.
.
« … J’ai senti se dresser en moi des flèches de rage, des images tourmentées se répandant telles des taches de sang. Ça ne sert à rien, me suis-je dit. Je me suis jetée sur les leurres habituels. Ça ne vous mènera nulle part. Songez à l’issue que vous souhaitez et assurez-vous d’avancer dans la bonne direction. Faut rester pragmatique. C’est ce que je répétais toujours aux filles du lycée. Il y a tellement de choses dans cette vie qui n’ont pas la moindre importance, tellement de trucs qui vous retiennent, vous emprisonnent et vous éloignent de ce qui importe vraiment. Ne vous empêtrez pas dans des choses qui ne comptent pas ou sur lesquelles vous n’avez aucune influence, et en particulier ne vous préoccupez pas trop de faire savoir aux autres que c’est vous qui avez raison parce que ça devient trop facilement un obstacle sur la voie de ce que vous voulez ou de ce dont vous avez besoin. Apprenez à ne pas prêter la moindre attention à toutes les choses de la vie et libérez-vous plutôt en vue de ce qui vous intéresse vraiment. Aiguisez votre attention. Ne vous embêtez pas à laver ou ranger au-delà d’une forme élémentaire d’hygiène. Ne laissez pas votre apparence devenir votre principal souci. C’est ce qui anéantit toute créativité. Soyez aussi autonome que vous l’oserez. Parfois votre force est plus grande quand les gens ignorent ce que vous pensez ou ressentez, alors faites très attention à qui vous vous confiez. Les gens peuvent s’emparer de vos faiblesses quand vous vous y attendez le moins, les déformer voire s’en repaître, et avant même que vous ne vous en soyez rendu compte elles ne vous appartiennent plus…
.
… Je me suis mise à pleurer en repensant à Ruth. Je pleurais en repensant à ses exigences, à la dignité avec laquelle elle se comportait comme si les difficultés de la vie étaient en un sens un immense honneur qu’on lui faisait. Je pleurais en repensant à la foi qu’elle avait en elle-même. Je pleurais en repensant au fait qu’il n’y avait en elle rien qui puisse passer, faute de mieux, pour un deuxième choix. Je pleurais parce qu’elle avait été si calme et si assurée. (…) Je pleurais parce qu’elle s’était décarcassée pour me faire sentir que j’étais quelqu’un de précieux et de grande valeur. Je pleurais parce que je ne l’avais jamais vue s’acheter le moindre truc chouette. Je pleurais en repensant à la peine qu’elle portait dans son cœur, à l’impuissance et au manque de contrôle qu’elle avait sur la vie et qui parfois étaient une sorte de prison, sans jamais qu’elle s’en plaigne ni ne demande de l’aide. La bonne humeur qu’elle revêtait chaque matin comme un uniforme. Son sourire. Ce sentiment que nous avions toutes les deux de bien nous comprendre, sans même avoir à dire quoi que ce soit, de savoir comment faire attention, non pas une attention anxieuse, mais une attention qui nous emplissait, qui nous rendait attentives l’une envers l’autre. Que les choses qui nous rendaient tristes nous rendaient aussi fortes, qu’elles étaient notre pouvoir… »
.
Une histoire forte émotionnellement, celle de Ruth, professeure dans un collège londonien, mère d’Eleanor. Celle-ci la quitte brutalement à l’age de quinze ans pour emprunter les chemins brumeux de la drogue… Ruth prend de ses nouvelles, l’invite, tente de la faire rêver et de la ramener « à la vie ». Jamais elle ne juge sa fille, elle cherche toujours à embellir son quotidien. Mais Eleanor s’éloigne de plus en plus. Un jour elle lui annonce être enceinte d’une petite fille. Ruth fait tout pour l’aider à accueillir Lily… en vain. C’est elle qui recueille le bébé, l’élève en cherchant toujours à bâtir un pont entre sa fille et sa petite fille…
Ruth traverse beaucoup d’épreuves, avec calme, douceur, patience, avec une immense dignité, beaucoup d’amour et de pureté.
Le roman se divise en dix chapitres, neuf sont racontés par Ruth. Elle mélange présent et passé par petites touches, nous parlant des êtres qui ont marqué son existence, d’une façon triste ou joyeuse, amours et amitiés, elles se questionne sur la profondeur des relations : on peut se donner le droit d’aimer mais on ne peut forcer personne à nous aimer….
Je vous laisse découvrir ce très beau livre qui ne peut, il me semble, laisser quiconque insensible.
.
…
Extraits de : « Amours manquées » 2025 Susie Boyt.
Illustrations : 1/ « Femme et enfant » Helene Schjerfbeck 1862-1946
2/ « Marguerites dans l’ombre » Bernard Boutet de Monvel 1881-1949.
…..
Se donner le droit d’aimer…
BVJ – Plumes d’Anges.
Un roman qui semble fort sur les liens familiaux. Il y a tant et tant de façons de ne pas prendre soin de ceux qui nous entourent, mais il importe que d’autres tissent des liens, qui un jour peut-être deviendront des ouvertures.