à des discours niais de réconfort bon marché. Don Salvatore, non. À croire que sa foi ne lui était d’aucun réconfort.
» Je me demandais justement, reprit le curé, avant que tu n’arrives, Elia, qu’est devenu ce village. C’est le même problème. À une autre échelle. Dis-moi, qu’est devenu Montepuccio ?
– Un sac d’argent sur un tas de cailloux, dit amèrement Elia.
– Oui. L’argent les a rendu fous. Le désir d’en avoir. La peur d’en manquer. L’argent est leur seule obsession.
– Peut-être, ajouta Elia, mais il faut reconnaître que les Montepucciens ne crèvent plus de faim. Les enfants n’ont plus la malaria et toutes les maisons ont l’eau courante.
– Oui, dit don Salvatore. Nous nous sommes enrichis, mais qui mesurera un jour l’appauvrissement qui est allé de pair avec cette évolution ? La vie du village est pauvre. Ces crétins ne s’en sont même pas aperçus… »
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Extraits de : « Le soleil des Scorta » 2004 Laurent Gaudé.
Illustrations : 1/« Paysage italien » Henryk Siemiradzki 1843-1902 2/« Coquillage » Odilon Redon 1840-1916.
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Choisir avec le coeur…
BVJ – Plumes d’Anges.
Une très belle lecture dans mon petit matin calme …des lignes qui nous ramènent à l’ essentiel…:-)
Que ta journée soit belle Brigitte
Beaucoup pense que les vraies richesses sont des biens matériels…..Mais la richesse est ailleurs ….
« Il faut juste faire de son mieux » : paroles de sagesse et bienfaisantes, merci Brigitte.
quel livre magnifique
en lisant le titre de ton billet j’ai souri car c’est un titre de Giono que j’aime beaucoup
Je n’ai pas lu Laurent Gaudé, il écrit magnifiquement bien dans cet extrait. Et les tableaux d’Odilon Redon me touchent toujours autant. Bon week-end Brigitte 🙂
j’ai beaucoup aimé ce livre!
j’aime encore le discours du frère 🙂
Bonjour Brigitte, je ne connais pas l’auteur mais l’extrait m’enchante, tant pour le style que pour le fond. Je vais le chercher…
Ah les vraies richesses…de tout temps elles se trouvent ailleurs que dans l’argent.
Bon week-end, bisous.
S’entendre dire ces mots le jour de son mariage et la force qu’ils donnent pour toujours…..
Si beaux extraits de ce livre, si beaux extraits.
On me l’avait prêté et je ne l’ai pas lu, ça m’ennuie d’être passée à côté de cette puissance, alors merci Bribri de mon coeur.
Magistral Laurent Gaudé.
J’aime beaucoup la plume de cet auteur !
Merci pour ce bel extrait et beau dimanche Plumes d’Anges, je t’embrasse.
Oui il faut juste faire de son mieux et ne s’occuper que des vrais richesses …
Tout n’est pas dans la richesse matérielle comme le disait Daniel, ce sont les cœurs qui devraient s’ouvrirent aussi, sinon on perd notre âme. Bise Brigitte
Merci pour cette leçon de vue et de vie….J’aime aussi les tableaux que tu as choisi. Je ne les ai pas vus et ne connais pas Henryk Simiradzki. Je vair lire sur lui. Merci. Bises.
(j’ai change l’adresse de mon blog, celle notée ici est la bonne)
J’oubliais: peux-tu aussi corriger mon adresse dans tes liens ? Merci!
Ah, l’éternelle histoire du Veau d’Or… Mais ici et maintenant, on est une belle bande de crétins… en France.
Re-bises
Lors de notre périple en Sicile (si belle), nous avons trouvé le chemin pour Corleone. Et là, nous avons pu vérifier, qu’en cet endroit là, la femme se « devait » d’être à une place (à la maison) et surtout pas assise à une terrasse de café. Et nous, nous étions trois, trois femmes : une dame « âgée » et deux femmes dans la force de l’âge… Nous avons pu ressentir les regards interrogateurs de tous les mâles attablés aux terrasses des cafés.
Et ma foi, ce fut « jouissif » !
Les mots sont beaux sur le temps du bonheur.