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« … Oui, il y a un bonheur plus haut où le bonheur paraît futile. À Florence, je montais tout en haut du jardin Boboli, jusqu’à une terrasse d’où on découvrait le Monte Oliveto et les hauteurs de la ville jusqu’à l’horizon. Sur chacune de ces collines, les oliviers étaient pâles comme de petites fumées et dans le brouillard léger qu’ils faisaient se détachaient les jets plus durs des cyprès, les plus proches verts et ceux du lointain noirs. Dans le ciel dont on voyait le bleu profond, de gros nuages mettaient des taches. Avec la fin de l’après-midi, tombait une lumière argentée où tout devenait silence. Le sommet des collines était d’abord dans les nuages. Mais une brise s’était levée dont je sentais le souffle sur mon visage. Avec elle, et derrière les collines, les nuages se séparèrent comme un rideau qui s’ouvre. Du même coup, les cyprès du sommet semblèrent grandir d’un seul jet dans le bleu soudain découvert. Avec eux, toute la colline et le paysage d’oliviers et de pierres remontèrent avec lenteur. D’autres nuages vinrent. Le rideau se ferma. Et la colline redescendit avec ses cyprès et ses maisons. Puis à nouveau – et dans le lointain sur d’autres collines de plus en plus effacées – la même brise qui ouvrait ici les plis épais des nuages les refermait là-bas. Dans cette grande respiration du monde, le même souffle s’accomplissait à quelques secondes de distance et reprenait de loin en loin le thème de pierre et d’air d’une fugue à l’échelle du monde. Chaque fois, le thème diminuait d’un ton : à le suivre un peu plus loin, je me calmais un peu plus. Et parvenu au terme de cette perspective sensible au cœur, j’embrassais d’un coup d’œil cette fuite de collines toutes ensemble respirant et avec elle comme le chant de la terre entière.
Des millions d’yeux, je le savais, ont contemplé ce paysage et, pour moi, il était comme le premier sourire du ciel. Il me mettait hors de moi au sens profond du terme. Il m’assurait que sans mon amour et ce beau cri de pierre, tout était inutile… »
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Un voyage en pays de lumière, l’Algérie, l’Italie… lieux sublimes et éblouissants.
Voyager au fil de ces pages fut pour moi un moment de grâce.
Ce livre est un ensemble de textes, de réflexions,
de méditations, écrits par Albert Camus dans sa jeunesse.
L’Homme et la nature ne font plus qu’un, la sensualité ruisselle à chaque phrase.
Nul ne peut rester insensible à cet art de la description,
à cette ferveur omniprésente, à ces mots qui nous enveloppent,
nous réchauffent et nous transportent au sein de la beauté,
c’est un hymne à la vie.
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Extrait de : « Noces suivi de l’été » Albert Camus 1913-1960.
Illustrations : 1/« Cité de Florence » Jan van der Straet 1523-1605
2/ « Autel de Gand » – détail – œuvre commencée par Hubert van Eyck
et terminée par son frère Jan van Eyck 1390-1441.
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Prendre de la hauteur…
BVJ – Plumes d’Anges.
Noces et l’Eté que demander de plus pour penser à la couleur, la chaleur, à l’odeur des pins et du thym sauvage, pour se rappeler le bleu du ciel
J’ai lu très tôt Noces suivi de l’été, car ma maman était « pied noir »; c’est un livre magnifique et juste qui restitue l’atmosphère de lieux qu’on aime (je repars très bientôt en Italie d’où venait mon grand- père, qui, plus tard, s’installa en Algérie) Tu touches juste, vois tu…
faut que je (re)lise ces œuvres de Camus!
ça me semble impératif 🙂
merci Brigitte!
« Le premier sourire du ciel ». Et de la terre. Et des sens.
Je crois qu’on pourrait le relire tous les 10 ans avec le même plaisir.
Grand merci Brigitte, un beso
« Dans ce soir qui tombait sur la campagne florentine »…
Cette phrase extraite de « Noces » me sert de talisman :
elle résonne si heureusement en moi pour toutes sortes de raisons
qu’elle suffit à m’apporter un bien-être incroyable !
L’évocation des jardins de Boboli (et Bardini) d’où la vue sur Florence
tient du miracle, enchanta Camus comme elle continue à nous émouvoir !
Grazie, Brigitte, et longue destinée aux Plumes d’anges qui volettent
autour de nous avec tant de poésie 🕊🎨🕊
Camus. Voilà, tout est dit. Merci de la lecture ce matin de ces mots lumineux.
Je ne connais pas ces écrits de Camus, à retenir et un extrait bienvenu, porteur de soleil, de promenade et de paysages enchanteurs. Bonne semaine Brigitte.
Un beau texte pour commencer la journée. Joli mois de mai , Brigitte !
la sensation d’être un élément de cette respiration qui est le monde … est aussi sensibles par le ressenti que par le savoir et la connaissance : l’être et l’avoir ; l’être et le savoir …
Bonjour Brigitte,
Je connais peu Camus et c’est dommage.
Merci pour ce texte qui fait du bien. C’est vrai qu’il y a des moments de grâces. Ils sont rares mais sont des bénédictions. On se sent enveloppés dans une atmosphère ouatée.
Bon début de semaine. Je t’embrasse
PS/ Demain nous irons à la montagne de Lure. Tu seras en pensée avec moi
Merci – c’est à relire un jour. Magnifique, ce détail, Brigitte !
Oui, tu as extrait un superbe passage qui nous enveloppe et pourrait nous consoler de beaucoup de choses ! Merci à toi Brigitte…et à Camus. Bises avec le soleil aujourd’hui !
très beau texte. Du coup tu me donnes envie de lire Camus.
Bonne soirée
Merci de nous avoir proposé ce texte et de nous inviter à lire ou relire celivre de Camus
Oui c’est un bel hymne à la vie ou la nature connait un mariage heureux avec les oeuvres des hommes Bon dimanche Brigitte
Ça fait du bien de lire un si beau texte, je m’y serais crue, sentant la douceur, la chaleur m’envelopper.
Merci Plumes d’Anges pour ce beau moment et bon dimanche, je t’embrasse.
Merci pour ce rappel des écrits de Camus sur me font toujours autant vibrer.