Lucarnes…

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« …À l’heure où j’écris, en repensant à tout ce qui me passait par la tête, parfois, pendant ces jours de solitude, je médite sur le mystère de la vie et sur ce que nous en savons. Du regard, je fais le tour de cette immensité. Je me dis que la terre est un astre. Et qu’en ce moment même, je peux contempler un fragment de cet astre. . Et moi, je suis un point sur cet astre qui doit étinceler de loin comme toutes les autres étincelles d’argent scintillant dans le ciel.  Il peut même devenir étoile filante et aller s’enfouir dans quelque coquillage, comme le dit Angela, devenir un minuscule caillou blanc, pas plus gros qu’un gravier. Qui peut, en vérité, discerner ce qu’il y a de vrai dans ce que nous appelons, grand, petit… qui peut savoir lequel est juste ? Pourtant, en cet instant, je suis sur une miette du ciel. Je suis un rien, un rien microscopique, insignifiant, en train d’admirer cette miette, d’être pris de vertige devant cette goutte d’eau que j’appelle mer, océan… Ainsi, sur cet astre infinitésimal, simple particule dans la poussière des astres se trouve un autre particule, ma seigneurie, abîmée en de profondes cogitations sur des choses qu’elle ne peut comprendre…

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Je l’écoutais et la légende prenait racine en moi, profondément, sans qu’il me vienne une seconde à l’esprit qu’elle pût plaisanter ou se moquer de moi. Ce qu’elle me racontait était si merveilleux que cela n’avait nul besoin d’être également logique. Et puis, après tout, qui croit sérieusement  que nous sommes vraiment ce que nous semblons être ? Car s’il fallait en croire notre logique, l’infiniment petit et l’infiniment grand ne devraient pas exister non plus. Qui peut nous certifier que nous faisons bien partie de ce monde, que nous ne sommes pas le produit de l’imagination de quelque artisan fou et puissant, façonnant avec ses chimères une œuvre encore invisible ?…

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Le gouvernail creusait son sillage dans l’eau, faisant à sa surface de petits tourbillons qui semblaient vouloir se visser jusqu’à ce qu’ils se remplissent d’eau et s’évanouissent. Tant de choses se passent, même dans le plus lointain désert ! Il suffit que l’œil humain sache observer le monde jusqu’au plus profond de son cœur pour qu’alors l’homme se sente lié à ce qui l’entoure, qu’il devienne vent avec le vent, prairie avec la prairie, onde avec la mer, qu’il se promène avec le nuage et regarde d’en haut son ombre projetée sur la terre. Ces petits tourbillons d’eau, ces petits cônes sont autant de lucarnes s’entrouvrant pour vous permettre de regarder jusqu’au fond des abysses. Bien sûr, on ne voit jamais jusqu’au fond des abysses mais cela n’a pas d’importance car il suffit de s’être ainsi penché sur les profondeurs de la mer pour que votre âme rêve aux précipices du monde sous-marin, aux algues, aux hippocampes, aux méduses. Des myriades de splendeurs surgissent dans votre esprit vous donnant l’illusion d’avoir détaillé cet univers aux visages innombrables… »

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Extraits d’une splendide histoire, préfacée par Jacques Lacarrière, histoire puissante  qui nous emmène loin, dans un monde où rêve et réalité se mêlent et où l’homme est confronté à ses démons intérieurs:

« Une jeune fille nue »  Nikos Athanassiadis
1904-1990.

Illustrations : 1/ « Falaise dans la mer Égée »  3/ « Champ de bataille de Marathon »   Carl Rottmann  1797-1850  2/ « Étude de sirènes »  Henry Luyten  1859-1945.

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Dominer nos démons…

BVJ – Plumes d’Anges.

6 commentaires sur “Lucarnes…”

  1. Fiorenza dit :

    « Le silence éternel de ces espaces infinis m’effraie » écrivait Pascal !

    L’écrivain que tu nous fais découvrir, Brigitte, a probablement dû s’inspirer
    de cette Pensée : plus que d’effroi, je parlerais plutôt d’impression dans le sens
    « impressionné »…

    Oui, tout l’univers nous fascine, nous émeut, nous questionne,
    mais, partout où la vie nous mène, pourquoi ne pas nous contenter d’ADMIRER ?

    P.S : merci de nous évoquer l’irremplaçable Jacques Laccarière,
    ses livres continuent à se distinguer par leur style et leur légèreté…profonde !

    En toute amitié !

  2. Dominique dit :

    un texte tout à fait fascinant et comme d’habitude de belles illustrations

  3. Adrienne dit :

    tu as trouvé chez Carl Rottman exactement les tableaux juste assez inquiétants pour illustrer ton texte 😉

  4. Colo dit :

    Rien que cette phrase:  » Il suffit que l’œil humain sache observer le monde jusqu’au plus profond de son cœur pour qu’alors l’homme se sente lié à ce qui l’entoure, qu’il devienne vent avec le vent, prairie avec la prairie, onde avec la mer, qu’il se promène avec le nuage et regarde d’en haut son ombre projetée sur la terre. », et me voilà à noter le titre, merci Brigitte.
    Amicalement

  5. les Caphys dit :

    des questions qu’on se pose « éternellement » même si l’éternité n’existe sûrement pas

  6. ulysse dit :

    Merci Brigitte pour ces magnifiques extraits d’un livre que l’on a envie de lire et que vous avez su superbement illustrer

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