Plongement…

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« … Elle parcourt la baie argentée du regard. Et, l’espace d’un instant, il est là avec elle, à tel point qu’elle sent l’odeur des croûtes de sel sur sa peau. C’était pourtant dans une autre vie. Elle était quelqu’un d’autre. Elle est venue s’occuper des affaires de son défunt mari, sans songer que ces autres fantômes allaient refaire surface. Si elle avait réfléchi davantage, elle ne serait jamais venue. C’est ici qu’elle s’est sentie elle-même pour la dernière fois. Elle avait presque oublié cette sensation…

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… La fin du jour approchait et la lumière s’estompait déjà, diluée par d’immenses ombres diaphanes. Les pierres et les rochers impassibles semblaient faire écho à ses souvenirs. Debout dans la bruine, face à la baie qui s’assombrissait, elle s’est soudain sentie insignifiante. Comme si elle se confondait avec la broussaille brune parsemée de mégalithes et de moutons, les montagnes grises et l’étendue de la mer métallique. Était-ce ce qu’avait ressenti Caspar David Friedrich sur son rocher en regardant loin dans la brume ? Ou l’impétueux Cortés quand, de son regard d’aigle, il fixait le pacifique ? Freud rejetait ces sentiments qui s’apparentaient pour lui à la religion. Mais ce n’était pas nécessairement de cela qu’il s’agissait. N’était-ce pas aussi tout simplement une mesure de la conscience humaine ? Un désir de transcendance qui nous mène au-delà du banal ? Le besoin de donner un sens à ce qui, si souvent, n’en a pas ? …

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… Quand votre esprit s’imprègne de cet endroit sauvage, c’est là que votre poésie est la meilleure. Comme si le paysage était capable de se souvenir. Quand vous décrivez la lande sombre, les falaises et les tourbières, vous ne semblez pas, comme Yeats, créer des symboles mais plutôt comme Hopkins révéler l’essence des choses. Et cette essence – c’est du moins ce qu’il me semble – est l’individualité intrinsèque et la solitude innée de toutes les choses animées et inanimées. Il y a quelque chose de sauvage dans vos poèmes. (…)

L’acte de regarder et d’attendre correspond à ce qui est, au sens le plus large du terme, beau et même si c’est un mot difficile à utiliser dans la culture contemporaine, spirituel. Comme si, tant qu’on est mus par le désir, la beauté ne pouvait pas apparaître. Vous capturez ce paradoxe… »

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Martha, enseignante à Londres, vient de perdre son mari, Brendan, cinéaste de documentaires, passionné d’art. Il possédait un petit cottage en Irlande – son pays d’origine – dans le Kerry face aux îles Skellig,  il y venait écrire et travailler. Elle prend la décision de le vendre et doit le « vider ». Elle a bien connu ce lieu mais il y a très longtemps qu’elle n’y est pas retournée. Dans ce moment difficile, triant lettres, papiers, livres et photos, des souvenirs remontent, des rencontres anciennes refont surface, de nouveaux liens se nouent : elle se rapproche de son époux, leurs déchirures les avaient éloignés et l’on comprend pourquoi au fil des pages…

L’écriture est belle, la force des paysage nous emporte, le monde change, l’Irlande change, la vie de Martha change. C’est un roman qui parle du deuil, des deuils que l’on doit vivre, traverser et dépasser, chacun avec ses forces et ses fêlures. C’est un roman dont le fil conducteur est l’importance de la parole donnée. Pour que la vie continue, il faut mettre au jour le passé, pardonner et se pardonner.

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Extraits de : « Le chant de la pluie »  2020  Sue Hubbard.

Illustrations : 1/« Lumière et ombre »  John H.Vanderpoel  1857-1911  2/« La mer »  James Hamilton Hay  1874-1916.

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Plonger courageusement dans le passé pour soigner nos blessures…

BVJ – Plumes d’Anges.

18 commentaires sur “Plongement…”

  1. L’extrait est beau, cela me tente bien. Et les illustrations sont magnifiques, comme toujours. Merci ! Bonne journée.
    Il paraît qu’il va pleuvoir demain.

  2. Anne dit :

    J’ai lu avec attention, c’et ta dernière phrase qui m’accroche le plus: « Pour que la vie continue, il faut mettre au jour le passé, pardonner et se pardonner. » Un jour, j’ai lu un acronyme qui, depuis, m’aide et me guide: OSER.
    (O pour optimisme, S pour sentiment d’estime de soi, E pour espoir, espérance et R pour RESILIENCE)
    La résilience c’et cela: regarder le passé et avancer malgré tout.
    Merci encore et encore pour tes images, tes textes et tes propres réflexions. La journée démarre sur ces mots qui vont creuser en nous le chemin……

  3. Anne dit :

    Je corrige: C’EST (1° ligne)

  4. Tania dit :

    Des extraits qui donnent envie de découvrir ce roman et je me suis attardée sur le dernier. Regarder et attendre, oui, c’est ainsi que peut advenir l’accès à la beauté, au-delà de la surface, de la première impression – il y faut de la patience.

  5. thé ache dit :

    oui pardonner et se pardonner pour cesser de regarder en arrière aller sur les pas du jour qui se lève, avenant ou difficile, rebutant ou éclairant ?…

  6. Adrienne dit :

    ah oui, ça me parle!
    merci Brigitte

  7. Colo dit :

    De très beaux extraits, et tes illustrations, mmmm, superbes.
    merci beaucoup, bonne journée Brigitte.

  8. Aifelle dit :

    J’aime beaucoup les extraits et je note tout de suite le titre du roman. Le nom de l’auteure me dit quelque chose, j’ai dû lire un texte d’elle. Le plus difficile je crois est de se pardonner et d’être indulgent avec soi-même. Bon après-midi.

  9. Dominique dit :

    un roman qui est sur mon étagère et que tu as magnifiquement illustré

  10. Dédé dit :

    Coucou. Ces quelques extraits me donnent vraiment envie de lire le livre. Il y a une part de mystère dans ces phrases. Mais surtout, moi qui aime tellement l’Irlande et justement le Kerry, j’ai envie de revivre les sensations que m’avait procuré ce merveilleux paysage. Bises alpines et merci pour la suggestion.

  11. Fiorenza dit :

    Que ce texte est beau, Brigitte !

    Je ne connais pas Sue Hubbard mais la phrase : « comme si le paysage
    était capable de se souvenir » suffit à mon bonheur…

    la profondeur exprimée avec élégance, n’est-ce pas la définition
    de la POÉSIE ?

    « La mer » de James Hamilton Hay (que je ne connaissais pas non plus )
    illustre à merveille l’osmose des éléments et de nos rêves incessants :
    belle matinée de découverte … en attendant la tempête qui menace !

  12. Célestine dit :

    Je connais une amie qui appréciera de lire cette histoire, car c’est son histoire…
    Bisous ma Plume
    •.¸¸.•*`*•.¸¸☆

  13. Bonjour Brigitte,
    Ce texte est beau et profond. On aime des les premières lignes.
    Les sensations sont là. L’image présentée va si bien avec.
    Oui, regarder le passé, se souvenir mais avancer malgré tout.
    Bonne fin de semaine. Je t’embrasse

  14. Poussy dit :

    L’Irlande fait cela sur les êtres, elle les révèle jusqu’au bout d’eux-mêmes.
    Ce livre a l’air si bien et si profond et donne envie d’aller écouter de près le bruit de son cœur.
    Merci Bribri jolie de proposer un chemin qui mène loin, je t’embrasse.

  15. Ulysse dit :

    Quand en haut des montagnes je contemple le monde alentour je ne me sens pas insignifiant mais comme partie du tout , point focal d’une trame spirituelle de l’univers qui par mes yeux et mon âme prend conscience de lui même…Bon dimanche Brigitte

  16. Florinette dit :

    Magnifique écriture, l’auteure s’est mettre les mots pour exprimer tout ce qu’elle ressent. J’ai connu cela avec mon papa quand il a fallu vider sa maison après le décès successif de mon petit frère et de ma maman. Le temps par moment peut sembler suspendu pour laisser place à ce recueillement. Merci Plumes d’Anges pour ce touchant article et belle journée, je t’embrasse.

  17. eki eder dit :

    je note , merci pour ce partage intéressant Brigitte.
    La vie est faite de pertes. Je pense que nous avons la force de rebondir et d’aller de l’avant.
    Bon dimanche Brigitte

  18. gazou dit :

    Voilà un livre que j’ai bien envie de lire

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