Faire un bon voyage…

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« … « Allô, docteur, comment se dépêtrer dans une vie qu’on sait devoir s’achever ? »

Cette peur de claquer, ce désir de mettre la main sur le cours d’une existence, de thésauriser, commence très tôt. Subrepticement se met en place une espèce de mentalité d’expert-comptable qui nous interdit de vivre sans but ni esprit de profit. Tout doit rapporter, fructifier. Même la vie spirituelle est assignée à une performance : nous rendre meilleurs. Pourtant, rien ne nous appartient. Absolument tout nous est prêté. Voir que tout est passager, éphémère, qu’on n’y peut rien, nous décharge de la responsabilité de tout maîtriser. Nous sommes embarqués, nous faisons route, c’est tout. Pas de bagages inutiles… Le patron de l’agence de voyages, ce n’est pas nous…

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… La joie se recueille au cœur de cette vie bancale, fragile, tragique, éphémère. J’ai une amie qui dit : « C’est le bordel, mais il n’y a pas de problèmes. »

– Et qu’est-ce-qu’elle propose quand c’est le bordel et que c’est réellement un problème ?

– Rien. Justement, la joie, j’ai l’impression que c’est déjà accepter que des pans entiers de la vie resteront sans remède, qu’ils ne trouveront peut-être jamais de solution et que ça ne va pas forcément s’arranger.

– Tu y arrives, toi ?

– Bien-sûr que non !…

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Chaque matin, je me réveille avec plein de projets, m’obstinant à aller mieux.. C’est naturel et c’est bien. Rien ne contredit davantage le dire oui que la résignation, le fatalisme, l’immobilisme. Cependant, faire la paix avec l’imperfection du monde, l’ambivalence des paysages intérieurs, le tragique, c’est ici et maintenant que ça se passe. La joie inconditionnelle, c’est la joie dans ces conditions, avec les boulets, les casseroles et une foule d’imprévus. Au fond, il s’agit de se faire à l’idée que ça ne va vraisemblablement pas s’arranger, que nous sommes embarqués dans une aventure dont l’issue nous échappe. C’est là que l’ego, dans sa folle volonté de maîtrise doit s’éclipser sauf à nous faire souffrir à jamais…

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Ce soir j’ai rencontré madame et monsieur tout le monde, non des êtres à part, différents, extraordinaires, anormaux, pour employer ces foutues catégories du « on ». Ces visages ne portaient aucun stigmate, aucune étiquette. Nulle part sur leur front, il était écrit : « accro au sexe », assoiffé de tendresse », « coutumier des prostituées »… Ces êtres déchirés, coupés en deux peut-être, me délivrent une leçon magistrale : il existe toujours en la femme et en l’homme une part indemne, infiniment libre, qu’aucun traumatisme ne saurait bousiller. Laissons-la éclater, rayonner ! … »

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Un livre courageux sur l’addiction. L’auteur nous emmène dans son intimité, il traite du chemin de l’attachement vers le détachement. J’ai beaucoup aimé cette phrase « C’est le bordel, mais il n’y a pas de problèmes », être dans la tempête, dans le chaos mais s’occuper à voir « l’étoile qui danse » et à rechercher « la grande santé »

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Extraits de : « La sagesse espiègle »   2018   Alexandre Jollien.

Illustrations : 1/ « Allegro »  2/ « Prélude et fugue »  Mikalojus Konstantinas Ciurlionis  1875-1911.

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Faire là paix avec la réalité de notre monde…

BVJ – Plumes d’Anges.

15 commentaires sur “Faire un bon voyage…”

  1. Un de mes livres préférés, de Lytta Basset, s’intitule « La Joie imprenable ».
    Ce titre m’accompagne dans les tempêtes…

  2. Poussy dit :

    Se proposer la joie, c’est mon mantra, dans le calme et dans les tourbillons.
    Touchée en plein coeur par chaque mot de ce texte, Alexandre Jollien est un cadeau sans prix et tu nous l’offres ce matin.
    Grande joie.
    Je t’embrasse, Bri du ciel bleu et pur.

  3. Fiorenza dit :

    Pendant les vacances de Noël avec mes enfants, nous avons joué à
    « Passer une journée avec une personnalité d’hier ou d’aujourd’hui »…
    Ma fille, sans hésitation, a répondu : Alexandre Jollien !

    C’est une « parenté » de choix qui m’amuse et m’enchante !
    Merci, chère Brigitte, ton billet du lundi nous manquerait …
    s’il n’existait pas 🕊☺️🕊

  4. Tania dit :

    Lire ces extraits me fait du bien ce matin, Brigitte, après un dimanche difficile avec maman. Faire la paix en soi-même n’est pas facile, mais il faut garder ce cap, oui ! Je note donc ce titre et te souhaite une bonne semaine.

  5. Colo dit :

    J’avais vu et écouté attentivement A. Jollien à la Grande Librairie. Il m’avait beaucoup touchée, et ce message joyeux au milieu du bordel que sont parfois nos vies, est très réjouissant.
    Bonne semaine chère Brigitte.

  6. Aifelle dit :

    Un texte à lire et à relire, surtout les jours où le « bordel » paraît prendre toute la place. Heureusement qu’il y a ce genre de balise sur notre chemin, qui nous ramène à plus d’humilité. Bon lundi Brigitte. Bises.

  7. Célestine dit :

    Ce que ça fait du bien de lire cela !
    Merci ma Plume pour ce coup de boost à la joie profonde, celle de vivre, d’exister, et de danser sur le fil du temps…
    •.¸¸.•*`*•.¸¸☆

  8. Nikole dit :

    Troublant, ce texte. N’as-tu, n’avez-vous, comme moi, cette sensation de balancier, de haut-bas, blanc-noir ; d’oscillation entre la joie et le désespoir, et de cette contrainte, vitale, de trouver la mesure dans tout ça, pour sentir et vivre les lueurs en tout état de cause ? Cette sensation de sable qui glisse dans les mains, mais dont on trouve brillants les grains qui restent et qu’on garde avec force. Merci pour ces mots offerts aujourd’hui. Je t’embrasse.

  9. daniel dit :

    Nous n’avons pas le choix. Il nous faut toujours avancer…….Et le mieux pour bien avancer est de savoir s’alléger !

  10. Dominique dit :

    l’addiction est une vaste question, je note la référence car souvent on manque de mots

  11. Je l’ai réservé à la Médiathèque….
    Merci pour cette piqûre de rappel que nous sommes tous des êtres humains avec nos forces et nos faiblesses.
    De ce côté de la rade, ce matin, un mistral très fort. Chez vous sans doute aussi.
    Bonne journée.

  12. Binh An dit :

    Crois-tu à une vie avant la naissance et à une autre vie après la mort ? De la réponse, on ne vit pas cette vie de la même façon.

  13. L’humour de la phrase  » le patron de l’agence de voyage, ce n’est pas nous ! « , m’a fait sourire.
    Merci Brigitte pour cet extrait, la sincérité d’Alexandre Jollien me touche toujours beaucoup…
    Je t’embrasse. Claudie.

  14. Mathilde dit :

    Vive l’ étoile qui danse … !!
    Comme j’ aime la philosophie simplissime et si profonde de ce grand bonhomme …
    C’ est un de mes auteurs préféré … comme un ami qui sait si bien aimer la vie …
    Merci Brigitte

  15. Anne dit :

    Chaque ligne de ce texte me pousse à l’interrogation; tu fais bien de le partager. IL nourrit. ET je vais le relire! Moi, c’et la fin de l’extrait que j’aime, cette part de rédemption qui ferait qu’en chacun de nous existerait une part solaire et saine. Alors, même dans le criminel, même dans l’assassin?

    « Ces êtres déchirés, coupés en deux peut-être, me délivrent une leçon magistrale : il existe toujours en la femme et en l’homme une part indemne, infiniment libre, qu’aucun traumatisme ne saurait bousiller. Laissons-la éclater, rayonner ! …’

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