Mémoire du cœur…

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« … Les éléphants, sans aucun doute, comprennent la mort. Ils ne s’y préparent peut-être pas comme nous ; ils n’imaginent peut-être pas des vies compliquées dans l’au-delà, à la façon de nos doctrines religieuses. Pour eux, la tristesse est plus simple, plus propre. Elle porte entièrement sur la perte.

Les éléphants n’accordent pas un intérêt particulier aux os des autres animaux morts, seulement à ceux de leurs congénères. Même s’ils tombent sur le corps d’un éléphant mort depuis longtemps, ses restes dévorés par les hyènes, son squelette éparpillé, ils se rassemblent et la tension est perceptible. Ils s’approchent de la carcasse en groupe et caressent les ossements avec ce qu’on ne peut décrire que comme du respect. Ils caressent l’éléphant mort, en le touchant sur tout le corps avec leur trompe et leurs pattes arrière. Puis ils sentent. Il arrive qu’ils prennent une défense ou un os et l’emportent pendant un moment. Ils mettent sous leurs pieds des fragments d’ivoire, même minuscules, et les font doucement rouler. (…)

J’ai vu passer une fois un troupeau d’éléphants dans la réserve du Botswana, et Bontle, leur matriarche, tomber. S’apercevant qu’elle allait mal, ils tentèrent d’abord de la relever avec leurs trompes et de l’aider à se tenir debout. Comme ça ne marchait pas, quelques-uns des jeunes mâles montèrent Bontle, cherchant à la ranimer. Kgosi, son petit, alors âgé de quatre ans, lui mit sa trompe dans la bouche, comme le font les éléphanteaux pour saluer leur mère. Le troupeau grondait et le petit émettait des sons qui semblaient être des pleurs. Puis tous firent silence. Je compris à cet instant qu’elle venait de mourir.

Quelques éléphants partirent à la lisière de la forêt où ils ramassèrent des feuilles et des branches qu’ils rapportèrent pour recouvrir Bontle. D’autres jetèrent de la terre sur son corps. Le troupeau se tint solennellement près du corps de Bontle pendant deux jours et demi, les éléphants ne s’éloignant que pour aller chercher de l’eau ou de la nourriture en revenant aussitôt. Même des années plus tard, alors que ses os avaient blanchi et étaient dispersés, et que son crâne massif restait coincé dans une courbe asséchée du fleuve, le troupeau s’arrêtait quand il passait et les éléphants restaient immobiles pendant deux minutes au-dessus des restes… »

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Extrait de : « La tristesse des éléphants »  2017  Jodi Picoult.

(Un roman émouvant, une intrigue au dénouement inattendu et parallèlement,

une belle recherche sur la vie des éléphants…)

Illustrations : 1/« Éléphant d’Afrique »  Aloys Zötl 1803-1887  2/« Le jardin des délices » – détail du panneau central – Jérome Bosch  1450-1516.

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Penser paisiblement à ceux dont nous sommes issu(e)s…

BVJ – Plumes d’Anges.

16 commentaires sur “Mémoire du cœur…”

  1. Dominique dit :

    Des animaux qui m’ont toujours sidéré de par leur force et leur ténacité

  2. Aifelle dit :

    Nous aurions beaucoup à apprendre de ces animaux si nous voulions .. C’est un roman que je ne connais pas, je le note. Bonnes semaine Brigitte.

  3. bizak dit :

    Merveilleuse, qu’est la vie en société de ces « grands » éléphants, ils sont plus humains que les humains. J’en rougis pour nos pauvres congénères qui tuent à tout va, ces nobles bêtes pour leurs cornes d’ivoire.
    Bien à toi Brigitte

  4. Cristie dit :

    Des animaux que j’aime particulièrement … !

  5. ulysse dit :

    Un beau témoignage sur des animaux sensibles et intelligents que des cancrelats exterminent pour leurs défenses !

  6. JC dit :

    La lecture de ces quelques lignes ne m’ont pas vraiment étonnée. Les animaux ont leur forme d’émotions; de respect. Ils sont souvent plus dignes que nous ! Belle soirée à toi Brigitte. Bises. Joëlle

  7. Belle et étonnante histoire que tu nous rapportes Brigitte ! Quelle empathie !
    Merci. Je t’embrasse.

  8. Poussy dit :

    Un éléphant, ça trompe énormément.
    On le croit lourd et il n’est que sagesse, douceur, bienveillance et délicatesse.
    Ce qui est raconté là me bouleverse, m’émerveille.
    Merci, ma plume si légère pour nos frères les éléphants.

  9. Adrienne dit :

    magnifique! l’éléphant est mon animal préféré depuis très longtemps… merci, Plume d’Anges!!!

  10. Daniel dit :

    Un beau texte. On a toujours à apprendre des animaux. Si j’osais, je dirais « Quelle humanité ! »

  11. :) dit :

    Oui, merci pour ce beau texte… j’ai pensé tout comme Daniel, puis je me dis aussi « quelle animalité » !!

  12. christinegio dit :

    Impressionnant. Comme les éléphants, nous aussi nous comprenons la mort puisque nous sommes des mammifères. Nous aussi notre tristesse est simple et propre mais nous enfouissons à la fois notre connaissance et notre tristesse. Dommage ! Mais viendra un temps où tout sera à nouveau limpide et cela sera bien.
    Re-re-bises

  13. Pensez-vous que Jérôme Bosch ait vu un éléphant en vrai ?

  14. alezandro dit :

    C’est un extrait émouvant qui me rappelle le superbe roman de Romain Gary « Les racines du ciel ».

    Une petite pensée pour les éléphants de….Solferino!

  15. angedra dit :

    C’est beau, touchant et si proche de nous humains que cela nous entraine vers un émerveillement, vers l’amour !

  16. eMmA MessanA dit :

    Quel beau texte, tant de tendresse dans un animal si imposant, voilà qui est doublement émouvant ! Je note le titre de ce roman. Merci à vous.

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