Chemin d’amour…

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« … Mais le pigeon ne se trouvait pas bien avec les autres animaux de la décharge, de la même façon que le vieil homme ne se trouvait pas bien avec les autres êtres de son espèce dans les villes des hommes, pas plus qu’avec les autres clochards.

Alors parfois il s’éloignait, parcourait de longs trajets dans l’espace – car c’était un pigeon voyageur – et regardait en bas pour voir ce qu’il y avait dans le monde.

Et puis un jour, tandis qu’il passait de son vol bancal dans le ciel, son œil avait été attiré par une corolle bigarrée de sacs et de haillons tout autour d’un vieil homme couché sur un trottoir, comme mort.

Il avait ralenti son vol. Il était descendu. Il s’était posé à terre tout doucement, sur sa patte abîmée.

Il avait regardé le vieil homme qui semblait dormir, tournant deux ou trois fois la tête, l’œil rond.

Mais le vieil homme ne dormait pas.

Il avait entendu le léger bruit de ses ailes et il s’était alors retourné lui aussi pour regarder le pigeon.

Il s’était levé un peu sur son coude, avait farfouillé dans un sac en plastique plein de croûtes de pain sec qui tintaient comme des morceaux de bois.

Il en avait émietté une et l’avait laissée tomber près du pigeon.

Puis il avait refermé les yeux.

De ce jour-là, le pigeon l’avait élu son seul ami au monde.

Et il en avait été de même pour le vieil homme…

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… – Moi j’étais là, tout seul, dans le froid, dans la rue… Pourquoi m’as-tu cherché ?

– J’ai deviné qui tu es, je t’ai reconnu…

Il se taisait.

– Je suis née pour faire quelque chose de grand, je sens en moi la grandeur…, dit-elle encore au bout d’un moment, subitement, d’un trait, dans le noir. Ensemble nous allons faire quelque chose de grand. C’est pour ça que je suis née, c’est pour ça que je t’ai cherché et que je t’ai trouvé…

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Cette nuit-là non plus la fille merveilleuse ne comprit pas pourquoi ce pigeon était venu chez elle, ni d’où il venait, ni ce qu’il était venu lui dire avec ce long voyage entre la mort et la vie qui l’avait laissé à l’agonie sur la coursive.

Mais peut-être que, sans s’en rendre compte, elle comprit quelque chose, qui peut le dire… (…)  Ça fait combien de temps ? se demanda-t-elle. Qu’est-ce qui est arrivé à ma vie ? Pourquoi avant j’étais quelqu’un et puis je suis devenue quelqu’un d’autre ? (…) Elle éprouva alors une énorme douleur, car elle s’était rappelée tout à coup qu’il y avait, enfouie en quelque point inaccessible de sa vie, cette rencontre impossible qu’elle avait recherchée, puis qu’elle avait trahie, ce trésor perdu. Et ce n’était pas seulement lui qu’elle avait trahi, mais elle-même, y compris la partie la plus secrète et la plus haute d’elle-même…

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Ils se prirent par la main, sans parler, et se mirent à marcher en silence dans les rues de l’infinie ville des morts qui se réveillait sous un manteau de neige.

Ils n’entendaient que le bruit de la neige qui se tassait sous leurs chaussures trouées.

Au dessus de leur tête, le pigeon volait de plus en plus invisible et lointain, dieu sait vers quelle nouvelle ville ou vers quels nouveaux mondes, tout en haut dans le ciel, là où se formaient les tourbillons de neige. Puis il disparut… »

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Extraits du bel et étonnant livre : « Fable d’amour »  2015  Antonio Moresco.

Illustrations : 1/« Élevages de pigeons »  – planche 5 –  Gottlob Neumeister  XIXème  2/Carte du XVIIIème – 2 de cœur  – Edition J.S.Haymard   3/ détail d’un tableau  de Piero di Cosimo  1462-1521.

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Nous sommes tous nés pour faire quelque chose de grand…

BVJ – Plumes d’Anges.

8 commentaires sur “Chemin d’amour…”

  1. JC dit :

    Le chemin qui mène à l’amour sont parfois si surprenants mais en même temps si merveilleux ! Belle journée à toi. Bises. Joëlle

  2. Aifelle dit :

    Histoire familière à mes oreilles puisque j’ai lu le livre .. Il m’en reste encore un à découvrir 🙂 Bon lundi Brigitte, bises.

  3. Fiorenza dit :

    La colombe est un oiseau mythique et cette fable en est une belle illustration …

    Merci de nous faire suivre son vol vers les sommets, nous en sommes
    réconfortés, en ce jour du souvenir !

  4. Adrienne dit :

    jolie fable 🙂

  5. Célestine dit :

    Magnifique auteur Antonio Moresco. As-tu lu La Petite Lumière ?
    Bisous ma Plume
    ¸¸.•*¨*• ☆

  6. Dominique dit :

    un bel auteur dont j’aime énorrmément la petite lumière

  7. angedra dit :

    L’amour prend souvent d’étranges chemins… A nous de les voir, les ressentir…

  8. christinegio dit :

    Se laisser guider par les pigeons : voilà un beau programme. Ils nous emmènent vers l’Amour. Moralité : le pigeon c’est mieux que la télé !
    Bises

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