Jardins de mots…

.

.

« … Accomplir un acte remarquable, vaut mieux que d’être remarqué…

.

… C’est l’imagination qui singularise, l’imagination qui arrache à la banalité, à la répétition, à l’uniformité… Parfois le sort cogne de manière si abrupte qu’il suffit d’une pointe de fantaisie pour l’attendrir…

.

… Dès l’adolescence, Wang s’enthousiasma pour les plus splendides jardins de Chine, ceux qui sont consignés dans notre littérature. À force de lire et de relire les textes, il les connaissait intimement, ces jardins qui avaient fané depuis des siècles, voire des millénaires ; par la pensée, il musardait en leurs allées, il savourait leurs parfums, il cajolait les pétales, il admirait l’épanouissement successif des arbustes, le jaunissement des feuilles, la tristesse de l’hiver… Il a révolutionné l’art horticole en proposant aux gens des jardins imaginaires. En fonction de leurs goûts – pivoines, camélias, lotus ou fleurs de prunier -, des saisons qu’ils chérissent, Wang leur conçoit le parc idéal. Pour une somme correcte, à l’issue d’une longue préparation, il leur raconte sa disposition, ses dominantes colorées, ses étagements d’éclosions, ses diverses perspectives, le chant des oiseaux, le miroitement des eaux vives, la tranquillité de l’étang où reposent les nénuphars, le déplacement des ombres, les dorures du crépuscule, les masses argentées sous la lune ; et, pour quelques yuans de plus, il couche le résultat par écrit.

– Un jardin de mots…

– Quel trait de génie ! Wang, constatant que les sublimes jardins du passé ont disparu et ne subsistent que par les textes, a décidé de franchir une étape : il saute instantanément au texte. Pourquoi un jardin devrait-il être réel ? Surtout que sa réalité dure peu tandis que son souvenir se perpétue. Grâce à Wang, un indigent peut posséder un terrain à son goût. À celui qui loge dans un endroit étriqué, Wang fournit un domaine gigantesque. À celle qui souffre d’une allergie au pollen, Wang rend des printemps sans danger. Au vieillard qui ne marche plus, Wang restitue des promenades infinies sous les cerisiers poudrés. Et puis, quelle diminution de frais : nul sol, aucun achat de plantes, chaque réalisation est conservée et embellie par une armée d’ouvriers qui ne coûtent rien ! Aux snobs qui dédaignent le décor traditionnel, Wang, parce qu’il a beaucoup lu et étudié, procure un jardin anglais, un jardin français, un jardin italien – même si, entre nous, rien ne surpasse un jardin chinois… »

.


Extraits de : « Les dix enfants que madame Ming n’a jamais eus » 2012  Eric-Emmanuel Schmitt.

Illustrations : 1/« Le jardin chinois » (détail) François Boucher 1703-1770 2/« Jardin de Eaton Hall » dans « Les jardins d’Angleterre »  E.Adveno Brooke XIXème.

…..

Cultiver notre bienheureuse imagination…

BVJ – Plumes d’Anges.

4 commentaires sur “Jardins de mots…”

  1. Dominique dit :

    J’aime énormément ce premier tableau de Boucher, il a une allure exotique qui fait penser à Paul et Virginie

    il faut je crois que je révise mon avis sur Eric-Emmanuel Schmitt que je ne goûte guère, mais ce texte là me plait bien

  2. Aifelle dit :

    Je me fais la même réflexion que Dominique sur E.E. Schmitt, dont je me fais une idée plutôt mièvre et gentillette 😉

  3. j’ai lu ce livre comme presque tous ceux qu’il a écrit
    j’aime beaucoup, mon préféré reste l’enfant de noé

  4. Poussy dit :

    D’abord, merci Mr Wang parce qu’un jardin de mots, c’est le paradis!

    J’ai moi aussi un jardin idéal au fond de moi et il est justement rempli d’un millier de mots qui volent comme des papillons, se posent près des fleurs et des herbes quand elles parlent avec les âmes…
    Il a la forme de mon inconscient, je le crée, je le cultive,il change sans arrêt, reconstruit mes pensées, j’y suis libre!

    Et puis merci à toi Brigitte et à ton copain Eric-Emmanuel, pour ce petit tour au jardin, le plus beau qui soit…

Laisser une réponse

*