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» Monsieur Pou était un homme riche et heureux. Il passait des journées sereines à contempler ses trésors, à caresser ses vases, à déguster à petites gorgées le thé parfumé dans une tasse à la transparence de glacier.
Monsieur Pou était aussi généreux qu’il était riche : ses amis lui rendaient souvent visite et repartaient, qui avec une gravure, qui avec un bijou… Il avait coutume de dire : « Les objets ne nous appartiennent vraiment qu’au moment où nous les donnons ; nous en séparer nous en rend vraiment propriétaire. »
C’était un homme paisible ; aussi bien au début ne s’émut-il pas lorsqu’il entendit parler de collections brisées et de livres brûlés. « Nul ne peut vivre sans beauté », c’était là une autre de ses phrases favorites. Il se sentait protégé par cette certitude jusqu’au soir où, porte défoncée à coups de bottes, ils entrèrent chez lui, le tirèrent de son fauteuil par les cheveux et mirent à sac la maison. Piétiné le tendre jade, écrasé le céladon couleur de nuage, déchirés les paysages de brume et d’eau ; tout fut consciencieusement réduit en miettes ou en échardes. Pour finir, la maison brûla et monsieur Pou trouva refuge dans la bicoque du gardien.
Allongé sur le plancher rugueux, il regrettait ses biens disparus ; mais c’était la haine dans les regards de ses tortionnaires qui faisait le plus souffrir Monsieur Pou.
Puisqu’il était devenu impossible de ne rien acheter d’autre en ville que des bols de terre mal façonnés ou des vêtements rapiécés, il décida de créer lui-même la beauté.
Retrouvant pinceaux et encre grâce à ses amis, il prit goût à tracer des signes, des nuages d’encre, des lignes dansantes. Il se mit à dire en souriant à nouveau : « La joie naît du contentement. Le contentement naît du peu » – réconfort qu’il n’avait eu que peu, il faut le dire, l’occasion de mettre en pratique jusque-là. Jusqu’au soir où ils revinrent, traînèrent Monsieur Pou par les oreilles avant de faire disparaître dans le feu papiers, encre, murs grossiers et toit fuyant.
Monsieur Pou passa plusieurs jours sur le ciment de la cour, hagard, sans la moindre maxime à se mettre sous la dent. Inquiets, ses amis l’emmenèrent hors de la ville.
Monsieur Pou s’assit au bord d’un ruisseau le regard rêveur : il ne connaissait les arbres et les fleurs qu’à travers les peintures délicates et les rouleaux de soie.
Mais après quelques semaines, œil vif, mine éclatante, Monsieur Pou remerciait tous les dieux : il avait découvert la brume au parfum plus léger que l’encens, l’éclat du soleil plus brillant que l’or, la caresse du vent qui fait onduler les herbes, mieux que les traits du plus subtil des calligraphes…
Oh, il n’avait pas perdu tous ses réflexes de collectionneur : il essayait de décrocher la toile d’araignée plus fine que la soie, il cueillait les fleurs bleues et s’étonnait de les voir dépérir, il voulait garder la rivière dans ses mains closes. Mais il apprenait, et petit à petit, le vert de la prairie emplissait son corps et il n’était nul besoin de musique puisque le vent dans les pins chantait dans sa tête.
Lorsqu’ils revinrent, ils eurent beau chercher partout, ils furent incapables de voir Monsieur Pou : il n’y avait plus que le grand ciel bleu et toute la beauté du monde. »
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« La vraie vie de Monsieur Pou » extrait de « Journal de mon jardin zen » 2009 Joshin Luce Bachoux.
Tableaux : 1/« Paravent argenté » Frank Weston Benson 1862-1951 2/« Ruisseau » François-Louis Français 1814-1897.
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Aller vers l’essentiel…
BVJ – Plumes d’Anges.
monsieur Pou a pris contact avec la vraie vie ! Je cherche moi aussi la vraie vie mais souvent mes pensées me cantonnent dans l’illusion. De temps en temps le voile se déchire. Instant fugace !
comme je voudrais me faire un ami de moniseur Pou
Un autre titre de l’auteure m’attend et je m’en réjouis en lisant ton texte du jour 🙂 Bises Brigitte.
Quel joli texte… O apprend chaque jour la beauté dans sa simplicité et sa réalité. Merci Brigitte.
Gros bisous et douce semaine
Monsieur Pou a peu et pourtant il a beaucoup. Il sait rebondir et se réjouir. Merci pour ce conte aussi amusant qu’édifiant.
Là, je suis dans le meilleur des mondes. Quelle merveille, cette histoire subtile et si délicatement profonde, aux mille enseignements!
Splendeur du tout.
Je t’embrasse ma bichette et que le vent chante dans ta tête!
Que c’est beau! Je suis particulièrement sensible en ce moment et ce conte me va droit au coeur, belle soirée et bises