Cours d’une destinée…

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« … – Asseyez-vous, asseyons-nous ! 

Klimt avait une bonne voix rocailleuse. Il désigna à Franz le lit recouvert d’un drap à larges rayures noires et blanches.  

– Laissez-moi vous débarrasser.

Klimt prit le tableau et le posa sur le matelas. 

– Vous permettez ?

  –  Oui, oui, je vous en prie. 

Sans trop de précaution, Klimt commença à déballer le tableau de ses diverses couches de tissu. Quand enfin le visage de la jeune fille se dévoila, Frantz fut prit d’un léger vertige.

– Ah ! 

Klimt enleva une toile inachevée d’un des chevalets et y plaça le portrait.

C’était une très jeune femme de trois quarts, sur fond vert. Une jeune fille aux yeux bleus rêveurs, avec des mèches brun-auburn encadrant son visage qui lui donnaient un air plutôt négligé. Elle portait un grand chapeau de feutre marron, trop grand, et une étole de mauvaise fourrure autour du cou. Une veste en velours bleu lui tombait des épaules qu’elle avait à peine couvertes par une chemise transparente, elle ressemblait à ces filles de la ligne qui vendent leurs charmes à tout prendre. 

Klimt resta un instant devant le tableau qu’il avait peint quelques années auparavant et plissa les yeux comme pour se souvenir de celle qui avait posé pour lui dans cet atelier même. Frantz restait silencieux, respectueusement, n’ayant pas encore osé s’asseoir. On ne s’asseyait pas sur les lits des gens que l’on rencontrait pour la première fois.

  – Alors dites-moi, jeune homme, que puis-je faire pour vous ? (…) 

– J’ai fait l’acquisition de ce tableau de vous, je veux dire que c’est un honneur pour moi… j’admire, j’ai toujours énormément admiré votre travail… et le fait est que, les hasards de la vie, le fait est que je connais cette jeune fille, ou plutôt je la connaissais et je ne m’attendais pas à ce que… Franz soupira, il avait eu beau répéter plusieurs fois la façon dont il formulerait sa demande, il se dit qu’il avait mal démarré.

– Je ne voudrais pas vous faire perdre votre temps…

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… – Maman ? Maman, j’ai soif ! Isidore se sentait encore très faible, il enfouit la tête dans le parfum familier de la lourde chevelure de sa mère. – Maman ?  Martha émergea avec peine, elle avait mal au crâne. Elle se leva, titubant presque, et alla chercher un verre d’eau à l’enfant. (…)

– J’ai un secret, un secret important.

Isidore approcha son oreille car sa mère chuchotait mal. 

– Ton père n’est pas mort mais il ne sait pas que tu existes… Ton père est vivant… Il habite une maison… très belle… Johannesgasse, qui donne sur le Stadtpark… une maison à Vienne… Il s’appelle Franz Brombeere… c’est son nom, il faudra que tu t’en souviennes… Répète son nom…

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Certains philosophes voient la vie comme un pendule qui oscille de droite à gauche, entre la joie et la peine, la souffrance et la guérison, l’exaltation et l’ennui. Il est ainsi rassurant de penser que si les choses vont mal, il y a de fortes chances qu’elles aillent mieux, puis immanquablement mal mais alors à nouveau mieux et ainsi de suite indéfiniment… »

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Il est bien difficile de résumer cette histoire tant elle est riche en évènements et rebondissements. Le fil conducteur en est un tableau de Gustav Klimt, Portrait d’une dame, qui est peint, retouché, qui apparait, disparait, qui est acheté, volé…

Martha est une jeune employée de maison dans une famille bourgeoise de Vienne, Franz est enfant unique, très seul et quand Martha arrive, elle le touche profondément, il en tombe amoureux. Et puis, Martha disparait sans le moindre mot…

On la retrouve dans un village de la banlieue de Vienne, maman d’un petit Isidore, elle travaille douze heures par jour dans « une manufacture spécialisée dans la confection de panaches de militaires« , elle est aux cuves dans des vapeurs d’alcool, c’est difficile et éprouvant physiquement. Son petit garçon est un enfant sage, il grandit, trouve « refuge dans les chiffres » ; un jour elle l’emmène visiter Vienne, elle leur offre un divin chocolat chaud au Café central, l’enfant est ébloui, il est heureux de partager ce moment avec sa maman. Quand Isidore a neuf ans, la grippe espagnole s’abat sur le monde…

Sur près de quatre cents pages, Camille de Peretti fait preuve d’une grande imagination, elle nous raconte une incroyable histoire, une histoire de famille et de ses secrets, entre Autriche et Texas au vingtième siècle. Les mœurs de certains à cette époque, la volonté farouche de s’élever dans l’existence, l’intelligence du cœur, le courage, le mensonge, les faits qui semblent se répéter d’une génération à une autre… le livre est très documenté, cette fresque qui mêle fiction et réalité nous tient en haleine.

C’est un formidable moment de lecture,  je vous souhaite de vite découvrir ce livre.

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Extraits de : « L’inconnue du portrait »  2024  Camille de Peretti.

Illustrations : 1/ « Beautés »  2/ « Le cactus »  2/ « Des milliers de beautés »  Lucie van Dam van Isselt  1871-1949.

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Toujours croire aux jours meilleurs…

BVJ – Plumes d’Anges.

15 commentaires sur “Cours d’une destinée…”

  1. Fiorenza dit :

    Toutes ces rencontres mystérieuses nous donnent un avant-goût
    de ce que nous supposons être une histoire palpitante,
    une sorte de spirale à la Simenon mêlant ombres et lueurs…

    J’aime Klimt et ses tableaux aux éclats de vitrail,
    de véritables morceaux d’étoiles tombés sur la terre en se brisant .
    Qui sont ces personnages, quand se sont-ils rencontrés, aimés, quittés ?
    Tu nous ouvres des perspectives passionnantes, chère Brigitte,
    des chemins à emprunter pour tenter, comme toujours,
    d’éclaircir les méandres de l’âme humaine 🎭

    Les œillets des poètes qu’il me semble déceler dans les bouquets
    me rappellent mon jardin d’enfance, ma mère les adorait…

  2. Tania dit :

    Très tentée par ce livre, merci, Brigitte.

  3. Marie Minoza dit :

    Tu donnes encore une fois de lire ce livre!…
    Merci
    J’aime beaucoup la deuxième peinture de Lucie van Dam van Isselt 1

  4. Dédé dit :

    Coucou. Très envie de découvrir cette histoire, d’autant plus que j’aime la peinture de Klimt. Merci Brigitte de nous donner toujours envie de lire, encore et encore. Bises alpines et belle semaine qui s’annonce.

  5. Aifelle dit :

    Après un tel billet, je ne peux que noter ce livre qui se déroule en plus à une période qui m’intéresse. Et Klimt à lui tout seul suffirait à me décider. Bonne semaine Brigitte, bises.

  6. thé ache dit :

    retrouver des époques passées à travers des narrations biographiques, fait mesurer ce qui a changé, ce qui persiste (et c’est toujours les mauvais aspects) est très révélateur sur ce qui fut et ce qui reste. les peintres et ce qu’ils nous disent restent de bons sujets de réflexion, merci pour tes conseils de lecture…

  7. Je l’ai offert à ma fille à sa sortie et pour une fois sans le connaitre (mais conseillée par la libraire).
    Elle avait beaucoup aimé m’avait-elle dit à l’époque.
    En te lisant je suis très motivée pour lui emprunter !
    Merci Brigitte, avec des bises chaleureuses. Belle et douce semaine à toi !

  8. yannn dit :

    Klimt, et tiens un  » Frantz  » comme interlocuteur.
    Peut être Franz Josef Karl Matsch …. Qui en vrai a collaboré avec Klimt.
    Mais comme il y a mélange réalité et fiction, je ne suis sûr de rien.
    Peut être qu’autour des 400 pages, l’inconnue du tableau prendre corps.
    Et dans la vraie vie, il y a eu rivalité entre les deux artistes.
    Une histoire de plafonds à la cour.
    Dessins trop lit-cencieux, licencieux, c’est Franz qui est adoubé.
    Merci de m’avoir fait progresser en Klimt, j’étais resté au baiser ….
    Et pour ta participation aux bois de chez nous, c’est à suivre ….
    Amic@lement. > Yann

  9. Béa Kimcat dit :

    De belles peintures
    Les extraits que tu as choisis de ce livre nous donne envie de le découvrir…
    Bises Brigitte et bon mardi

  10. daniel dit :

    Difficile pour moi de déposer un commentaire. Je ne lis plus de romans depuis au moins 20 ans! Par contre j’aime bien l’oeuvre de Klimt !

  11. manou dit :

    Un livre que j’ai noté et que tu me donnes envie de lire très vite (mais toujours emprunté quand je vais à la médiathèque), d’autant plus que je ne connais pas encore cette autrice…Tu as choisi comme toujours de magnifiques tableaux pour illustrer tes extraits. Merci de nous faire rêver !

  12. Célestine dit :

    Dans le même ordre d’idée, j’ai aimé le film « La femme au tableau » qui parle d’un célèbre tableau de Klimt.
    Et récemment est sorti « Le Tableau volé » qui parle d’une oeuvre d’Egon Schiele disparue pendant le nazisme.
    Les histoires de tableau sont toujours fascinantes.
    Bisous ma Plume
     •.¸¸.•*`*•.¸¸☆

  13. Cathie Flore dit :

    J’aime beaucoup les peintures de Klimt, mais sa vie est loin d’être paisible. L’auteure semble avoir réussi un roman qui tient en haleine. Peut-être un jour si je le vois en bibli… Tes jolis bouquets nous rappellent que c’est le printemps.

  14. Den dit :

    Merveilleux billet brigitte. Merci de me donner envie de nouvelles lectures. Camille de Péretti à découvrir…
    Les tableaux de Klimt sont superbes.
    merci à toi

  15. Ulysse dit :

    Je note ce roman que tu m’as donné envie de lire j’ai noté qu’il avait eu de nombreux prix. merci Brigitte et belle semaine à toi

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