Temps paisible…

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« … Cette année encore, les lucioles sont apparues. Innombrables. L’année dernière, j’ignorais que c’étaient des lucioles miniatures. En comparaison des autres, lucioles genji ou heike, elles sont infiniment plus petites. À peine cinq millimètres sur le doigt qui s’en empare délicatement. À la différence des autres lucioles qui ne peuvent naître que près des eaux claires, les princesses sortent de terre. Elles pondent leurs œufs sur l’humus, les feuilles mortes ou les branches d’arbre tombées, elles vivent aussi dans les bois. Est-ce à cause de l’intensité de leur activité, non seulement près de l’eau de source, mais aussi dans la forêt profonde, elles brillent de leur belle lumière phosphorescente. Les lucioles qui s’étaient posées sur le blanc immaculé des fleurs m’ont donné l’impression d’une illumination féerique d’un vert merveilleux. Les mâles ne peuvent pas voler, mais ils ont le pouvoir d’émettre de la lumière, et ils se déplacent sur les arbres, sur les feuilles. Cette lumière vive clignotait un peu partout sur le marais…

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Dans le calme de la péninsule, on s’aperçoit bien vite à quel point la télévision est vulgaire et gênante. Contrairement à la musique que je peux choisir selon mes goûts, j’ai beau changer de chaîne, je ne tombe que sur des émissions abrutissantes. Alors, j’éteins le poste et je sors sur la véranda.

Est-ce Buson qui a chanté l’« aveuglante lumière de la lune sur les rochers d’hiver » ? On croit entendre le craquement de la lumière sur les branches, sur la moindre pierre. Les ombres noires dans la forêt, la rangée des petits arbres devant l’entrée, la route qui passe devant la maison en plan incliné, tout déborde du crépitement silencieux des éclats tranchants du clair de lune. Moi, je me penche sur la profondeur des ténèbres silencieuses où ni voiture ni âme ne passe, et mon oreille savoure l’ineffable plaisir d’être absorbée par la densité du silence…

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Les Kawahara sont allés tous les deux au jardin et ils ont coupé pour moi une branche de pêcher qui commençait à fleurir. J’hésitais, me demandant comment j’allais pouvoir l’emporter. Kawahara, qui ne parle pas beaucoup, a dit : « Qu’est-ce-que ça peut faire, si les fleurs se fanent ? Il suffit qu’elles tiennent aujourd’hui. »… »

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Faire une pause dans sa vie, qui n’en n’a pas rêvé ?

La narratrice qui vit et travaille à Tokyo, possède une cabane entre forêt et falaises. Elle y vient régulièrement, pour de courts séjours. Arrivée à un âge mûr, elle s’éloigne de la ville et vient s’immerger dans ce lieu de beauté avec son chat, pour un temps indéterminé. Elle a besoin de se retrouver, de faire un point.

Ici, elle vit au jour le jour, cultive ardemment son jardin, se promène sur les chemins, pénètre dans la forêt avoisinante, fait plus ample connaissance avec de rares voisins. C’est un retour aux sources, elle observe, écoute, se nourrit de tous les trésors offerts par la nature, les jours s’égrainent sans jamais se ressembler. Elle vit au rythme du calendrier traditionnel japonais qui divise l’année en 24 saisons. Elle guette les signes, travaille la terre, débroussaille, sème, plante, récolte… La vie est calme, sa présence au monde lui fait faire des découvertes. Elle réfléchit à ce qu’elle ne veut plus et petit à petit définit ce qu’elle veut… C’est un très joli moment de lecture, d’une incroyable douceur, les descriptions nous emportent dans des tableaux, nous sommes nous-aussi sur cette péninsule…

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Extraits de : « La péninsule aux 24 saisons »  Inaba Mayumi  1950-2014.

Illustrations : 1/ « Oiseaux et kakis »  Kobayashi Kiyochika   1847-1915   2/ « Chutes de Yuhi à Shiobara »  Hasui Kawase  1883-1957.

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Faire une pause dans un lieu paisible…

BVJ – Plumes d’Anges.

16 commentaires sur “Temps paisible…”

  1. Je n’ai pas tellement apprécié ce livre, sans trop savoir pourquoi. Mais l’invitation au retrait et au silence est tentante et tu me remets en mémoire pourquoi j’avais eu envie de le lire…

    Bonne journée Brigitte

    ANNE

  2. thé dit :

    une autre approche de la nature, on regarde l’animisme avec dédain … ce regard devrait nous inspirer pour regarder autour de nous et en nous même ? car m’aime n’est pas ou peu….

  3. Adrienne dit :

    vingt-quatre saisons sur l’année, c’est moins fort que les Ecossais qui en ont au moins trois par jour, paraît-il 😉

  4. Dominique dit :

    je viens de noter ce livre car il correspond à ce que j’aime dans la littérature, la poésie
    merci à toi pour cette découverte

  5. Anne dit :

    Oh non, on ne regarde pas l’animisme avec dédain comme l’écrit Thé, Victor Hugo, Jung, les indiens, les africains…..Je comprends que la beauté est partout, mais AUSSI dans notre regard. Je pensai à toi car hier, j’ai reçu et feuilleté déjà le livre de la none zen dont tu parlais: Joshin Luce Bachoux. (tu l’évoquais par un texte il y a 2 ou 3 articles) j’ai lu 2 contes……….Merci!!

  6. DANIEL dit :

    Je me sens proche de cette femme. Le silence est devenu pour moi un compagnon de route. La vraie vie est là.

  7. Aifelle dit :

    J’avais noté ce livre à sa sortie, puis perdu de vue. Merci de la piqûre de rappel .. Toute lecture qui peut apaiser est la bienvenue ces temps-ci, encore plus que d’habitude. Bonne journée Brigitte.

  8. Fiorenza dit :

    Quelle douceur ou plutôt quelle sérénité dans ce monde des lucioles !
    Je me souviens d’en voir dans le jardin il y a une quinzaine d’années,
    mon petit-fils dans les bras, aujourd’hui il apprend le japonais…
    et les lucioles ont disparu !

    Ce pays, si éloigné de nous, nous attire par son étrangeté ;
    pour le moment, je n’en devine que la beauté des jardins moussus…
    Peut-être vais-je adopter le calendrier des 24 saisons, chère Brigitte,
    cela nous permettrait de marquer et de remarquer plus souvent
    les soubresauts de la nature 🍃

    J’ai aimé tes morceaux choisis et te souhaite d’en vivre
    « l’ineffable plaisir d’être absorbée par la densité du silence » !

    *Petite remarque personnelle : l’azalée de l’été, divisée en 4,
    fleurit avec bonheur dans quatre coins du jardin :
    les lucioles sont ainsi de retour sous une forme plus permanente…
    loin du fracas du monde !

  9. Dédé dit :

    Coucou. Je n’ai pas lu ce livre mais je comprends le propos. Je suis encore dans la vie active et je ressens aussi de plus en plus ce besoin de me retrancher dans le silence. Les deux choses ne sont pas très compatibles alors je cherche quelques solutions. Il y a encore du travail… Bises alpines.

  10. Bonjour Brigitte,
    Prendre le temps faire une pause OUI. Ne pas se laisser happer par les mauvaises nouvelles, le quotidien trop rapide, trop épuisant. Savoir respirer, se taire.
    Douce journée Brigitte. Bises

  11. Tania dit :

    Merci pour cette douceur au soir d’une journée si sombre. Ce titre est noté, merci, Brigitte.

  12. Colo dit :

    Tu as trouvé l’illustration parfaite pour: « Est-ce Buson qui a chanté l’« aveuglante lumière de la lune sur les rochers d’hiver » ? On croit entendre le craquement de la lumière sur les branches, sur la moindre pierre »
    Un tout grand merci, bonne soirée, un beso.

  13. Je l’ai réservé à la médiathèque Chalucet.
    Merci de faire entrer la poésie dans ce jour.

  14. eki eder dit :

    Je note ce livre car je pense que je vais aimer cette expérience de vie.
    J’ai cliqué le lien et déjà j’aime beaucoup l’illustration de son livre.
    Merci Brigitte pour ce partage et merci pour tes compliments pour mon regard.
    Bon wk, je t’embrasse

  15. angedra dit :

    Oui pour une pause mais encore faut-il pouvoir.
    Bien souvent ce besoin de calme, de silence vient avec l’âge car dans la vie active comment concilier vie de famille avec enfants et ce retrait.
    Mais nous pouvons voyager dans ce monde au travers de nos lectures, cela marquera notre pause douceur et calme.
    Merci pour ce bel instant de sérénité que tu déposes ici régulièrement.
    Très belle journée dans le calme… ou dans l’énergie des rires des enfants …

  16. Florinette dit :

    Rien qu’en lisant ton commentaire, je sentais déjà toute cette douceur, cette plénitude m’envahir. Des lectures comme celle que tu nous présentes sont importantes, car elles nous aident à revenir à l’essentiel.
    Doux dimanche Plumes d’Anges, je t’embrasse

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