Montaison…

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« Je suis le saumon sauvage. Vous aimez mon frère d’élevage, puisque vous le mangez. On le trouve chez tous les poissonniers et vous le dévorez pour quelques euros le kilo. Élevé en captivité, au Chili ou en Norvège, nourri, entre autres, avec des farines animales, il est abondant : 1 million de tonnes, 300 fois les captures de saumons sauvages ! C’est paradoxal : on se moque de l’avenir des saumons sauvages, et on « cultive » serrés, en cage, les héritiers, les lointains descendants de ces grands voyageurs…

Mais ce saumon-là, ce n’est pas moi : il s’agit d’une pâle copie de ce que je suis. Mon histoire n’est pas celle du circuit du froid, des normes ISO, mais celle du saumon sauvage, celui d’avant les barrages, d’avant la surpêche océanique. La légende d’un animal qui, pendant les derniers 25 000 ans  a contribué à la culture des hommes. Ceux des côtes du Pacifique et de l’Atlantique Nord.

Pendant des siècles, j’ai fait battre votre cœur. Le grand saumon sauvage, mon aïeul, a fait danser les chasseurs-pêcheurs des bords de la Vézère, qui l’ont peint dans leur abri, à Laugerie-Basse, avec l’ours et le cheval sauvage. Plus tard, les Romains nous ont donné notre nom, « Salar », le sauteur. J’étais chez moi au Portugal, en Germanie, en Gaule. Les Celtes me vénéraient : j’étais « Fintan« , le dieu saumon. Les chrétiens ont pris la relève. Les moines de l’abbaye de Sordes, sur le gave, en Pyrénées, ont remercié Dieu de ma présence : grâce à mes ascendants en route vers la mer, ils pêchaient une nourriture abondante. Les artistes du Moyen Âge m’ont peint sur les tympans de leurs vaisseaux de pierre. Je suis sur la cathédrale d’Oloron-Sainte-Marie, sur des édifices romans plus humbles, dans la Haute-Loire. Les festins royaux étaient composés de saumon. J’ai sauvé de la famine les pauvres de France : mon histoire est liée à la vôtre, comme celle de tant d’animaux sauvages que vous n’admirez plus… J’étais… je ne suis pratiquement plus. (…)

Revenons à ma naissance. À l’origine je suis un œuf, minuscule promesse, blotti parmi d’autres au fond du lit de la rivière. Je me trouve alors dans le Haut-Allier, à près de mille kilomètres de l’embouchure. À ma naissance, j’ai la taille d’une groseille orangée posée sur le gravier. Je reste quatre mois au fond de gorges où niche l’aigle botté, où passe le Cévenol, enjambant frayères et viaducs, en route vers Nîmes. Après quelques mois dans cet univers, d’éleveurs de moutons, de haies, de forêts, je deviens alevin, c’est-à-dire un tout petit poisson. J’ai un drôle de sac sous le ventre, une « vésicule vitelline » où je puise ma nourriture. Puis je me fais tacon, nom que l’on donne au jeune saumon, et je grandis dans l’eau fraîche, saturée d’oxygène et d’odeurs incomparables : hêtre, tourbe de la Margeride… Je mémorise toutes ces senteurs, elles sont mon chez-moi, le « clos de ma maison, qui m’est une province, et même davantage« . Je m’en imprègne en prévision de mon futur retour du Pacifique. Je passe ainsi deux ans sur le Haut-Allier, croquant toutes sortes d’insectes qui peuplent en abondance les eaux. J’ai une belle robe sombre, des taches rouges sur les flancs, je glisse silencieusement dans mon territoire, parmi les truites, les loutres, les moules perlières. C’est une merveilleuse enfance… »

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Faisant un tri dans des livres et des magazines, j’ai relu avec intérêt un article sur la saumon sauvage, je ne peux vous en donner l’intégralité, il est très long…

Tout petit détail, hasard ou coïncidence ? un communiqué de presse daté d’octobre 2021, signé du même Martin Arnoult, nous apprend que les poissons migrateurs peuvent désormais franchir librement le barrage de Poutès  sur le haut de l’Allier entre octobre et décembre suite à des travaux importants sur le site, la montaison des saumons sauvages devrait avoir lieu.

La société change, le progrès technique est là, mais faisons attention, nous ne pouvons accepter n’importe quel progrès, tout n’est pas réparable dans le vivant.

Penser à ces poissons, oiseaux ou insectes migrateurs suscite toujours une émotion et leurs instincts sont perturbés voire empêchés, ils répondent à l’appel de la vie, un cri de l’invisible ordonne leur départ, beaucoup perdent la vie dans ces longs voyages mais ils « se » doivent de les faire…

La Nature n’est-elle pas merveilleusement stupéfiante ?

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Extraits d’un article émouvant sur l’épopée du saumon sauvage, signé Martin Arnoult

dans le numéro 3 de la revue Canopée – 2005.

Illustrations : 1/ « Rapides sur l’Hudson »  2/ « Chutes d’eau dans les Adirondacks »   Winslow Homer   1836-1910.

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Protéger le feu de la vie…

BVJ – Plumes d’Anges.

14 commentaires sur “Montaison…”

  1. Fiorenza dit :

    Article très intéressant, chère Brigitte, même le titre de « Montaison »
    m’était inconnu et pourtant, ici en Bretagne, la pêche au saumon
    continue à susciter les discussions familiales et amicales !

    Au XVIIème siècle à Chateaulin, on pouvait pêcher jusqu’à 4000 saumons par an…
    Vinrent ensuite les pollutions dûes par exemple au rouissage du lin et du chanvre
    qui colorait les rivières en ocre et même en noir :
    le mot écologie n’existait pas encore mais à la fin du XIXème siècle,
    des décisions furent prises pour limiter la pêche en période de frai
    c’est-à-dire en ce moment d’octobre à février !

    Notre attention à la nature reste entière, tout n’est pas réparable comme tu l’écris…
    mais quelques vigies suffisent souvent pour sauver les « montaisons »
    de toutes sortes : merci et haut les cœurs !

    PS : le terme « d’Adirondacks » me fait toujours rêver…
    surtout lorsque j’y suis installée 👒

  2. Anne dit :

    Le titre de la 2° illustration a fait « tilt »!
    Je suis allée dans les Adirondacks (lieu de c e2° tableau), j’ai adoré ce coin très couru, les petits cabanons (sûrement parfois luxueux) en bord de rivière, les hydravions (!) je n’en ai vu que là. le style; aujourd’hui, c’est plutôt huppé…Ce sont les riches américains qui y ont leurs « cabanes »: passer des vacances à la campagne……….
    Pour une touriste de passage comme moi, je pense que c’est long à connaître, plus grand qu’il ne semble………
    Bien sûr que tout n’et pas réparable dans le vivant; c’est une certitude qui doit nous amener à changer de conduite.
    Brigitte, merci de nous ouvrir les yeux!

  3. Ulysse dit :

    Oui la nature est stupéfiante à l’exemple de la migration des saumons il y a celle des anguilles , des monarques et de multiples oiseaux migrateurs ! belle semaine Brigitte

  4. thé ache dit :

    les saumons remontaient la Loire, ils pouvaient être abondants, et nourrir les pauvres, nous avons perdu ce lien avec notre environnement ancien, le tout détruit pas le profit, l’endiguement des rivières, la concentration des pouvoirs… il y a beaucoup à faire …. et ce saumon sur l’étal n’a rien à voir avec ses ancêtres sauvages ….

  5. Agatheb2k dit :

    … et ces saumons d’élevage affublés d’un pseudo « Label rouge » qui cautionne les dérives de l’agro-alimentaire, seront vendus à prix d’or… Ils ne nourriront pas les plus pauvres, car en plus ils ont tellement mauvais goût qu’ils en deviennent immangeables ! 😉

  6. Dominique dit :

    article intéressant et qui fait écho au livre que j’ai lu il y a quelques mois : Le roi du Yukon sur la remontée des saumons vers leur lieu de naissance pour se reproduire, ce qui les guette, les pièges de l’homme, la destruction programmée du saumon sauvage
    j’aime tes illustrations bien entendu

  7. Adrienne dit :

    moi, rien à faire, je n’y crois plus, je suis tout à fait démoralisée par les humains (si, si, c’est vrai, juste un exemple: la Belgique protège un tas d’oiseaux et les chasseurs français, juste au-delà de la frontière, juste à côté des réserves naturelles, les attirent avec des appeaux et les tuent)

  8. DANIEL dit :

    Une sacrée épopée comme la migration des oiseaux, comme la vie tout simplement. Il en faut de l’énergie pour surmonter tous les obstacles !!

  9. eki eder dit :

    je suis d’accord avec toi la nature est fabuleuse. Merci pour ce texte Brigitte.
    Bonne soirée

  10. Florinette dit :

    Ton article me remet en mémoire un documentaire sur le saumon qui m’avait époustouflée et émerveillée de voir avec quelle ténacité le saumon entreprend ce périlleux voyage vers son lieu de naissance. La nature nous surprendra toujours ! Belle semaine Plumes d’Anges, bisous

  11. La nature est un sujet d’émerveillement permanents pour moi. De telles merveilles, et une telle intelligence de la vie ! Hélas, que de destructions causées par ceux qui n’y voit qu’un espace à piller… Que restera-t-il qui sera réparable ?
    Merci pour cet article !

  12. Aifelle dit :

    J’ai dû voir le même documentaire que Florinette, cette remontée des saumons est fascinante. Quel instinct ancestral leur dicte cette épreuve gigantesque ? Tout est bien fait dans la nature, hélas l’homme s’acharne à tout dérégler. Bonne journée Brigitte.

  13. Tania dit :

    Je ne connaissais pas ce mot pour désigner la migration des saumons. Ah, ce qui reste de la nature sauvage fait rêver, malgré la sélection naturelle. Les initiatives pour remédier à ce qui entrave la vie sauvage nous rendent un peu d’espoir, malgré tout. Bonne journée, Brigitte.

  14. Célestine dit :

    Stupéfiante nature, c’est certain.
    Et source intarissable d’inspiration…
    •.¸¸.•*`*•.¸¸☆

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