Mots ailés…

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« … Je crois que c’est ça, un artiste. Je crois que c’est quelqu’un qui a son corps ici et son âme là-bas, et qui cherche à remplir l’espace entre les deux en y jetant de la peinture, de l’encre ou même du silence. Dans ce sens, artistes nous le sommes tous, exerçant le même art de vivre avec plus ou moins de talent, je précise : avec plus ou moins d’amour…

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J’ai toujours été sensible aux voix déportées par le vent, aux voix qui ne s’adressent pas à vous et vous amènent, un instant, quelques paroles banales, les paroles éternelles de chaque jour. Un auteur du début du siècle, Maeterlinck, a écrit de belles pages sur la substance de ces conversations ordinaires. Il montre cinq à six personnes prises dans l’ennui d’un dialogue sur la pluie et le beau temps. Pendant que se diffuse la grisaille des paroles convenues, un autre entretien a lieu en silence entre les visages. Un entretien d’âme à âme et parce que ce second échange, d’une profondeur infinie, a besoin d’un peu de temps pour aller à son terme, les gens poursuivent la conversation ennuyeuse, ils la poursuivent inconsciemment. Maintenant ils se séparent, ils ne se sont rien dit d’important et pourtant ils se quittent réconfortés. Dans cette méditation de Maeterlinck je vois le lien de l’écriture à la vie : tout écrivain cultive cet art de la conversation parallèle. Les mots qu’il écrit ne sont là que pour donner le temps à d’autres mots de se faire entendre. Il y a toujours deux livres dans un vrai livre. Le premier seulement est écrit… »

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Des pensées qui vagabondent en pays de poésie. Ce livre m’avait échappé et – ouf – j’ai pu en cueillir la sève. La richesse des images est infinie, des mots simples prennent ici une autre dimension, ils dansent et notre cœur chavire.

On ne peut jamais résumer les livres de Christian Bobin tant ils sont denses. Il peint les mots par petites touches, avec une immense délicatesse, il nous conduit au milieu des fleurs, des oiseaux et des papillons et l’on se prend à butiner ses mots, on se délecte de ses chants, il est un lumineux magicien et cette magie ne peut se refuser…

Extraits de : « L’épuisement »  1994  Christian Bobin.

Illustrations : 1/« La lectrice » Anton Laupheimer  1848-1927   2/« Graduation du cristal » Paul Klee  1879-1940.

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Trouver une autre dimension à notre monde…

BVJ – Plumes d’Anges.

13 commentaires sur “Mots ailés…”

  1. Adrienne dit :

    j’aime bien sa définition de l’artiste 🙂

  2. Un écrivain-poète d’une sensibilité exceptionnelle. Il perçoit l’infime et le nécessaire.
    Merci Brigitte pour ce texte qui enchante notre matinée ! Belle journée à toi, je t’embrasse. Claudie.

  3. La merveilleuse bienveillance du regard de Bobin sur ses frères humains…

  4. Aifelle dit :

    Je l’ai lu il y a longtemps. Je préfèrais d’ailleurs ces textes là à ceux d’aujourd’hui. Bonne journée Brigitte, bises.

  5. daniel dit :

    Toute communication se fait à plusieurs niveaux: verbale et non verbale. La communication non verbale est très intéressante et exprime parfois plus de choses que la communication verbale. Un geste, un regard, une attitude peuvent en dire long.….Je suis très attentif à tout cela.

  6. Célestine dit :

    Ah…Bobin…J’ai commencé ma journée par lire à mon amoureux quelques pages de Son livre « Un bruit de balançoire »
    Et là, j’arrive chez toi, ma Plume…
    C’est doublement réconfortant.
     •.¸¸.•*`*•.¸¸☆

  7. Je ne suis pas sûre de partager tout à fait l’avis de Christian Bobin que j’aime beaucoup par ailleurs.
    Par contre je trouve très beau le tableau de la lectrice !
    Bon week end !

  8. Dominique dit :

    cette lectrice est très belle mais aie le mal de dos à lire penchée ainsi 🙂
    j’aime beaucoup cet espace plein de peinture, d’encre et de silence

  9. Ulysse dit :

    Oui les mots disent plus qu’ils ne disent et c’est tout l’art de la poésie d’évoquer un monde hors des mots . Les mots par les ondes qui les portent véhiculent des choses indicibles que notre âme perçoit Bon week end Brigitte

  10. Tania dit :

    C’est beau, ce que Bobin écrit sur Maeterlinck – on pourrait dire cela aussi des dialogues chez Tchekhov. Merci, Brigitte & bon week-end.

  11. Poussy dit :

    Les mots de Christian Bobin, la plus grande fraternité qui soit, à chaque fois un « entretien d’âme à âme » somptueux, les mots du coeur d’un frère, grande émotion.
    Je t’embrasse ma doucette pour ce cadeau.

  12. Colo dit :

    J’aime beaucoup l’extrait qui se trouve dans le lien « L’épuisement ».

    Merci Brigitte, excellent dimanche, si ensoleillé ici…ah si j’étais peintre de la lumière!

  13. Florinette dit :

    Entièrement d’accord avec toi, c’est difficile de résumer les livres de cet auteur, on risque d’en perdre toute la saveur, car les mots deviennent si fades devant toute l’émotion que l’on a pu ressentir en lisant ces quelques lignes… Merci Plumes d’Anges pour ce beau moment et belle journée, je t’embrasse !

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