Route…

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« … « Depuis le temps que j’en rêvais », voilà ce qu’elle a dit. C’est drôle comme on connaît peu les rêves de ses parents…

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… Poser mes doigts sur les reliures en veau patiné, les dorures à l’or fin.

Le sentiment d’avoir droit enfin, d’un coup, à ce qui est rare, à ce qui est beau. Tout simplement…

J’étais bouleversé. De ces livres à moi quelque chose se communiquait. Un pouvoir. Étrange.

Celui de la rareté, de la beauté…

C’est quoi la richesse ?

C’est ce sentiment de devenir précieux soi-même parce qu’on a le droit de toucher les choses précieuses ?…

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… Moi j’avais besoin de gens qui cherchent, pas de ceux qui ont l’air d’avoir déjà tout trouvé. Les phrases bien rodées me faisaient tourner les talons…

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… Je pouvais m’inclure parmi les autres en marchant simplement dans les rues. Ça, c’était une émotion nouvelle.

J’ai continué à marcher, sans chercher à comprendre ce que j’éprouvais. C’était à vivre, c’est tout.

Et après tous mes jours et toutes mes nuits inquiètes, c’était bon à vivre.

Mon visage s’offrait aussi au regard des autres. Un partage. Simple. Et ça me suffisait. Je me foutais bien de la mondialisation. Ce que j’avais cherché, ce qu’on cherchait tous, c’était ça, ce sentiment d’être chez soi sur terre, c’est tout, non ? Avec les autres, tous les autres…

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… Mon père, qu’as-tu fait de tout ce temps ? As-tu été heureux ? Est-ce-que nourrir sa famille suffit à remplir une vie d’homme ? Comme c’est étrange de penser que pour être une famille « normale » il faut être séparés toute la journée, le père à l’usine, nous à l’école, la mère à la maison. Une famille normale ne regarde jamais le soleil se lever, parents et enfants ensemble, en silence. Est-ce qu’on ne pourrait pas avoir un peu plus de temps ensemble chaque jour pour se promener ou contempler le vol des oiseaux ou chanter une chanson ? Je suis sûr que tu aurais aimé, papa, nous embarquer sur ton bateau et faire voile. La force qui m’a poussé loin de vous, elle était en toi aussi ? En chacun de nous ?…

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… Je marchais.  Je sentais qu’un nouvel ordre de vie était en train de réagencer toutes mes perceptions.

C’est ça une révolution ?

J’ai posé la question à Marcel un soir. Il a hoché la tête.

– Pendant longtemps tu sais, Antoine, j’ai cru que la révolution, c’était tout le monde ensemble, à la même heure, au même endroit. Le grand soir ou le grand matin. Et puis j’ai compris que c’était solitaire, ce qui se passait vraiment. À l’intérieur de chacun. Et ça, ça ne peut pas se faire tous ensemble, à la même heure. C’est dans chaque vie quelque chose du possible, on y va ou on n’y va pas. Après, si on peut, on se rassemble avec les autres… Toi, c’est ici que ça se passe mais ça avait commencé déjà. Au marché déjà…

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… Impossible Thaïs ! vous êtes sur votre route ! ça se voit ! personne ne peut plus vous arrêter avec des balivernes. C’est difficile une route, et douter c’est pas mal non plus. Ils me fatiguent les gens trop sûrs d’eux… mais vous, vous êtes assez intelligente pour douter.  Ne vous laissez pas tirer en arrière, mon petit. On n’a pas l’éternité devant nous. Juste la vie… »

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Extraits de : « Les insurrections singulières » 2011  Jeanne Benameur.

Illustrations : 1/« Livres »  Jacques Bizet 1872-1922  2/« Hauts fourneaux »  Joseph Pennel 1860-1926  3/« Anna Obolenskaya »  Carolus Duran 1861-1917.

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Suivre la route de nos rêves…

BVJ – Plumes d’Anges.

5 commentaires sur “Route…”

  1. Phène dit :

    Oui, le doute permet au pèlerin d’avancer sûrement… Bien amicalement, chère Brigitte

  2. solveig dit :

    Je me retrouve dans cette vision de la famille mais n’aurais pas su si bien le dire.
    Merci pour ces très beaux textes.
    Bises Brigitte.

  3. Dominique dit :

    Un bien beau texte mais je lorgne surtout le premier tableau qui me plait infiniment

  4. Poussy dit :

    Il y avait déjà cette merveilleuse phrase de St-Augustin que j’ai accrochée chez moi et qui m’inspire inlassablement : » Avance sur ta route, car elle n’existe que par ta marche ».
    Là, grâce à toi, j’ai envie de m’attarder un temps sur celle de Jeanne Benameur, « la route blanche », qui paraît si lumineuse…
    Voilà voilà, je me mets en route!

    Merci Brigitte pour cette direction nouvelle, ah qu’il est bon d’être guidée, de contempler, de suivre, de partager!

    Je t’embrasse, à demain

  5. LOU dit :

    Amoureuse des livres depuis l’enfance, les livres reliés cuir et or ont été longtemps hors de ma portée. Puis avec le temps… une amie, orfèvre en reliure, à qui j’ai confié de vieux livres m’a permis d’avoir ces trésors dans ma bibliothèque. Dans quelques jours, sur l’étagère de ma maisonnette, tu feuilletteras ce que j’y ai déposé : étrange cette concordance…

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