Grand rêve…

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« … Le rêve du Vieux*

Les hommes découvrent et ils inventent. Quand ils découvrent, les unes après les autres, les lois cachées de la nature et ce qu’ils appellent la vérité, ils font de la science. Quand ils se livrent à leur imagination et qu’ils inventent ce qu’ils appellent la beauté, ils font de l’art. La vérité est contraignante comme la nature. La beauté est libre comme l’imagination.

Copernic découvre. Galilée découvre. Newton découvre. Einstein découvre. Et chacun d’eux détruit le système qui le précède. Homère invente. Virgile invente. Dante invente. Michel-Ange, Titien, Rembrandt, Shakespeare, Racine, Bach et Mozart, Baudelaire, Proust inventent. Et aucun d’entre eux ne détruit les œuvres qui le précède…

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… Le rêve du Vieux

« Hier, je me suis endormi dans l’herbe et je me suis réveillé avec un chœur d’oiseaux qui chantaient autour de moi, avec des écureuils qui grimpaient aux arbres, avec un pivert qui riait, et c’était une scène ravissante, et je me moquais comme d’une guigne de l’origine de ces oiseaux et de ces animaux. » Qui a écrit ces lignes ? C’est Darwin. Le même Darwin parle quelque part de « l’infinité des formes les plus belles et les plus merveilleuses ». Et il ajoute que là est « la question la plus intéressante, la véritable âme de l’histoire naturelle ».

Le monde n’est pas un chaos. Il y a de l’ordre dans l’univers. Il y a de la beauté dans l’univers. D’où vient l’ordre ? D’où vient la beauté ? Personne n’ôtera de la tête de beaucoup d’êtres humains l’idée que le monde est un projet en œuvre et qu’en dépit de tant de mal et de tant de souffrances il garde un sens caché.

La science d’aujourd’hui détruit l’ignorance d’hier et elle fera figure d’ignorance au regard de la science de demain. Dans le cœur des hommes il y a un élan vers autre chose qu’un savoir qui ne suffira jamais à expliquer un monde dont la clé secrète est ailleurs…

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… Le rêve du Vieux

Leurs peintres, leurs sculpteurs, leurs écrivains, leurs philosophes m’imaginent souvent irrité, accablé, vindicatif, en colère. Je ne suis bien sûr rien de tout cela. Si j’étais quelque chose d’humain, de trop humain, je serais plutôt enchanté de mon œuvre et léger comme ces anges que leurs ailes empêchent de tomber dans les abîmes des pensées et des sentiments qui vous agitent, vous autres, les hommes, emportés par l’orgueil.

Il arrive au monde de me causer du chagrin. Mais le plus souvent il m’amuse. Il est plein de surprises. Ce qui m’est ôté par Darwin m’est rendu par Einstein…

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… Nous sommes sur Terre pour aimer, pour être heureux, pour nager dans la mer, pour nous promener dans les bois. Peut-être même pour faire de grandes choses ou pour jouir de la beauté. Peut-être…

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… Admiration…

… Gaieté…

… Gratitude…

… Tout est bien. »

* Vieux : terme employé par Einstein pour désigner Dieu, dans une lettre adressée au physicien Max Born le 4 décembre 1936.

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Extraits de : « C’est une chose étrange à la fin que le monde » 2010  Jean D’Ormesson.

Illustrations : 1/« l’enfant Jésus »  Melchior Paul von Deschwanden 1811-1881 2/« Allégorie d’Avril : le triomphe de Vénus (détail) Francesco del Cossa 1436-1487  3/« Monts Triglav en Slovénie »  Anton Karinger 1829-1870.

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Prendre conscience de la Grandeur du Monde…

BVJ – Plumes d’Anges.

9 commentaires sur “Grand rêve…”

  1. Phène dit :

    Ce cher d’Ormesson écrit divinement et mérite bien son statut d’immortel… Bien amicalement, chère Brigitte

  2. Aifelle dit :

    Quand on lit un texte de lui, on l’entend en même temps et on le voit … cet air espiègle qu’il a de plus en plus en vieillissant.

  3. Dominique dit :

    un auteur assurément espiègle mais qui dit de fort belles choses
    j’aimerai assez me réveiller avec des choeurs d’oiseaux

  4. Poussy dit :

    Je sais bien qu’il n’y a ni hasard ni coïncidences, mais quand même, je suis troublée parce qu’aujourd’hui je me suis baignée dans la mer, je me suis promenée dans les bois (N.D. du Mai), j’ai cherché ce que Copernic avait découvert pour une amie qui s’interrogeait sur la Sphère de Ptolémée, et …… Bach m’a tenu compagnie une partie de l’après-midi pendant que je peignais un meuble, avec un concerto brandebourgeois aussi éblouissant que Jean d’Ormesson lui-même!

    Je crois aussi que « le monde est un projet en œuvre » dont on fait partie, quelle émotion d’en prendre conscience!

    Je t’embrasse

  5. ventisqueras dit :

    questi tuoi angeli volano leggeri nei cieli dell’arte e della musica, lo spirito si eleva in alto con le sue ali colorate e si cammina ai limiti del sogno
    post davvero magnifico. certo ritornerò perché mi piaciuto davvero tanto
    un grande abbraccio amichevole a te e a tutti i tuoi dolcissimi angeli
    Ven

  6. Eve dit :

    Arriver à être dans l’intimité d’une pensée d’autant plus celle d’un être suprême,c’est d’une grande prouesse et cela nous éclaire finement. L’âge, l’intelligence et l’humour aidant, JeanDor, comme on l’appelle, est à son plus haut niveau.
    Après avoir lu ce texte, le monde paraît si simple et je suis heureuse d’en faire partie, électron libre
    d’un grand ensemble harmonieux par moments, cahotique à d’autres.

  7. Daniel dit :

    C’est un très beau texte. J’ai toujours pensé que le monde était en constante mutation. Ce qui est vrai aujourd’hui ne le sera peut être pas demain. Il n’y a pas de vérité, donc il est inutile de créer des dogmes. Il ne sert à rien de s’accrocher à l’acquis. Cela ne peut entraîner que des peurs.

  8. Nathanaëlle dit :

    Coucou Brigitte,
    On reste sans voix à la lecture du magnifique texte de Jean d’Ormesson, nous sommes sur terre pour aimer, pour jouir de toutes les beautés de cette merveilleuse planète. Certains hommes créent des carcans pour les autres, heureusement, d’autres restent éclairés et éclairent la voie, mais ce ne sont pas eux qui mènent le monde, c’est l’un des carcans : l’argent. Tout bouge, tout va, tout évolue, rien n’est figé et le Tout Puissant lui-même souhaite que l’on aille vers la beauté, tant celle que l’on peut admirer, celle que l’on peut créer, et celle du coeur. Non, Dieu ne peut être rigide et furieux, bien au contraire. Prenons le temps de regarder un papillon, les perles de la pluie, le brouillard du matin, les pétales d’une pâquerette, les flocons de neige ou la montagne d’en face. Tant de beautés ne peuvent être le fruit du hasard…
    Merci Brigitte pour ton billet plein de lumière.
    Bisous

  9. Mathilde dit :

    Comme toi , qui en a pris de ce si beaux extraits , j’ ai beaucoup aimé le livre de Jean d’ Ormesson
     » C’ est une chose étrange à la fin que ce monde « ….
    C’ est une lecture lumineuse pleine d’ optimisme et de gaité…Il plante les mots pour nous font ainsi un décors fabuleux de la vie :
     » J’ ai beaucoup aimé les mots .Ils sont la forme , la couleur et la musique du monde… »
    Avec lui on a envie de vieillir car on a envie d’ apprendre et aussi de croire…même et surtout en se posant des questions :
     » Je doute de Dieu parce que j’ y crois , je crois en Dieu parce que j’ en doute , je doute en Dieu… »
    Merci Brigitte…plein de bisous

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