Blancheur immaculée…

.


.

« … Il m’a fallu venir dans les montagnes pour retrouver le besoin de parler avec le monde, comprenez-vous ?…

.

… Ce blanc qui habitait les profondeurs du miroir, c’était la neige, au cœur de laquelle se piquait le carmin brillant des joues de la jeune femme. La beauté de ce contraste était d’une pureté ineffable, d’une intensité à peine soutenable tant elle était aiguisée, vivante…

.

Elle porta son regard vers le ciel, qui avait la pureté d’un cristal. Au loin, sur les montagnes, la neige avait une tonalité crémeuse et tendre et se voilait, eût-on dit, d’une mousseline de fumée…

.

… Certains des kimonos de Shimamura étaient faits de l’étoffe tissée par ces mains féminines, probablement vers le milieu du siècle passé, et il avait lui-même conservé l’habitude de les envoyer « blanchir à la neige »…

.

.

… Le blanchissage « à la neige », depuis des âges et des âges déjà, était assuré par des spécialistes, les tisserands eux-mêmes ne s’en occupaient pas. On blanchissait à la fin du tissage le Chijimi* blanc, par pièces entières, tandis que la toile avec des couleurs était traitée sur le cadre même, au fur et à mesure, en cours de fabrication. La meilleure saison pour ce faire tombait aux mois de la première et de la deuxième lune. Prés et jardins, à cette époque très enneigés, se transformaient partout en ateliers de blanchiment.

On commençait par tremper le fil ou l’étoffe, toute une nuit, dans une eau de cendre. Lavé à grande eau le matin, bien essoré, on l’exposait alors tout le jour sur la neige, recommençant de même jour après jour. À la fin de l’opération, Shimamura l’avait lu récemment, quand la toile atteignait à la blancheur immaculée et recevait la caresse du soleil rouge du matin, le spectacle dépassait toute description. Les habitants des provinces méridionales, ajoutait le vieil auteur, devraient tous aller le voir. » Et lorsque la blancheur arrivait à la perfection, le printemps arrivait aussi : c’était le signe propre du printemps dans le Pays de Neige…

.

… Et les connaisseurs de l’ancien temps ne manquaient pas d’expliquer, comme un effet harmonieux des principes échangés de la lumière et de la nuit, la fraîcheur remarquable de cette toile, tissée dans le froid de l’hiver, qui se perpétuait jusque dans la chaleur du plus torride été… »

* Chijimi : toile de chanvre

.


Extraits de : « Pays de Neige »  Yasunari Kawabata 1899-1972.

Illustrations : 1/« Rivière et montagnes enneigées » 3/« Province de Bizan »  Utagawa Hiroshige 1797-1858  2/« Femmes sous les arbres »( détail du feuillet 4 du paravent) VIIIème  Artiste inconnu.

…..

Tendre à l’excellence…

BVJ – Plumes d’Anges.

11 commentaires sur “Blancheur immaculée…”

  1. alexandra dit :

    Un très joli billet! Très poétique.
    Bonne journée Brigitte .

  2. Dominique dit :

    Le japon le matin c’est bon pour moi qui peine sur la rédaction de trois billets japonais !! tu viens me donner un petit coup de main dont je te remercie

    Tu me permets de mettre un lien vers ce billet dans un des miens n’est ce pas ?

  3. Pâques dit :

    Je ne connaissais pas ce procédé le blanchissage à la neige…
    TRès joli billet !
    Merci pour ton petit mot chez moi , je te souhaite un bon anniversaire !!!

  4. Aifelle dit :

    Les estampes sont magnifiques, je ne connaissais pas non plus cette technique de blanchissage.

  5. anne dit :

    Je viens de rattraper mes 3 derniers articles laissés en attente et je reste sous le charme de ce que tu proposes comme illustrations ou textes; je te suis fidèle depuis longtemps et jamais je n’ai été déçue.bon week-end!!

  6. Evelyne dit :

    Je pense à un album pour enfant, un renard dans la neige, le silence et tout ce blanc… je recherche le titre et je te dis. Bise.

  7. Lily dit :

    Blanchissage, pas facile à prononcer, mais quel symbole qu’il se termine avec l’arrivée du printemps ! Au début je croyais que c’était des extraits de « Neige » de Maxence Fermine, un livre que j’ai aimé, mais pas trop tout de même. Une sensation de froid dans le coeur. J’aime particulièrement la dernière estampe proposée. Ces creux, ces monts, ces arbres et ces flocons … Très reposant !

  8. TG dit :

    Ces dessins sont admirables…

  9. Poussy dit :

    Pour moi qui aime penser que le blanc est une valeur et non pas une couleur, ce billet est un délice!

    L’amitié de la neige pour le chanvre, celle des montagnes pour le monde, celle de la nature pour les humains et l’inverse, celle du jour et de la nuit, celle des saisons entre elles…

    L’entraide absolue, quelle beauté!

    Je te dis merci

  10. masyl dit :

    Étonnant que tu parles de Kawabata car dans ma pile de livres à lire j’en ai un qui m’attend patiemment : « Nuée d’oiseaux blancs » ! tu m’as donné envie de le lire rapidement. Les peintures choisies pour illustrer ce texte me plaisent infiniment ! Ces couleurs douces, cette finesse d’exécution aboutissent à des oeuvres incroyablement douces et fortes à la fois. Merci pour ce voyage !

  11. Florinette dit :

    Un blanchissage tout en poésie. Merci pour ce beau moment !

Laisser une réponse

*