Solitudes…

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« … Entre deux cartes postales, elle leva les yeux pour regarder le parc et ses frondaisons prodigieuses. (…)

La vieille dame se rapprochait d’elle mais elle n’avait pas envie de parler. Pas seulement à cette vieille dame, mais à qui que ce soit. Elle avait pris de bonnes décisions à propos de la façon de mener sa nouvelle vie : elle devait se concentrer sur elle-même. C’en était fini de s’occuper des autres et avait commencé l’apprentissage de l’égoïsme. Non mais. Elle avait fait sa part. Elle reprit l’écriture de ses cartes, en allant plus lentement afin qu’au moment ou la vieille dame allait croiser la table et le banc, elle ait l’air le plus occupé possible. C’est ce qui se passa. Et elle en eut honte, immédiatement dès qu’elle eut dans son champs de vision le dos de la vieille dame claudicante. Mais pourquoi penser obligatoirement que cette vieille dame allait parler, s’asseoir, l’empêcher d’écrire ses cartes postales ou son courrier, lui demander quelque chose… Non, non, non ! On ne pouvait pas lui demander de changer à ce point, de se replier sur elle-même, de… Mais on ne lui demandait pas ça non plus… Oh, la la ! Elle ne se reconnait plus, c’est vrai… Elle aurait pu sourire à cette dame, simplement sourire…

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… Et si elle écrivait sur tous ces vieux, comme la vieille dame de la grande maison, qu’elle avait déjà rencontrés ? Elle pourrait leur donner la parole et ils témoigneraient ce que c’est que la vie quand on n’a plus de chez soi, plus d’autonomie, plus de famille, plus de santé et qu’on ne dit plus jamais plus tard… Elle ne ramènerait en arrière aucun de ceux-là, elle ne leur rendrait ni leur jeunesse, ni leur maison, ni leur mari ou leur épouse, ni leur mère ou leur père, ni leur santé, rien de rien, non, elle ne leur rendrait rien. Mais elle pourrait peut-être sortir de l’oubli des vies qui s’y enfoncent inexorablement et, le temps de quelques rencontres, briser le silence d’une journée, être une éclaircie…

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… Tout allait bien. Il faisait beau. Il faisait bon aussi pour un mois de novembre. Tout était splendide autour d’elle. Elle marchait. Elle faisait un pas puis un autre pas. Tout allait bien. Il y avait le vide, oui. Le grand vide de l’absence. Le trou béant. Sans fond. Pourtant, elle était là, à marcher sur la corniche de Tamaris un matin de novembre. Elle était vivante. Elle était encore vivante. Une miraculée avait dit le docteur. La championne des miraculées avait dit l’autre docteur… »

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Le sujet est courageux dans notre société, celui des personnes âgées et des aidants de fin de vie. La dame aux cartes postales, Marie, a donné entièrement dix ans de son existence à l’accompagnement de ses parents, jusqu’à leur dernier souffle. Une épreuve qui la marque, elle va tomber gravement malade mais courageusement va lutter, se reconstruire.

Après une lourde opération Marie va se reposer dans un joli lieu au bord d’un lac. Elle rencontre là une vieille dame qui vit dans une grande solitude.  Plus tard, Marie tentera de faire de ses épreuves une force, une ouverture à l’autre, elle décidera de donner la parole à des personnes très âgées et à leur entourage.

C’est émouvant, des mains se tendent, de petites étoiles brillent, une nouvelle vie s’amorce, pour elle comme pour celles et ceux qu’elle rencontre. La belle humanité est là dans toute sa simplicité.

C’est vraiment un sujet interpellant quand on avance en age et ce livre peut nous aider dans l’accompagnement de nos proches, il nous montre que dans toute situation, une lumière brille.

Et puis l’on sent que Marie, ayant déposé son lot d’épreuves au travers des mots, peut envisager une vie nouvelle. La note finale du roman est très belle.

En ces temps de confinement, nos pensées vont particulièrement vers ces personnes âgées- très isolées –  et les aidants…

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Tania en avait parlé –> 

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Extraits de : « Avec la vieille dame »  2020  Marie Gillet.

Illustrations : 1/ »BellagioLago di Como »   Cartolina postale  2/ « Dame et chat »  Nikolaï Iarochenko  1846-1898  3/ « Fiori » – Cartolina postale 1905.

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Aider mais se ressourcer aussi…

BVJ – Plumes d’Anges.

12 commentaires sur “Solitudes…”

  1. Dédé dit :

    Coucou. J’ai connu un collègue qui a passé les trois années passées à s’occuper de sa maman, impotente, à la maison. Toute la famille était d’accord de ne pas la mettre en maison de retraite et finalement, il s’est retrouvé presque tout seul à s’en occuper alors que son autre frère et sa soeur ne faisaient pas grand-chose. La vieille dame est décédée il y a environ un mois. Et mon collègue s’est retrouvé tout désemparé car il ne savait pas comment organiser sa vie, sa maman partie. Aider nos personnes âgées, nos parents, demande beaucoup d’abnégation. On a tout plein de livre qui parle des parents et de leurs jeunes enfants. On n’a peu de choses qui concerne l’inverse, les enfants qui doivent s’occuper de leurs parents. Et pourtant! Je lirai ce livre de Marie Gillet dont je connais également le blog. Merci de nous rendre sensible (et merci à elle aussi!) à ce sujet dans ces temps si perturbés. Bises alpines… de loin.

  2. Adrienne dit :

    comme disait ma grand-mère, être vieux, ça va, mais vieillir, c’est une autre affaire!
    🙂

  3. Fiorenza dit :

    Bonheur du jour, question du lundi, moisson, livres de sacs : à travers ces mots
    hétéroclites, nous avons découvert une personnalité riche, enveloppante,
    amoureuse de la vie en mode partage …

    Marie Brunet fait maintenant partie intégrante de notre quotidien !
    Comme toi, chère Brigitte, elle nous éclaire, attire notre attention
    sur des sujets parfois anecdotiques mais presque toujours existentiels.

    J’aime ces nouvelles venues des deux côtés de la rade, je les croise,
    les tresse, les noue, en parle autour de moi, questionne mes amis…
    Textes seuls, ou illustrés divinement par tes soins, contribuent à notre BIEN-ÊTRE
    au sens profond du terme !

    Non, nous ne sommes pas confinés, nous sommes ouverts sur le monde
    qui vit partout les mêmes affres et les mêmes plaisirs humains !

    Ton amie bretonne qui t’embrasse…de tout coeur

  4. Anne dit :

    Je l’ai commandé, je l’attends; mon roman est terminé (après mes nouvelles), mais ce ne sont pas de très bonnes circonstances.
    Bon confinement à toi!

  5. daniel dit :

    Quand je pense qu’il faut des événements dramatiques pour qu’une certaine solidarité s’installe !!…….Alors que cela devrait être naturel !

  6. Aifelle dit :

    Je vais le commander dès que possible. Pour l’instant je préfère attendre pour les envois postaux. Nous sommes habituées à l’écriture de Marie, si sensible aux autres et à tout ce qui est vivant. Je serai heureuse de découvrir son livre. Bonne semaine Brigitte.

  7. Tania dit :

    Je suis heureuse que tu parles de ce livre (merci pour le lien) qui aborde ce sujet de façon si juste. Les circonstances actuelles compliquent encore ces relations d’aide et de soutien.
    Jolie toile, cette lectrice au chat, merci !

  8. Colo dit :

    Comme chez Tania, mon commentaire est: je reviendrai ici quand la Poste aura bien voulu me l’apporter et que je l’aurai lu!
    Merci pour ces belles illustrations Brigitte, un beso

  9. eki eder dit :

    A partir d’un certain âge et parfois avant, c’est pas évident d’accepter ses pertes et s’adapter à vivre différemment.
    Un livre intéressant, merci du partage Brigitte.
    Bonne soirée

  10. Merci pour ce bel extrait de ce livre nouveau…. et merci aussi pour cette reproduction de la dame au chat. Belle journée à vous

  11. Je félicite ici Brigitte ta finesse et ton esprit de synthèse. Les extraits du livre de Marie que tu as choisis sont très représentatifs et je voyais « Le Lac » depuis la fenêtre de Marie…exactement comme celui de ton tableau !
    Ce livre m’a fait prendre conscience de la grande abnégation, d’un effacement doublés d’un immense amour de certains aidants. Passer ainsi une dizaine d’années à ce point « hors de soi » est admirable.
    Bonne journée, avec des bises. Claudie.

  12. … Merci… Je t’envoie un petit mail…
    Il pleut de ce côté-ci de la rade cette après-midi. J’ai mis toutes les plantes dehors.

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