Lente résilience…

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« ... La Line d’aujourd’hui – celle qu’on déterre et qu’on ramène à la vie – est née d’un séisme. Elle incarne un miracle. Comme ces légendes, au cœur des catastrophes, qui échappent au désastre – fantômes sortant des décombres, bébés aux sourires immaculés extraits de l’enfer, arbres centenaires et vieux temples épargnés par les secousses meurtrières. Ces histoires, on les murmure comme des contestations ; elles obéissent aux lois d’un monde dévasté.

Au cœur du chaos, elles ouvrent des chemins de lumière…

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Thomas passa la matinée à chercher des récits et des témoignages de survivants de catastrophes en tout genre. Il lui fallait comprendre l’effacement, lent, graduel de Line – cette métamorphose qui opérait en elle de manière sourde, mais radicale. À quel moment les êtres s’effaçaient-ils ? À quel moment quittaient-ils réellement l’histoire ? Était-ce simplement une question de présence au monde, de mouvement, de corps ?…

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… À mesure que les mots revenaient frapper à la porte de sa conscience, à mesure que les souvenirs devenaient plus nets, Line avait poursuivi ses recherches. Elle pensait à la femme de Tokyo, tout le temps. Quel que soit l’endroit où elle se trouvait, elle n’arrivait pas à la semer. Et elle n’en dormait plus. Depuis le séisme, enfin un désir était né. Plus qu’un souhait, c’était une nécessité, un besoin qui balayait tout le reste : la retrouver. Savoir ce qu’ils avaient extrait de la terre.

Elle en était venue à la conclusion qu’il n’existait qu’un lieu où elle pourrait avoir des réponses : cette île, dont Saki avait parlé, où elle avait grandi – son île abhorrée. Line était obsédée par cette terre. Où se trouvait-elle ? À quoi ressemblait-elle ? Qui vivait là ? Qui la visitait ?…

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… L’agitation des oiseaux du littoral, leurs cris et leurs manœuvres mystérieuses, le tumulte incessant des vagues. Ce paysage était à la fois immuable et changeant. En bord de mer, aucun jour ne ressemblait à un autre, aucune nuit n’était la même. Suivant le continuel mouvement des marées, la lumière et la densité de l’air se modifiaient sans cesse. Quelque chose – une couleur, une voile, la force du vent ou la forme d’un nuage – venait toujours s’immiscer dans le décor pour la bouleverser.

Saki pensait aux systèmes parfaits, utopiques, où tout pouvait se dérégler si rapidement. Où tout parasite corrompait l’ensemble. Elle pensait aux abeilles, aux fourmis, s’organisant à merveille pour maintenir la vie de leur ruche, de leur nid. Elle pensait à sa propre famille, à ce microcosme qu’ils avaient formé tous les trois avant le départ de son père. Un merveilleux système qui avait été rompu à leur arrivée sur l’île…

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… Tout a une fin, Line. Mais l’espoir… L’espoir n’a pas de fin… »

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Ce livre écrit en deux parties, raconte une longue – et difficile – histoire de renaissance suite à un traumatisme vécu. Line, hôtesse de l’air, est appelée à en remplacer une autre sur la ligne Paris Tokyo. C’est l’époque des cerisiers en fleurs, le spectacle sera grandiose. MAIS, un énorme tremblement de terre frappe cette île japonaise, et Line se retrouve prisonnière des décombres, aux côtés d’une autre jeune femme, Saki. Elles vont se donner la main, parler sans cesse et taper alternativement au cas où elles pourraient être entendues.  Line pense et se souvient, elle voulait devenir danseuse mais un accident de moto à l’adolescence fracture certains de ses os, son rêve est brisé… Elle volera dans les airs et deviendra hôtesse de l’air. Certaines bribes du passé remontent et une nouvelle compréhension émerge.

Le calvaire durera 8 jours et 8 nuits, Line, sortie de cet enfer, est hospitalisée pendant quelques jours au Japon puis en France, où elle retrouve son compagnon Thomas, son appartement. À la chance d’être survivante succède une profonde dépression… puis une reconstruction.

Je vous laisse découvrir la suite. Ce qui m’a touchée dans ce livre, c’est l’histoire bien-sûr mais aussi la façon de traiter ce sujet grave et douloureux. Le respect pour les victimes est toujours présent et l’auteure parvient à raconter les faits dans une langue poétique. Elle analyse avec justesse les tourments du miraculé, le combat contre ses fantômes, le séisme intérieur et cette nécessité, après l’enfermement, de partir à la rencontre de Saki et de respirer l’air du large pour rentrer dans un processus de résilience.

Un roman vraiment talentueux que je vous conseille.

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Extraits du livre : « Insula »  2024  Caroline Caugant.

Illustrations : 1/ « Bouquet de jasmin »  2/ « Rangées d’arbres »  3/ « La route des merveilles »  Jan Mankes  1889-1920.

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Rechercher la voie de la lumière…

BVJ – Plumes d’Anges.

14 commentaires sur “Lente résilience…”

  1. Ce livre pudique relatant cet événement tragique et la reconstruction qui a suivi, semble t’avoir impressionnée. Merci pour ce conseil de lecture Brigitte.
    Et bravo pour les illustrations, si bien choisies. Le premier tableau s’adapte tellement bien au récit que tu nous fais. Cette lumière émergeant de la nuit… Bises dominicales !

  2. manou dit :

    Ce livre doit être émouvant mais je ne crois pas qu’il soit fait pour moi, je ne suis pourtant pas claustrophobe mais rien ne me touche plus que de savoir que des personnes vivantes peuvent être ainsi enterrées lors d’un séisme (ou se noient dans leur voiture sans pouvoir en sortir). Certes tu me dis qu’elle va vivre mais…je n’en avais pas encore entendu parler. Merci pour la découverte

  3. Marie Minoza dit :

    J’aime beaucoup les tableaux pour illustrer les extraits de ce livre… Je note ce livre dans ma liste… Merci pour cette découverte et ton analyse…

  4. thé ache dit :

    un séisme interne consécutif à un séisme extérieur la collision doit être terrible tout est boulversé, ne restent que des silhouettes de ce qui fut il faut reconstruire, mais ce qui a été dévasté persiste, merci pour tes conseils d lecture….

  5. Dominique dit :

    un livre qui raconte un récit de vie comme on les aime, de ceux qui donnent espoir, qui montrent la lutte pour la vie et le retour à celle ci
    merci pour cette référence Brigitte. belle semaine

  6. Dédé dit :

    Coucou. Survivre à une catastrophe naturelle laisse des traces, comme un séisme intérieur. Tu m’as donné envie de découvrir ce livre. Et cette phrase magnifique que je note: « l’espoir n’a pas de fin ». Heureusement. Bises alpines.

  7. Fiorenza dit :

    Monde dévasté, chaos, catastrophes, un monde de lecture trop sombre
    pour la naïve que je reste, fidèle aux conseils maternels
    qui nous suggéraient de tourner la tête lorsque la situation
    devenait trop laide : un côté « imbécile heureuse » s’est ainsi
    installé chez l’enfant que nous restons tous !
    Plus tard, j’apprendrai qu’Ernest Renan était également rétif
    à l’intérêt pour les choses tristes…

    Est-ce de l’égoïsme ou plutôt une préservation du plaisir de vivre ?
    Ma réponse varie en fonction des jours que je te souhaite agréables,
    ma chère Brigitte 🌹

  8. Tania dit :

    Quelle pureté dans ce bouquet de jasmin – magnifique ! Tu m’as fait chercher des renseignements sur ce peintre néerlandais mort à trente ans, hélas. Il a un je ne sais quoi qui me fait penser à Spilliaert.
    As-tu vu son autoportrait avec une chouette ? https://www.museum.nl/en/stedelijk-museum-breda/showpiece/zelfportret
    Je prends note de ce livre, peut-être pour plus tard. Bises.

  9. yannn dit :

    Je viens d’abord en réponse à tes propos.
    Montrond est un excellent lieu pour voir les aiguilles d’Arves.
    La Chalmieu aussi. C’est peut être là, les tentes panoramiques.
    À suivre, la découverte de ton article ici, en situation.
    > Yann

  10. yannn dit :

    J’ai trouve le nom du chlet pour se restaurer.
    CHALET D’LA CROË …. C’est là, le dodo sous tente transparente.
    Et des repas sur réservation. > Yann

  11. Aifelle dit :

    Merci pour le conseil Brigitte, c’est un livre que je n’avais pas remarqué du tout. Rester sous des décombres huit jours c’est affreux, on comprend bien qu’un lien très particulier et fort doit se tisser entre les deux femmes. Les tableaux sont très beaux et évocateurs. Bises Brigitte.

  12. Bonjour Brigitte,
    Survivre à une pareille tragédie laisse des marques des traces indélébiles. Ensuite on ne voit plus la vie de la même manière. J’aime beaucoup les tableaux que tu présentes.
    Une douce journée Chère Brigitte

  13. yannn dit :

    Le big one, au Japon, ce mot, je l’entends aussi pour la Californie.
    Là bas, en l’attendant, ce sont les incendies qui ravagent.
    J’ai connu une personne qui était à Agadir en 1960.
    Entre les survivants de la famille et amis, du mal à se retrouver.
    Point de listes sur internet.
    Ensuite entre eux, des années avant que les langues se délient.
    La parole était figée.
    Line a du passer par là, et se sentir responsable de n’être pas morte à la place d’un autre.
    Elle meurtrie dans son âme et dans ses os.
    À plus, et merci pour ton choix de lecture. > Yann

  14. Ulysse dit :

    Une belle leçon de ténacité de résilience d’amour de la vie belle semaine à toi Brigitte

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