S’envoler…

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« … L’oiseau en vol donne une puissante image de liberté, mais cette liberté, il devait la conquérir au prix d’efforts terribles.

Marta Arguerich, quand elle joue Chopin, donne elle-aussi une puissante image de liberté. Son visage amusé semble le confirmer. Faut-il rappeler les années de pratique ingrate dont elle a eu besoin pour atteindre ce niveau ?

Chaque année, au moment de leur apprendre à voler, les parents oiseaux perdent une proportion considérable d’oisillons. L’envol demeure un enjeu capital qui s’acquiert au prix de la vie. Encore faut-il l’entretenir une fois qu’il est obtenu. Pas question de s’octroyer un jour sans voler. La musculature nécessitée par cette activité demande un entraînement intensif où l’on ne peut se permettre aucun relâchement…

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… Découvrir les oiseaux, ce fut découvrir la sidération.

C’était tellement puissant qu’il m’est toujours aussi difficile d’exprimer ce trouble par le langage. Il y a des millions d’années, un dinosaure a conçu le désir délirant de voler. Ce pachyderme a mis en place un processus de dément dans le but d’accomplir un rêve improbable. (…) Mesure-t-on ce qu’il faut d’idéal, de candeur, de courage, de longanimité et de fulgurance pour se lancer dans une aventure pareille ? Il me semble qu’à ce moment-là, il m’a brusquement été donné d’entrevoir la grandeur de cette décision.

Depuis l’apparition du dinosaure jusqu’à celle du premier dinosaure volant, que l’on appelle archéoptéryx, s’écoulèrent quatre vingts millions d’années. Une telle durée nous écrase. Entrevoir une patience aussi sublime, c’est soupçonner le principe moteur de l’univers. Ce qui permet de tabler sur un infini pareil, c’est le désir…

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… « Cultive l’oiseau en toi, décidai-je. On verra où cela te mènera. »…

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… Mon chant serait écriture. Comme l’alouette, je chanterais au moment de voler. Plus précisément, mon vol serait ma musique. Mélodie ténue, peut-être audible de moi seule, musique de survie cependant.

L’immense majorité des peuples ont identifié l’oiseau au psychopompe. Cela semble évident : qui peut effectuer le voyage le plus radical sinon celui qui vole ? Et quand on désigne un psychopompe humain, c’est Orphée, le poète, celui qui chante – l’autre attribut de l’oiseau… »

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Un roman où tout n’est que métaphores. Il semble avoir la légèreté d’un oiseau tant il est pudique et poétique mais sa profondeur est évidente.

Amélie Nothomb porte son regard sur la passé, sur la rencontre avec différentes cultures au gré des affectations successives d’un père diplomate.

Suite à un évènement dramatique vécu à l’adolescence et une traversée douloureuse de l’existence, petit à petit, à force de volonté, grâce à l’écriture et ses amours aviaires, son âme a enfin pu « réintégrer » son corps, il aura fallu dix années.  L’auteure se métamorphose elle-même en oiseau tout au long de cette nécessaire migration intérieure. Au fil du temps, elle affine sa plume dans un lent travail d’épuration de l’écriture. La vie, la mort, balancier incessant… la vie est à traverser, l’Homme y laisse des plumes pour prendre son envol mais il est accompagné, l’oiseau psychopompe veille.

« Écrire, c’est voler. » dit-elle.

Cette lecture m’a beaucoup touchée, j’y ai senti l’intelligence et l’érudition de l’auteure, sa sensibilité, sa passion des oiseaux et du Japon depuis sa plus tendre enfance. Elle parle avec délicatesse des cycles de la vie et montre un chemin de reconstruction…

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Extraits de : « Psychopompe »  2023  Amélie Nothomb.

Illustrations : 1/ « Loriot à tête noire »  2/ « Étourneau brahmanique, chenille, cocon et papillons sur un jujubier »  3/ « Grue Antigone »  Sheikh Ain ud-Din  (élève de Lady Impey)  XVIIIème.

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Ramager avec ferveur…

BVJ – Plumes d’Anges.

18 commentaires sur “S’envoler…”

  1. IL était déjà sur ma liste d’envies mais tu me donnes encore plus envie de lire ce livre. Plus les années passent, plus j’ai d’estime pour Amélie Nothomb…
    Bon début de semaine, chère Brigitte.

  2. Fiorenza dit :

    N’étant pas familière des livres de la « star aux chapeaux »…
    qui séduit ma fille à chaque publication, j’avoue que j’ai probablement tort
    car les lignes ci-dessus m’ouvrent un horizon très engageant !
    Les oiseaux, il est vrai, nous entraînent dans leurs danses effrénées,
    nous les suivons des yeux et nous voilà, nous aussi,
    en route vers l’aventure 🌟

    Bravo, chère Brigitte, tes trouvailles nous forcent à « voler » chaque jour
    comme le somptueux loriot aux couleurs de soleil
    dont j’aimerais tant recevoir la visite 💛

    Avec mes chaleureuses pensées pour compenser les frimas de la saison !

  3. Adrienne dit :

    entièrement d’accord 🙂

  4. Thé âche dit :

    les oiseaux nous ont toujours inspiré, ils ont toujours été dans les panthéons, de nos jours ils restent des modèles… mais notre anthropocène les détruit… les chanter et chanter avec eux…

  5. Dominique dit :

    alors que je n’aime pas l’auteure en général tu me donnes envie de la lire là, miracle des blogs !!!

  6. manou dit :

    Je la lis de temps en temps et comme par hasard j’ai réservé ce titre à la médiathèque mais vu la liste en attente je vais devoir user de patience…Merci pour cet extrait qui me plait et me conforte dans l’idée que cette année je dois le lire. Le contenu me touche aussi. Merci pour ce partage

  7. Aifelle dit :

    Je ne lis pas les romans d’Amélie Nothomb, par contre j’ai lu tous ses écrits autobiographiques. Je la trouve très intéressante, sincère, curieuse, avec des pensées originales qui me touchent. J’emprunterai celui-ci dès qu’il sera disponible à la bibliothèque. Bises Brigitte.

  8. Colo dit :

    Les extraits choisis par toi donnent grande envie de lire cet opus.
    Sur la porte de ma classe de français pour étrangers j’avais mis un écriteau qui disait « Tout est difficile avant d’être facile ».
    Ton billet va dans ce sens, merci aussi pour les superbes illustrations!
    Bonne semaine, un beso

  9. Cathie Flore dit :

    J’aime beaucoup les oiseaux. Pour Amélie Nothomb, je mets quelques bémols. J’ai lu que ce récit autobiographique décevait certain(e)s. Compliqué à lire, trop métaphorique, etc.

  10. Anne G dit :

    Ah je n’ai pas lu celui- là de Nothomb…Mais pour moi, oui, créer c’est voler. D’ailleurs en ce jour, sur instagram, je publie des danseurs tout en fil, la grâce, la légèreté qui nous transporte: « nos ailes de géant nous empêchent de marcher ». La gravité du monde nous entraîne, nous plombe. Merci Brigitte pour ce billet et ce qu’on devine de toi, de nous, de notre aspiration derrière Amélie N. Car, sais- tu, le matin, la danse des oiseaux dehors, devant les mangeoires est ce qui me ravit le plus et me donne des ailes pour aller encore et encore…

  11. Béa Kimcat dit :

    Une très belle page !
    C’est si beau un oiseau en liberté qui s’envole…
    Bises et bonne soirée Brigitte

  12. Dédé dit :

    Et bien… cela me redonnerait presque envie de lire ce livre. J’ai arrêté de lire Amélie Nothomb depuis plusieurs années car je trouve que sa production littéraire est en dents de scie. Mais là, c’est délicat. Bises alpines.

  13. Tania dit :

    Je la lis peu, mais ce beau billet pourrait bien m’amener à ouvrir ce livre. Merci, Brigitte.

  14. daniel dit :

    J’aime bien ce texte, un peu moins Amélie Notomb.

  15. Bonjour Brigitte,
    Je ne suis pas une « fan » d’Amélie Notomb mais tu présentes si bien que cela me donne le goût de faire une exception.
    Belle journée Brigitte

  16. Marie Minoza dit :

    « Cultive l’oiseau en toi, décidai-je. On verra où cela te mènera. »…
    ***
    Chercher notre oiseau, apprendre à le connaître pour mieux réussir son envol, notre envol…

  17. Son livre « Soif » est celui qui m’avait le plus subjuguée. Tu me donnes envie de lire cet opus.
    Merci aussi pour ta recherche graphique très réussie.
    Je t’embrasse Brigitte et te souhaite une douce fin de semaine.

  18. Ulysse dit :

    Oui cultivons l’oiseau en nous Brigitte ! Encore une belle découverte . Merci et beau week end !

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