Poussières…

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« … Nous croyons parfois avoir tout oublié, que la rouille et la poussière des ans ont désormais complètement détruit ce que nous avons un jour confié à leur voracité. Mais il suffit d’un son, d’une odeur, d’un contact furtif et inopiné pour que soudain, les alluvions du temps tombent sur nous sans compassion et que la mémoire s’illumine avec la brillance et la fureur de l’éclair…

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… Le temps finit toujours par effacer les blessures. Le temps est une pluie patiente et jaune qui éteint doucement les feux les plus violents. Mais il est des brasiers qui brûlent sous la terre, des crevasses de la mémoire si sèches et profondes que jusqu’au déluge de la mort, ne suffirait pas, quelquefois, à les faire disparaître. On essaie de s’habituer à vivre avec ces plaies, on amasse silence et rouille sur le souvenir et quand on croit qu’on a tout oublié, il suffit d’une simple lettre, d’une photographie, pour faire éclater en mille fragments la dalle de glace de l’oubli…

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… Le temps passait avec tant de douceur, il glissait entre les maisons et les arbres si lent et si imperturbable, que je n’arrivais même pas à réaliser qu’il s’évaporait entre mes doigts comme un flacon d’alcool…

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… Le bois que j’avais préparé à cette fin était toujours humide, je l’avais pourtant coupé au printemps, avec la lune à son dernier quartier, pour que le vieux tilleul de l’école ne souffre pas et que son bois puisse résister très longtemps sous la terre. Le secret, je l’ai appris de mon père quand j’étais encore enfant. On ne le sait pas, mais un arbre est vivant, il perçoit les choses, il souffre et il se tord de douleur quand la hache entre dans ses chairs, formant stries et nœuds par lesquels pénètreront plus tard la moisissure et les vers qui finiront un jour par le pourrir. Mais avec la lune descendante, les arbres sont endormis et, comme un homme mourant soudain dans son sommeil, ils ne se rendent même pas compte qu’on est en train de les couper. Ainsi leur bois reste lisse, compact, impossible à pénétrer, capable de se maintenir des années sous terre.

J’ai toujours voulu mourir ainsi : comme un arbre assoupi, comme un tilleul envoûté, dans la paix de la nuit, par la lueur de la lune… »

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Extraits de : « La pluie jaune » 1985 Julio Llamazares.

« Illustrations : 1/« Paysage »  Charles Webster Hawthorne 1872-1930  2/« Lune au-dessus de la forêt »  Charles Warren Eaton 1857-1937.

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Traverser les nuits de la vie, avec confiance…

BVJ – Plumes d’Anges.

10 commentaires sur “Poussières…”

  1. Anne dit :

    Quel écriture extraordinaire ! Merci, Brigitte, je vais essayer d’en savoir plus.
    Les nuits de la vie sont parfois bien sombres, mais de manière curieuse, certains mots y allument de toutes petites lanternes….

  2. JC dit :

    Belle métaphore dont la réalité conviendrait à chacun : partir dans son sommeil.Mais auparavant, il nous faut vivre en toute conscience chaque instant présent. Douce journée à toi. Bises. Joëlle

  3. Anne dit :

    Oh la la, c’est magnifique, chaque mot entre en moi; je vais essayer de voir ce qu’il en est de cet auteur, ses livres, mais MERCi!! Je le vis comme un don, une révélation! Je pense que cela tombe sur moi au moment où j’en ai besoin, suis en adéquation avec cette écriture, ce qu’elle dit!!!

  4. Aifelle dit :

    Je suis surtout sensible aux deux premiers extraits et bien sûr à l’écriture ! Ses livres plus récents n’ont pas l’air d’être traduits en français. Bonne semaine Brigitte, bises 🙂

  5. Daniel dit :

    Un très beau texte. Le temps m’a toujours fasciné. On ne peut jamais l’arrêter. Il continue sa route imperturbable. Invisible, il rythme notre vie !

  6. angedra dit :

    Le temps s’évapore… nous nous en rendons compte à partir d’un certain âge. Nous prenons plus conscience encore des bonheurs de la vie.

  7. Merci Brigitte pour cette belle écriture que tu me fais découvrir…! Bonne semaine à toi. Bises.

  8. Mathilde dit :

    Cette semaine une nouvelle a fait  » éclater la Dalle de glace de l’ oubli  » …cela me va très bien …:-(
    Ce texte me touche au coeur …
    Bisous Brigitte

  9. Dominique dit :

    un livre qui m’a enchanté vraiment
    pour faire écho ce matin je lisais Alberto Manguel la curiosité et il a des paroles magnifiques sur la lecture et le bonheur ressenti
    comme le caillou jeté dans l’eau qui fait des ricochets je passe d’un écrivain à un autre avec bonheur ce matin

  10. Tania dit :

    J’avais déjà noté ce titre, les extraits sont magnifiques et parfaitement illustrés. J’y retiens cette phrase : « Le temps est une pluie patiente et jaune qui éteint doucement les feux les plus violents. »

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