Mises en lumière…

.

.

 

« … La pendule murale qui rythme les secondes te semble silencieuse ?

Écoute la petite pluie qui pique la vitre de la lucarne et les tuiles du toit.

Elles frappent des coups plus forts que ceux de la pendule. Elle sert de contrepoids

à notre temps rythmé par le mécanisme d’intervalles égaux.

La pluie dit au contraire qu’il n’y a pas deux secondes égales. Elle le sait par ses gouttes.

À force d’être à l’écoute des choses qui m’entourent, je découvre des musiques,

des philosophies,des sciences naturelles.

Je découvre qu’elles s’expriment, même si c’est dans une langue

que je ne comprends pas.

Mais ce sont des voix, pas seulement des bruits…

.

… J’étais sur une paroi des Dolomites, un orage m’est tombé dessus. J’étais seul.

Les éclairs frappaient contre la roche, toute une cascade d’eau et de pierres

dégringolait.

J’étais accroupi et trempé, attendant une accalmie.

Mon corps et même ma bouche étaient parcourus de frissons, que j’attribuais au froid.

Je n’admets pas que j’ai peur.

Le sommet était juste un peu plus haut, bombardé de coups. De là-haut, je serais

descendu par un sentier facile.

Je devais franchir les derniers sauts de roche. Je n’arrivais pas à bouger.

Une femelle chamois avec son petit derrière elle a débouché près de moi.

Au milieu de ce vacarme démentiel, elle grimpait d’un pas tranquille et mesuré

avec son petit.

Ils m’ont vu puis m’ont ignoré, en continuant à monter.

Leur calme m’a fait sourire de tendresse pour eux et de dérision pour moi.

Je me suis levé et j’ai remis les mains sur la roche.

L’orage continuait, j’allais à l’aveuglette, mais avec l’exemple de leur passage.

Un courage peut venir d’une imitation…

.

… Les mots, mon fils, n’inventent pas la réalité, qui existe de toute façon.

Ils donnent à la réalité la lucidité soudaine qui lui retire son opacité naturelle et

ainsi la révèle. Les mots sont l’instrument des révélations… »

.

Sur quelques pages, un monologue, puis une sorte de dédoublement et un dialogue entre un homme et un fils imaginaire. Des souvenirs remontent, ceux de l’écrivain, sa mère, son père, ses luttes, sa passion pour la montagne, celle des livres, des mots, de la langue, Naples, l’Italie… Toutes ces bulles sont touchantes, l’homme se questionne lui-même sur la vie, sur sa vie, il faut passer par certains chemins, sombres ou lumineux, ils sont inévitables, ils nous sculptent et nous révèlent, il n’y a rien à regretter, la vie fait « son tour de l’oie ». Erri de Luca signe là encore, un très beau texte…

.

Extraits de : « Le tour de l’oie »  2019  Erri de Luca.

Illustrations : 1/« Baie de Naples et le Vésuve »  Johan Christian Dahl  1788-1857  2/« Aube (à Neufchâtel) »  John Ruskin  1819-1900.

…..

Éclairer nos lumières…

BVJ – Plumes d’Anges.

11 commentaires sur “Mises en lumière…”

  1. Dominique dit :

    le tableau du Vésuve me plait infiniment
    Mais Erri de Luca aussi, je le lis surtout pour ses livres sur la Bible j’accroche un peu moins à ses romans mais c’est un auteur magnifique

  2. Aifelle dit :

    Deux magnifiques tableaux encore pour accompagner ces mots d’Erri de Luca ; je ne l’ai pas lu depuis longtemps, il faudrait que j’y pense. Bon après-midi Brigitte, bises.

  3. Marie Minoza dit :

    il faut passer par certains chemins, sombres ou lumineux, ils sont inévitables, ils nous sculptent et nous révèlent, il n’y a rien à regretter, la vie fait « son tour de l’oie »

    ****
    Impressionnant cet extrait..

    ****

  4. angedra dit :

    « Ils donnent à la réalité la lucidité soudaine qui lui retire son opacité naturelle et ainsi la révèle. »
    Les mots et leur pouvoir, leur magie, nous révèlent tant sur ceux qui s’en servent.

  5. Adrienne dit :

    ah oui, j’aime beaucoup Erri de Luca!
    merci Brigitte, bonne fin de journée

  6. Anne dit :

    J’aurai beaucoup à dire, ne sais pas dans quel ordre. D’abord, j’aime Erri de Luca sauf son livre sur la restauration (La nature exposée), ensuite, je pense à toi, car tu m’as fait connaître Antoine Marcel dont j’ai lu Le traité des cabanes, et tout récemment à cause de toi qui le citait, Ma vie dans les monts; j’aime beaucoup.
    Maintenant, à la fin du texte, il écrit que de toutes façons, la réalité existe; mais les philosophes ne sont pas sûrs de cette assertion à laquelle nous croyons; pourquoi serait -elle « soudaine »? Ceci dit, OUI, les mots sont l’instrument des révélations……………

  7. Ulysse dit :

    Merci Brigitte de me faire découvrir ce dernier texte d’Eri de Luca dont j’ai adoré le poids du papillon. je vais me procurer ce dernier ouvrage. Bon week end

  8. Florinette dit :

    La vie fait son « tour de l’oie », j’aime beaucoup cette image ! Merci beaucoup Plumes d’Anges pour ce très beau texte et belle journée, je t’embrasse.

  9. daniel dit :

    Les chemins peuvent être tortueux et semés d’embuche mais il faut toujours avancer !

  10. naline dit :

    J’aime beaucoup cette aube à Neufchatel… et merci pour cet extrait d’E. de Lucca !
    Très belle semaine à toi !

  11. Cet écrivain-poète engagé me touche toujours par ses textes et sa sincérité.
    Merci Brigitte. Je t’embrasse. Belle fin de semaine. Claudie.

Laisser une réponse

*