Ailes tendres…

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« … Alors, du feuillage d’un prunier tout blanc qui étend ses branches fleuries au-dessus de sa tête, un oiseau s’envola… D’un seul battement d’ailes, l’oiseau vola jusque sous l’appui de la fenêtre. Il resta un moment sur la fine branche d’un grenadier, mais on le sentait apeuré. Deux ou trois fois, il changea de position ; dans le mouvement qu’il fit, il m’aperçut accoudé à la balustrade, et s’envola soudain. J’eus à peine le temps de me dire que le haut de la branche avait bougé, légère comme de la fumée, que l’oiseau avait posé ses pattes délicates sur un des barreaux de la balustrade.

Je voyais cet oiseau pour la première fois, et naturellement j’étais incapable de lui donner un nom, mais la couleur de son plumage m’émut étrangement. Comme le rossignol, il avait des ailes d’une sobre élégance, et la gorge était rouge foncé, de la couleur des briques ; si délicat qu’au moindre souffle, il s’envolerait. De temps en temps, l’air autour de lui ondulait avec légèreté, et il restait sagement immobile. Pensant que ce serait un crime de l’effaroucher, je demeurai quelque temps accoudé à la balustrade, sans oser seulement remuer le petit doigt, et j’attendis patiemment ; mais contrairement à ce que je pensais, l’oiseau n’avait pas l’air inquiet le moins du monde, et j’ai fini par m’éloigner doucement à reculons. En même temps l’oiseau se retrouva d’un bond sur la balustrade, juste devant moi. À peine une trentaine de centimètres nous séparaient. Presque malgré moi, j’ai tendu la main vers cet oiseau si beau. Celui-ci, comme s’il m’abandonnait sa destinée, accepta la main qui s’avançait vers lui et vint tranquillement mettre dans le creux de ma main ses ailes tendres, ses pattes délicates, sa gorge frémissante. J’ai regardé alors sa petite tête arrondie et j’ai pensé : »Cet oiseau… » Mais je n’arrivais pas à continuer. La suite restait enfouie au fond de mon cœur, comme si l’ensemble était légèrement brouillé. S’il était possible, à l’aide d’un pouvoir mystérieux, de rassembler au même endroit tout ce qui recouvre le fond du cœur, et d’en distinguer nettement les contours, cette forme… eh bien, je crois que ce serait quelque chose de la même couleur que l’oiseau que je tenais à présent, là, dans le creux de ma main, oui, la même chose. Je mis immédiatement l’oiseau dans une cage et me perdis dans sa contemplation, jusqu’à ce que l’ombre du soleil printanier fût devenue oblique. Je me demandais quels sentiments animaient l’oiseau pendant qu’il me regardait… »

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Extrait de : « Petits contes de printemps – Les replis du cœur »  Sôseki.

Illustrations : 1/« Pigeon et fleurs de pêcher » Isen’in Hoin Eushin   (peinture inspirée par Zhao Ji  –> ICI ) 1775-1828  2/« Orchidées et colibris »  Martin Johnson Heade 1819-1904.

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Maitriser notre sauvagerie pour nourrir de belles relations…

BVJ – Plumes d’Anges.

14 commentaires sur “Ailes tendres…”

  1. solveig dit :

    Ce texte est magnifique de douceur et de poésie …
    Mais je n’aime pas la chute, tant je déteste de voir les oiseaux dans une cage !
    Dommage … mais peut-être l’a-t-il relâché ?
    Bises Brigitte, belle journée.

  2. Dominique dit :

    Sôseki n’était pas bon seulement en Haïkus : ce texte est superbe et je sens que je vais pianoter pour voir où le trouver

  3. Tout ce texte est émouvant et sensible, mais je ne comprend pas pourquoi il a mis l’oiseau-coeur en cage. Un coeur ne se met pas en cage. Au contraire toute la liberté le laissera revenir. Belle journée à toi. Amitiés. Joëlle

  4. Aifelle dit :

    Comme les commentatrices précédentes, je ne comprends pas trop pourquoi ça se termine dans une cage ? tradition japonaise ? Mais le texte est magnifiquement écrit.

  5. Un seul oiseau en cage et la liberté est en deuil !
    Il faut absolument ouvrir la cage à ce magnifique oiseau qui s’envolera d’un bruissement d’ailes vers de nouveaux horizons…

    Merci pour ce beau texte et belle journée ma grande 🙂

  6. Naline dit :

    S’apprivoiser… comme le petit prince et le renard.
    Merci pour ce beau texte !

  7. Didi dit :

    Tout est très beau !
    J’aime beaucoup merci pour ce partage.

  8. Pâques dit :

    Ce texte est superbe, tendre, fragile mais je suis déçue par la fin …

  9. Evelyne dit :

    Très beau texte de Soseki. Merci Brigitte.

  10. Poussy dit :

    Quel régal!

    Ce qui me fascine, c’est le don d’amour total que fait cet oiseau à cet homme en remettant sa vie entre ses mains…

    C’est la preuve d’une confiance inconditionnelle, et peut-être l’oiseau sait il que l’homme sidéré veut le contempler et se nourrir encore un peu avant bien sûr de le relâcher…

    oui, j’en suis sûre, c’est comme cela que l’histoire continue, ça ne peut pas être autrement, ah que c’est beau!

  11. Daniel dit :

    Comme les autres je trouve l’histoire très belle et bien écrite mais je n’aime pas la fin. Pauvre oiseau privé de liberté !

  12. masyl dit :

    Je ne savais pas que Soseki avait aussi le talent d’écrire de si beau texte ! La fin est étrange et m’interroge ! Pourquoi cet oiseau se laisse-t-il enfermer ? Il est apeuré et retrouve un apaisement lorsqu’il se pose dans le creux de la main… Peut-être un oiseau qui avait l’habitude de la vie en cage… Merci pour ce très beau texte poétique ! Belle fin de journée

  13. LOU dit :

    J’aime observé les moineaux, mésanges, verdiers, serins et d’autres inconnus, derrière le carreau, respirant en souffles mesurés, immobile… souriant et analysant leurs comportements dans leur société… Le jardin en est riche et la présence de la maisonnette aux graines augmente mon plaisir… 😉

  14. LOU dit :

    observER 🙁

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