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« … Je me souvenais du pays berbère, dans les montagnes de l’Atlas. Les hommes, là-bas, du temps où ils se repliaient dans les hauteurs, forcés par les Arabes, avaient forgé une somptueuse expression pour distinguer les nomades des sédentaires. Les premiers étaient appelés « hommes de la lumière ». Peau cuite de soleil, cuir durci par le vent, ils dormaient sous le ciel. Les seconds étaient les « hommes de l’ombre » car ils demeuraient à l’abri de leur toit et leurs mauvais rêves ne s’échappaient jamais de la maison. Mes nuits sous la jupe des arbres étaient des nuits du soleil…
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… Il était criminel de croire que les choses duraient. Les matinées de printemps étaient des feux de paille. Voilà longtemps que je ne m’étais pas trouvé exactement tel que je le désirais : en mouvement. Je jouissais de me tenir debout dans la campagne et d’avancer sur ces chemins choisis. Noirs, lumineux, éclaircis. C’était la noble leçon de Mme Blixen devant le paysage de sa ferme africaine : « Je suis bien là, où je me dois d’être. » C’était la question cruciale de la vie. La plus simple et la plus négligée…
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… Il était difficile de faire de soi-même un monastère mais une fois soulevée la trappe de la crypte intérieure, le séjour était fort vivable. Je me passionnais pour toutes les expériences humaines du repli. Les hommes qui se jetaient dans le monde avec l’intention de le changer me subjuguaient, certes, mais quelque chose me retenait : ils finissaient toujours par manifester une satisfaction d’eux-mêmes. Ils faisaient des discours, ils bâtissaient des théories, ils entraînaient les foules : ils choisissaient les chemins de lumière. Quitte à considérer la vie comme un escalier, je préférais les gardiens de phare qui raclaient les marches à pas lents pour regagner leurs tourelles aux danseuses de revue qui les descendaient dans des explosions de plumes afin de moissonner les acclamations…
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… Je retardais mes compagnons à trop contempler les murets. L’art de la marqueterie bocagère avait atteint ici un haut degré d’accomplissement. La pierre accueillait la mousse. La mousse arrondissait les angles et protégeait des sociétés de bêtes. Oh ! comme il eût été salvateur d’opposer une « théorie politique du bocage » aux convulsions du monde. On se serait inspiré du génie de la haie. Elle séparait sans emmurer, délimitait sans opacifier, protégeait sans repousser. L’air y passait, l’oiseau y nichait, le fruit y poussait. On pouvait la franchir mais elle arrêtait le glissement de terrain. À son ombre fleurissait la vie, dans ses entrelacs prospéraient des mondes, derrière sa dentelle se déployaient les parcelles. La méduse du récent globalisme absorbait les bocages. Ce remembrement du théâtre mondial annonçait des temps nouveaux. Ils seraient peut-être heureux mais n’en donnaient pas l’impression. Qui savait si les nouvelles savanes planétaires allaient produire d’heureux forums ou des champs de bataille ?… »
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Extraits de : « Sur les chemins noirs » 2016 Sylvain Tesson.
Illustrations : 1/« Chapelle de montagne » 2/« Le roi de la clôture » Matthäus Schiestl 1869-1939.
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Marcher pour se retrouver…
BVJ – Plumes d’Anges.
Comme toujours Sylvain Tesson écrit merveilleusement bien. Je préfère le chemins de traverse aux autoroutes. C’est moins balisé. Belle journée à toi.
Bonjour Brigitte ,
« Oh ! comme il eût été salvateur d’opposer une « théorie politique du bocage » aux convulsions du monde. »
Je verrais bien « une théorie poétique du bocage » …
Merci pour ces morceaux choisis .
Ma seule lecture de l’auteur à ce jour ; tu as très bien choisi les extraits 🙂 Bises Brigitte et bonne journée.
Merci Isadova de ton passage ici et de tes mots déposés… Je n’arrive plus à laisser un comm. chez toi, quelque chose a changé, j’espère que tu pourras intervenir pour que tout se remette en bonne forme. À bientôt.
Tant de finesse dans ces écrits ! Les chemins de traverses sont tellement plus riches et formateurs que les nationales ! Douce journée. Bises. Joëlle
Le passage sur les escaliers est fabuleux.
Mais tout le texte est magnifique. Quelle écriture…
Merci Plume, pour ce beau partage.
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Quels beaux extraits empreints d’une grande intériorité positive: » ll était difficile de faire de soi-même un monastère mais une fois soulevée la trappe de la crypte intérieure, le séjour était fort vivable »..merci Brigitte, un beso.
Hommes de la lumière et hommes de l’ombre, je retiendrai cette distinction.
Merci pour ces beaux passages, Brigitte, je viens de lire « Berezina » et je retrouverai avec plaisir la plume de Sylvain Tesson.
Quelle belle littérature Brigitte !
» L’art de la marqueterie bocagère » et la richesse de ces mots choisis m’ont émue !
Merci de nous gâter si souvent de textes essentiels et toujours si justement illustrés. Bises à toi. Claudie.
Des extraits très bien choisis malgré tout j’ai trouvé le livre un rien trop noir comme celui d’un homme qui certes tente de se reconstruire mais a encore bien du chemin à parcourir
Tu me fais faire une découverte et cela est important dans une journée.
C’est si beau, merci pour qui tu sais, pour la marche vers soi, vers la splendeur de qui on est.
Je t’embrasse Brigitte.
Ça vient de moi ? Je trouve que ton billet est écrit tout petit et j’ai du mal à lire (un changement de lunettes s’impose sans doute). En tout cas, ce livre, je l’avais repéré et je vais attendre qu’il arrive à la médiathèque pour l’emprunter. Et comme d’habitude, j’adore tes choix d’illustrations !
Ste Zita ou Kim Khardashian ?
Les deux sont lumière pourtant.
Des bisous de lichen.