.
.
… » Car un laque décoré à la poudre d’or n’est pas fait pour être embrassé d’un seul coup d’œil dans un endroit illuminé, mais pour être deviné dans un lieu obscur, dans une lueur diffuse qui, par instants, en révèle l’un ou l’autre détail, de telle sorte que, la majeure partie de son décor somptueux, constamment caché dans l’ombre, il suscite des résonances inexprimables.
De plus, la brillance de sa surface étincelante reflète, quand il est placé dans un lieu obscur, l’agitation de la flamme du luminaire, décelant ainsi le moindre courant d’air qui traverse de temps à autre la pièce la plus calme, et discrètement incite l’homme à la rêverie…
.
…Parfois le poudroiement d’or, qui jusque-là ne renvoyait qu’un reflet atténué, comme assoupi, à l’instant précis que l’on passe sur le côté s’illumine d’un soudain flamboiement, et l’on se demande, stupéfait, comment a pu se condenser une lumière si intense dans un lieu aussi sombre.
C’est là que j’ai su pour la première fois les raisons qui ont fait que les anciens couvraient d’or les statues de leurs bouddhas, et pourquoi l’on plaquait d’or les parois des pièces où vivaient les gens de qualité. Nos contemporains, qui vivent dans des maisons claires, ignorent la beauté de l’or. Mais nos ancêtres qui habitaient des demeures obscures, s’ils éprouvaient la fascination de cette splendide couleur, en connaissaient aussi bien les vertus pratiques. Car dans ces résidences chichement éclairées, l’or sans doute jouait le rôle d’un réflecteur. En d’autres termes, l’usage que l’on faisait de l’or en feuilles ou en poudre n’était pas un luxe vain, mais il contribuait, par l’utilisation judicieuse de ses propriétés réfléchissantes, à donner plus de lumière… Si dans les tissus anciens l’on usait à profusion de fils d’or ou d’argent, il est évident que c’était pour la même raison. Le meilleur exemple de cela n’est-il pas cette étole de brocart que les moines portent autour du cou ? De nos jours, les édifices religieux des villes sont pour la plupart des bâtisses claires, propres à attirer la foule des fidèles ; là ces étoles paraissent inutilement voyantes et n’inspirent que bien rarement le respect, fût-ce au cou du prélat le plus digne ; mais sur les mêmes religieux, assis en rang, lors d’un office de liturgie ancienne célébré dans quelque monastère historique, l’on est forcé d’admirer l’harmonie que forme la peau ridée des vieux moines, le scintillement des lampes devant les statues des bouddhas, la texture de ces brocarts, et l’on mesure à quel point en est accrue la solennité de l’heure ; car exactement comme dans le cas des laques dorés, la majeure partie des dessins chatoyants du tissu disparaît dans l’ombre, car les fils d’or et d’argent ne font que jeter de temps à autre un bref éclair. »…
.
…
« Éloge de l’ombre » 1978 Junichirô Tanizaki.
Illustrations : 1/ Petit sanctuaire portatif en bois laqué et or – British Museum 2/ »Mandala du Monde de la matrice » 11ème siècle – Musée de Nara.
…..
Évanescence de la lumière…
BVJ – Plumes d’Anges.
Je suis passée te lire ce matin.
Belle journée
Je n’avais jamais pensé à cet aspect de l’or ..
La magie de l’or qui a fait rêvé plus d’un! et surtout plus d’une!!!!!!!!!Tu m’as appris beaucoup ! bonne soirée!
Eloge de l’ombre, l’un de mes livres préférés.
Quelle belle évocation de l’or ! Tu me donnes envie de découvrir ce livre !
Belle fin de semaine, toute lumineuse !
Un livre que j’aime aussi et cet extrait est magnifiquement illustré comme toujours
fascinant, tout simplement…