Œuvre de brume…

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« … Un jour, l’architecte V., très connu en Belgique avant la première guerre mondiale, se lassa du béton et se mit à détester le granit. (…)

L’architecte V. renonça à bâtir des maisons de pierre. Après des années de méditation, il construisit une cathédrale de brume.

Le principe en était simple. Les murs et la tour étaient faits de brouillard au lieu de pierres. Le brouillard ne se laissant tailler ni cimenter, la construction fut difficile à réaliser. Mais l’architecte V. savait que le brouillard suit certains chemins de l’air comme l’eau suit le lit de la rivière. V. établit donc à l’aide de souffleries adroitement combinées, des courants d’air chauds qui s’élevaient comme des murs et des colonnes en creux. Ces murailles d’air chaud se rejoignaient en forme de voûte à trente-cinq mètres au-dessus du sol. La vapeur produite par une centrale cachée sous terre suivait les chemins d’air qui lui étaient ainsi tracés.

L’architecte V.avait choisi un lieu superbe, une clairière dans la forêt d’Houthulst où les chênes et les hêtres s’élançaient plus haut encore que la voûte de l’église. Là, l’étrange monument se balançait doucement dans l’air immobile. L’architecture en était à la fois floue et précise car la vapeur, tout en ne s’écartant pas de son lit d’air chaud, était animée de courants ou plutôt d’une respiration. (…)

La grande nef était admirable. Cent cinquante quatre colonnes de brume coulaient lentement vers le haut et se rejoignaient en sept clés de voûte. La vapeur s’y condensait en gouttes d’eau qui tombaient une à une au rythme du hasard. Elles étaient reçues au sol par d’admirables iris sculptés par l’orfèvre Wolfers. Les fleurs de ces iris d’un bleu profond étaient hérissées d’acier vibratile dont les lamelles s’émouvaient de sons ténus à chaque goutte. Cette musique, que selon la mode du temps tout le monde s’accordait à trouver violette, remplaçait les cloches que l’architecte V. n’avait pu accrocher dans la tour de brume. Mais le son au lieu de s’envoler dans l’espace comme le son des cloches n’était perçu que par l’oreille du visiteur et allait loin, très loin en lui. (…)

Mon père disait que dans cette église la prière était d’une haute ferveur parce qu’elle ne s’y formulait pas en mots. Debout sur le tapis de lierre, en entendant sans l’écouter la musique des iris, on était saisi d’une sorte de ravissement muet. On devenait silence. Aucune voix même au plus profond de soi ne s’élevait. L’être entier se portait en un élan intense vers quelque chose, mais quoi ? Pas vers un but qui puisse se formuler, ni vers l’accomplissement d’un désir, ni vers un combat, ni vers une consolation. On se portait vers quelque chose dont on ignorait la nature. Vers tout. Vers rien. Et la joie qui répondait à cet élan n’avait pas de nom… »

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Tania avait parlé de cet opuscule avec grand talent. Six nouvelles y sont contées, elles m’ont toutes enchantée, vous trouverez ici des extraits de celle qui porte le titre de l’ouvrage.

Je me suis sentie emportée dans un monde de grâce et de poésie , je ne connaissais pas du tout cet auteur, j’ai pensé en le lisant, à l’imaginaire de Maurice Maeterlinck : une forêt se fait l’écrin d’un bijou rêvé et conçu par un architecte las d’employer toujours les mêmes matériaux. Il cisèle cet édifice, celui-ci prend vie et respire, c’est une cathédrale de brume… Cet écrivain nous offre une histoire pleine de délicatesse, les images y sont fortes, un beau voyage est assuré…

Extraits de : « La cathédrale de brume »  Paul Willems  1912-1997.

Illustrations : « Iris – Projet pour un bijou »  George Paulding Farnham  1859-1927.

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Voguer vers des rêves lumineux…

BVJ – Plumes d’Anges.

13 commentaires sur “Œuvre de brume…”

  1. Adrienne dit :

    Tania est toujours de bon conseil 🙂

  2. Anne dit :

    J’aime beaucoup cet iris sur ce fond, je découvre une fois encore grâce à toi, soit un texte, soit un peintre!

  3. Célestine dit :

    La poésie est vraiment une cure de jouvence et de bonheur permanente…
    Merci pour ce très beau texte.
    •.¸¸.•*`*•.¸¸☆

  4. eki eder dit :

    merci pour ce superbe partage.
    Bon lundi Brigitte

  5. Poussy dit :

    Attention, ici blog régi par la grâce.
    Extase pour moi, dans le château de nuages d’aujourd’hui.
    Je t’embrasse fort

  6. Tania dit :

    Je suis très heureuse que tu aies aimé ces nouvelles de Paul Willems, chère Brigitte.
    Merci pour ce bijou d’iris et pour le lien.

  7. Florinette dit :

    Je ne connaissais pas non plus, merci Plumes d’Anges pour cette très belle découverte empreinte de poésie et belle semaine, je t’embrasse !

  8. Qu’il est beau cet iris ! Et le texte tout autant. Tania est une source inépuisable d’envies de belles lectures !
    Bonne journée.

  9. Fiorenza dit :

    Je rentre d’un séjour sans internet et découvre une cathédrale de poésie !
    Merci, chère Brigitte, merci Tania, mon rêve de beauté se poursuit …
    entre mer et jardins 🎨🌳🎨

    Fiorenza, admiratrice de tous les iris

  10. Tania et toi vous nous gâtez ! C’est si agréable de découvrir vos textes, d’élargir notre monde. J’aime aussi beaucoup vos commentaires, des valeurs sûres ! Merci Brigitte et belle semaine. Je t’embrasse. Claudie.

  11. Ulysse dit :

    Une belle imagination. mais tous nos édifices ne sont-ils pas faits de brume car un jour ils s’évanouiront de la surface de la Terre et il n’y aura personne pour se souvenir de l’épopée humaine…. La trace en restera peut être dans l’Esprit de l’univers !

  12. Je trouve ce texte magnifique et vais me chercher ce livre, je t’embrasse

  13. naline dit :

    Un auteur belge que j’aime beaucoup… tout comme sa mère, Marie Gevers !
    Beau dimanche !

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