Eternité…

.

.

« … Il faudra bien un jour se passer de « nouvelles ». La lecture de journaux ne nous apprend jamais en effet que ce qu’on ne savait pas encore. D’ailleurs, c’est exactement ce que l’on recherche : du nouveau. Mais ce qu’on ne savait pas, c’est précisément ce qu’on oublie aussitôt. Parce qu’une fois qu’on sait il faut laisser la place à ce qu’on ne sait pas encore et qui viendra demain. Les journaux n’ont aucune mémoire : une « nouvelle » chasse l’autre, chaque évènement remplace un autre, qui disparaît sans laisser de trace. Les rumeurs enflent, puis brusquement retombent. Les « on-dit » se succèdent, cascade informe et perpétuelle…

.

… Mais dès qu’on marche, tout ceci n’a plus d’importance. D’être mis en présence de ce qui absolument dure nous détache de ces nouvelles éphémères qui ordinairement nous rendent captifs. C’est étonnant comme, de marcher loin, longtemps, on en vient même à se demander comment on pouvait y trouver intérêt. La lente respiration des choses fait apparaître le halètement quotidien comme une agitation vaine, maladive.

La première éternité qu’on rencontre est celle des pierres, du mouvement des plaines, des lignes d’horizon : tout cela résiste. Et d’être confronté à cette solidité qui nous surplombe fait apparaître les menus faits, les pauvres nouvelles, comme ces poussières balayées par le vent. C’est une éternité immobile, vibrant sur place. Marcher, c’est faire l’expérience de ces réalités qui insistent, sans faire de bruit, humblement – l’arbre poussé au milieu des rochers, l’oiseau qui fait le gué, le ruisseau qui trouve son cours – sans rien attendre.


Marcher fait taire soudain les rumeurs et les plaintes, arrête l’interminable bavardage intérieur par lequel sans cesse on commente  les autres, on s’évalue soi-même, on recompose, on interprète. Marcher fait taire l’indéfini soliloque où remontent les rancœurs aigres, les contentements imbéciles, les vengeances faciles. Je suis face à cette montagne, je marche au milieu des grands arbres et je pense : ils sont . Ils sont là, ils ne m’ont pas attendu, là depuis toujours. Ils m’ont indéfiniment devancé, ils continueront bien après moi.

Il arrivera bien un jour où l’on cessera aussi d’être préoccupé, accaparé par nos tâches, prisonniers d’elles – sachant que, pour beaucoup, c’est nous qui nous les inventons, qui nous les imposons. Travailler : amasser des économies, être aux aguets perpétuellement pour ne rien rater des occasions de carrière, convoiter telle place, terminer en hâte, s’inquiéter pour les autres. Faire ceci, passer voir cela, inviter un tel : contraintes sociales, modes culturelles, affairement… Toujours à faire quelque chose, mais être ? On laisse pour plus tard : il y a toujours mieux, toujours plus urgent, toujours plus important à faire. On remet à demain. Mais demain porte avec lui les tâches du surlendemain. Tunnel sans fin. Et ils appellent cela vivre… »

.


Extraits de : « Marcher, une philosophie » 2009 Frédéric Gros.

Tableaux : 1/« Lac de Thun »  Leberecht Lortet 1826-1901  2/« Mont Wendelstein »  Carl Spitzweg 1808-1855  3/« Le Grossvenediger »  Anton Hansch 1813-1876.

…..

Être plutôt que faire…

BVJ – Plumes d’Anges.

15 commentaires sur “Eternité…”

  1. telos dit :

    marcher c’est laisser son identité sociale.. je pars dans la boue, seule au lever du jour..

  2. Manée dit :

    Ces trois tableaux sont magnifiques et me rappellent de belles promenades !
    Marcher au milieu des grands arbres et des fougères, voilà un régal pour le corps et l’esprit …
    Très belle journée ma grande 🙂

  3. Kenza dit :

    Nature grandiose, sereine et éternelle! Alors laissons les tracas de côté…
    J’aime bien commencer ma journée par chez toi, ça me redonne de l’énergie!
    Merci Brigitte, je te souhaite une très belle journée

  4. Etre toujours en quête de nouvelles et de nouveautés et se confier à la tranquillité de l’immuable , voici qui résoudrait notre éternel dilemme. Textes et images forment un bel ensemble dans ce billet, comme toujours. Voilà bien une constance des plumes d’anges qui est plaisante à retrouver .

  5. LOU dit :

    Etre avant de faire : c’est pourquoi je suis souvent « décalée » aux yeux de certains…
    Et c’est pourquoi, encore, j’aime partir… ailleurs, en vacances, en promenade, en ballades. Brisant ainsi le temps minuté, la pendule au mur, la montre au poignet. Prendre le temps, laisser reposer les battements du coeur, prendre la dimension du temps, des distances, ne plus savoir ce qui se passe dans le monde, avec malgré tout la petite appréhension que la terre s’arrête de tourner. Bises à toi… 😉 et bon vendredi, parce que demain samedi on pourra ralentir alors… 😉

  6. Daniel dit :

    Un très beau texte. J’aime marcher. Cela fait du bien à mon âme. Marcher c’est être en contact avec la nature, la comprendre, la respirer. J’aime aussi la notion d’éternité. Nous sommes des pèlerins de l’éternité qui avançons de vie en vie et de mort en mort. Les nouvelles passent mais notre âme est éternelle.

  7. Aifelle dit :

    J’en connais aussi hélas qui marchent comme ils vivent ; plus vite, plus loin, avec le souci de la performance accomplie .. heureusement il reste les rêveurs, les méditants et les vrais amoureux de la nature.

  8. Mathilde dit :

    Voilà exactement pourquoi pourquoi j’ aime marcher…en compagnie de mon chien…!!
    Je découvre avec toi le lac de Toûne ou Thun …je ne le savais pas aussi beau…
    Marcher en se laissant aspirer par les paysages , le regard curieux de tout, respirant chaque seconde…
    C’ est mon grand-père qui m’ a appris à marcher dans les forêts d’ Alsace…tous les jours je l’ en remercie..
    On ne revient jamais tout à fait le même en rentrant…:-))
    Je vais lire ce livre…
    Bisous Brigitte

  9. Nathanaëlle dit :

    Tout va trop vite, l’homme va trop vite, mais la beauté demeure, impassible à la course de l’humain pressé de vivre. Dès que je le peux, je prend « un bain » de nature, déjà dans mon jardin, je me ressource, mais marcher dans la Nature, avec un N majuscule est un besoin pour moi. Merci Brigitte, encore un livre que je vais m’empresser de trouver, j’aime beaucoup les ouvrages que tu nous présente si merveilleusement.
    Bisous Brigitte et doux week-end !

  10. Patrick dit :

    Je ne suis pas à la recherche de l’éternité mais bien de la richesse du moment présent. Celui qui agit immédiatement sur les sens, celui qui me transporte à la vue d’un paysage, d’une lecture ou lors d’un regard croisé. Le tien est subtil, il interpelle et interroge. Il bouscule l’instant pour marquer la mémoire de son empreinte. J’apprécie, je savoure, je vois, j’entends…
    Belle journée à toi. Amitiés.

  11. C’est quoi demain demande l’enfant dans un film d’Angélopoulos
    – » L’Éternité et un jour ! »
    Bises amicales. Joëlle

  12. Dominique dit :

    quand je vois écrit le mot « marche » hop je suis le fil rouge …….
    c’est bon de lire ces lignes qui enjoignent de prendre le temps même si pour moi en ce moment la marche est encore une épreuve de force !

  13. naline dit :

    J’aime ces parcelles d’éternité.
    Un petit ouvrage dans lequel je me plonge souvent et que je redécouvre chaque fois avec plaisir !

  14. Arlette dit :

    Ton article m’interpelle en profondeur car je suis confrontée à ce dilemme de m’inquiéter pour les autres, et du besoin de la nature et en particulier des arbres qui me sont aussi nécessaires que l’air que je respire. Bonne fin de journée Brigitte. Arlette

  15. Florinette dit :

    La marche est essentielle pour moi, j’ai besoin de se contact avec la nature loin du brouhaha que nous impose notre société. C’est même souvent durant la marche que des solutions à des problèmes qui me contrarient apparaissent… Bon dimanche Plumes d’Anges, je t’embrasse

Laisser une réponse

*