Blanche nuit…

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« … Si l’on considère les différents aspects de la montagne suivant les saisons, on voit, en hiver, lorsque le temps est clair, les deux aiguilles du sommet, que l’on nomme les cornes, se dresser toutes blanches sur le bleu du ciel. Les glaciers, les pentes à leur pied sont immaculées ;  même les grandes murailles à pic sont comme vernies par le givre et la couche de glace qui les revêt. Toute cette masse imposante, éblouissante, domine comme un palais enchanté la surface grisâtre des forêts qui montent jusque là.  (…)

Pour faire l’ascension de la montagne, on prend un chemin bien tracé, orienté au sud, qui monte jusqu’au col réunissant le pic avec ses deux cornes à un autre sommet. On traverse une épaisse sapinière. Au moment de redescendre sur l’autre versant, on rencontre une colonne peinte en rouge élevée en souvenir d’un boulanger trouvé mort à cet endroit. Une peinture le représente avec sa corbeille de pains, une inscription rappelle l’accident et demande aux passants une prière pour le défunt. Ici on quitte le chemin et on oblique en suivant l’arête du col. Les sapins s’écartent un peu, formant une sorte de sentier…

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… Après avoir bavardé un moment, elle pressa le petits de se mettre en route.

– Fais bien attention de ne pas prendre froid, Sanna, dit-elle. Ne te mets pas en nage à courir sous les arbres ou dans les prés. Le vent se lèvera vers le soir, vous ne pourrez plus marcher aussi vite. Embrassez bien papa et maman pour moi et souhaitez-leur un joyeux Noël.

Elle les serra dans ses bras et les accompagna jusqu’à la porte du jardin.

Conrad et Suzanne repassèrent près des moulins aux glaçons et traversèrent les prés. Lorsqu’ils atteignirent la lisière du bois, quelques flocons blancs commençaient à tomber.

– J’avais bien dit qu’il neigerait, dit le garçon. Te rappelles-tu quand nous avons quitté la maison ce matin comme le soleil était rouge ? Tout à fait comme une lampe d’autel. Maintenant on ne le voit plus, le ciel est tout gris et regarde le brouillard au dessus des arbres. Cela ne trompe jamais…

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…C’était le moment où, dans le village, les fenêtres s’éclairaient l’une après l’autre. Ce soir, veille de Noël, de nombreuses bougies étaient allumées sur les petits sapins chargés de cadeaux, de boules et de fils brillants. Dans toutes les maisons, tous les chalets, toutes les chaumières le petit Jésus avait distribué ses largesses. Bien que Conrad se fut imaginé qu’il aurait vite fait de descendre du sommet de la montagne jusqu’à la vallée, aucune de ces nombreuses lumières n’était visible aux deux pauvres égarés dont les yeux anxieux se posaient sur la neige blême et le ciel sombre. Toutes les clartés, tous les bruits de fête étaient perdus pour eux dans un lointain invisible. Pendant que d’autres enfants avaient les bras chargés de jouets et de bonbons, tous deux, assis au bord du glacier, ignoraient même que les cadeaux qui leur étaient destinés étaient dans les paquets posés sur le sol de la grotte… »

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Un merveilleux petit conte de Noël, un peu suranné mais tout à fait charmant, dont l’histoire se passe en montagne. La vie d’une vallée à l’autre est différente mais « les traditions ancestrales » demeurent ancrées dans les villages. Ces deux enfants partis tôt le 24 décembre de Gschaid pour aller embrasser leurs grands-parents à Millsdorf, à trois heures de marche dans la vallée voisine, ne pensaient pas vivre une telle aventure. Adalbert Stifter nous raconte cette veillée, il nous décrit les paysages ou ce qu’ils en distinguent, le froid, la beauté ahurissante qui brille sous les étoiles, il décrit les bruits de la nuit en pleine nature, les craquements du glacier … et nous fait vivre là un suspens grandissant au fil des heures. Cet auteur excelle dans l’art de la description, ses mots sont pesés et bien à propos.

J’ai aimé cette nouvelle, elle rappelle notre enfance, parle de la richesse des sommets, de famille, de courage, de solidarité, valeurs un peu évaporées dans nos villes et dans notre nouveau monde…

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En ce jour du solstice d’hiver,

je vous souhaite à toutes et à tous un Noël joyeux, de belles fêtes de fin d’année,

qu’elles soient paisibles, sereines, joyeuses et lumineuses

et je vous dis à l’année prochaine…

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Extraits de : « Cristal de roche »  Adalbert Stifter  1805-1868.

Illustrations : 1/ « Glacier inférieur de Grindelwald »  2/ « Glacier de Grindelwald »  Caspar Wolf  1735-1783   3/ « Traditions de Noël »  Adolph Tidemand  1814-1876.

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Que triomphe la lumière ! 

BVJ – Plumes d’Anges.

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