Archive pour la catégorie ‘plumes à rêver’

Rencontre d’une vie…

dimanche 14 avril 2024

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« … Elle était douée pour le bonheur, elle avait un sens de l’humour délicieux, ce qui l’aidait à sentir le sel de certains évènements quotidiens, et l’on entendait alors son rire frais, vivifiant. Mais en même temps elle avait des moments de sérieux inexplicables, qui arrivaient soudain, comme un nuage poussé par un grand vent qui cache un moment le soleil, plongeant tout dans une ombre inquiétante avant qu’à nouveau tout s’éclaire ; son visage parfois devenait sombre, ses yeux regardaient au loin, vers un point que je ne voyais pas, le chagrin se répandait sur ses traits. J’en étais terrifié ; je l’attirais contre moi, la priais de me dire à quoi elle pensait. Elle se contentait de secouer la tête, me prenait par-dessous les bras, me serrait contre elle un instant, puis soudain, là encore, elle s’arrachait à ses pensées, m’embrassait très vite en souriant – et je retrouvais soleil, chaleur et lumière ; le guerre et la peur n’existaient plus, il n’y avait que l’amour, l’amour partout…

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… Je crains parfois qu’arrive un jour où je commencerai d’oublier les détails. Cette idée me terrifie. Je veux garder en mémoire à jamais tout ce qui s’est passé entre nous, l’instant le plus infime – toutes les fois où elle m’a dit « je t’aime », toutes les fois où elle m’a touché de cette façon qu’elle seule, d’instinct, connaissait. Me souvenir à jamais de sa voix quand elle chuchotait, le contact de ses lèvres, l’odeur de son corps. Me souvenir non seulement de ce qui fut dit, mais de tous nos silences. Les gens meurent seulement quand nous les oublions. Gioconda doit rester vivante aussi longtemps que je vivrai – et plus longtemps que moi. Vivante ainsi que je l’ai connue, s’épanouissant sous mes regards, mes caresses, mes baisers… »

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Nikos Kokantsis, l’écrivain narrateur, a été lumineusement marqué dans le fond de son âme par son premier amour, en pleine seconde guerre mondiale, il avait une quinzaine d’années.

Nikos vit à Thessalonique, dans une maison comme il y en avait tant dans cette ville avant son bétonnage. La maison voisine – séparée de la sienne par une étendue laissée à l’état sauvage – est habitée par une joyeuse famille juive.

Gioconda, l’une des filles, et Nikos se « rencontrent », c’est une vraie rencontre à l’adolescence, cet age de l’entre-deux, où l’on quitte un monde pour en explorer timidement un autre. Ils se cherchent, se recherchent, se manquent l’un à l’autre, ils sont forts et fragiles, envahis d’émotions, lui fébrile amoureux, par instant jaloux et elle, déterminée, patiente et sage. Mais aucune précipitation, ils savourent ensemble le présent qui leur est offert, se découvrent doucement, lentement, sentent les changements qui s’opèrent dans leur être et les accueillent, et découvrent le désir puis le plaisir. C’est l’histoire d’un amour totalement pur qui va être confronté à un évènement tragique, celui de cette guerre et de la déportation…

Nikos Kokantsis raconte sa propre histoire, cet amour qu’il veut honorer et immortaliser à jamais. Il est habité par Gioconda, par son esprit, par son corps et en remercie la vie.

Les souvenirs décrits sont d’une grande sensualité, c’est une lecture émouvante, riche en humanité ; aujourd’hui, grâce à ce livre, leur amour continue son chemin dans le monde…

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Extraits de : « Gioconda »  Nikos Kokantzis   1927-2009.

Illustrations : 1/ »Jeune femme dans un champs » 2/ »Les amoureux »  Henri-Jean Guillaume Martin  1860-1943.

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Entretenir les souvenirs amoureux…

BVJ – Plumes d’Anges.

Instants résurrectifs…

dimanche 31 mars 2024

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… « L’humanité a contracté une maladie collective. Les gens sont si absorbés par ce qui arrive, si hypnotisés par le monde des formes fluctuantes, si pris par le contenu de leur vie, qu’ils ont oublié leur essence, ce qui se trouve au delà du contenu, de la forme, au delà de la pensée. Ils sont si régentés par le temps qu’ils ont oublié l’éternité qui est leur origine, leur bercail, leur destinée. L’éternité, c’est la réalité vivante de ce que vous êtes.

 

À la vue de la beauté d’une fleur, les humains s’éveillaient ainsi, même si ce n’était que brièvement, à la beauté qui fait essentiellement partie de leur être le plus profond, qui fait partie de leur véritable nature. La première fois que la beauté fut reconnue constitua un des évènements les plus significatifs dans l’évolution de la conscience humaine étant donné que les sentiments de joie et d’amour lui sont intrinsèquement liés. Sans que nous le réalisions pleinement, les fleurs sont devenues pour nous l’expression manifestée de ce qui est le plus élevé, le plus sacré et en fin de compte le non manifesté en nous. Plus éphémères, plus éthérées et plus délicates que les plantes dont elles sont issues, les fleurs sont devenues en quelque sorte les messagères d’un autre monde, un pont entre le monde physique manifesté et le monde non manifesté. Elles transmettent non seulement une odeur délicate et agréable aux humains, mais également la suavité du royaume de l’esprit.

Lorsque vous contemplez une fleur, un cristal ou un oiseau sans le nommer mentalement, vous avez ainsi accès au non-manifeste…

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… Nous pouvons apprendre à briser l’habitude qui nous fait accumuler et perpétuer les vieilles émotions en battant des ailes, métaphoriquement parlant, et en nous retenant mentalement de nous attarder sur le passé, peu importe que l’évènement se soit produit hier ou trente ans plus tôt. Nous pouvons apprendre à ne pas maintenir en vie dans notre esprit les situations et les évènements, et à ramener continuellement notre attention à l’éternel et pur présent, plutôt que de nous jouer des films. Alors, c’est notre Présence même qui devient notre identité au lieu que ce soient les pensées et les émotions… »

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Joyeuses fêtes de Pâques à toutes et à tous,

faisons éclore en nous et autour de nous un nouveau monde…

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Extraits de : « Le chemin vers l’unité » (billet 1 —> ICI)  2008  Eckhart Tolle.

Illustrations : 1/ « Œufs »  2/ « Bouquet »  Lucie van Dam van Isselt  1871-1949.

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Nous relier à notre éternité…

BVJ – Plumes d’Anges.

Les yeux de l’esprit…

dimanche 24 mars 2024

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« … Malgré ces exceptions, Henry faisait le constat affligeant que le temps de l’enfance est, par commodité, majoritairement imprégné d’objets futiles et laids. Et Mona n’échappait pas à la règle. La beauté, la vraie beauté artistique, n’entrait que clandestinement dans son quotidien. C’était absolument normal, notait Henry : l’affinement du goût, la construction de la sensibilité viendraient plus tard. À ceci près – et cette pensée l’étrangla – que Mona avait bien failli perdre la vue et que , si ses yeux s’éteignaient définitivement dans les jours, les semaines ou les mois à venir, elle n’emporterait avec elle, dans les confins de sa mémoire, que le souvenir de choses clinquantes et vaines. Une vie entière dans le noir, à composer mentalement avec ce que le monde produit de pire, sans échappatoire pour les souvenirs ? C’était impossible, c’était terrifiant…

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Nous sommes sur la bonne voie. Écoute : Mondrian s’intéressait de très près à une doctrine qui faisait fureur en Europe à l’époque, une doctrine qui prétendait être en mesure de révéler une vérité très ancienne et universelle. Il s’agit de la théosophie.

– C’est une religion ?

– En quelque sorte. Les mauvaises langues diront que c’est une secte, les partisans prétendront que c’est une sagesse. Disons que la théosophie cherchait une réconciliation généralisée de tous les cultes de l’Orient et de l’Occident, et même de toutes les connaissances pour créer sur Terre un climat d’harmonie où chaque être humain serait habité par l’Illumination. Il s’agit de s’épurer soi-même le plus possible pour arriver à l’essentiel, c’est une quête de dépouillement et de sagesse. D’ailleurs, si nous avions la possibilité d’avoir devant les yeux toute la production de Mondrian, nous verrions qu’entre ses débuts et sa maturité, l’artiste a procédé de la sorte : il a tendu vers le plus grand dépouillement…

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« Oublie le négatif, ma chérie ; garde sans cesse la lumière en toi. « … »

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Mona, petite fille de 10 ans, fait tranquillement ses exercices de mathématiques aux côtés de sa mère Camille. Gênée par le pendentif – offert par sa grand-mère Colette – qui se balance sur sa feuille, elle l’ôte délicatement. Soudain une nuage sombre l’envahit, tout devient noir en elle pendant… 63 minutes ! Amenée par ses parents affolés à l’hôpital, les examens médicaux se succèdent mais aucune cause n’est décelée. L’ophtalmologue préconise la consultation d’un pédopsychiatre pour soutenir Mona. Camille demande à son père Henry – Dadé pour Mona – s’il peut s’en charger. Il accepte mais après mûre réflexion, livre une idée très personnelle à sa petite fille : si Mona doit devenir aveugle, il lui faut voir les merveilles du monde contenues dans les musées, pour s’en nourrir et en être riche à jamais. Sous le sceau du secret, il décide de l’emmener dans les musées du Louvre, d’Orsay et de Beaubourg…

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Thomas Schlesser, historien d’art, directeur de la Fondation Hartung-Bergman, écrivain, nous livre un roman original, qui a demandé des années de travail. Ce livre est une leçon de vie, l’histoire fait du bien, elle enrichit intellectuellement et humainement, elle se déploie avec une régularité de métronome : entre un prologue et un épilogue – qui se rejoignent, 52 chapitres dont l’entête porte le nom de l’artiste (40 masculins, 12 féminins)  et le message délivré par l’œuvre d’art visitée .

Qui n’a pas rêvé d’une telle complicité entre une petite fille et son grand père ? Ce dernier l’invite à entrer dans le silence, à observer, aiguiser son regard, percevoir les formes, les couleurs, les détails, à réfléchir la beauté du monde. Il lui explique le contexte dans lequel émerge l’œuvre pour mieux en saisir le message. Si les ténèbres venaient à l’envahir totalement, la lumière absorbée serait gravée en elle à jamais.

C’est une histoire qui parle aussi de la mort, de la transmission, de la force des injonctions auxquelles on se soumet sans en avoir conscience.  Un secret sur la disparition de Colette sa grand-mère vient roder dans la vie de Mona. Les enfants savent, ressentent les non-dits parce que les mots et les silences ont le même pouvoir.

Parallèlement, il y a ces 52 chefs d’œuvre et les formidables explications de l’auteur à leur sujet. Thomas Schlesser a une grande culture et la partage avec nous en toute humilité, il nous montre aussi l’importance d’être guidé pour mieux comprendre l’Art.

Il me semble qu’aucune personne, après cette lecture, n’abordera les trésors des galeries ou des musées comme avant.

Les Yeux de Mona m’ont séduite, j’espère que vous aussi  tomberez sous leur charme…

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Extraits de « Les yeux de Mona »  2024  Thomas Schlesser.

Illustrations : 1/ « Conversation mystique »   2/ « La Palme »  Odilon Redon  1840-1916  .

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Tendre au dépouillement…

BVJ – Plumes d’Anges.

Nouveau printemps d’un poète…

dimanche 17 mars 2024

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… « J’ai rencontré un souvenir

Embusqué derrière une porte

Prêt à me faire trébucher

Un croque-en-coeur en quelque sorte

Boomerang d’un proche passé.

 

J’ai eu le temps de le sentir

Me bousculant sans que je tombe

Il s’est enfui tel un vampire

Aspirant en grande trombe

Les traces vives de l’insensé. »

 

Boomerang  –  juillet 1983.

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« Les gouttes d’eau ont fui aux gargouilles du rêve

et la rosée transsude aux feuilles des roseaux

la fraîcheur du matin essore l’arbrisseau

et les fleurs engourdies se dérouillent les sèves.

 

Le soleil a cillé des paupières il se lève

étirant ses rayons et lissant ses faisceaux

comme pour l’accueillir au travers des rideaux

la crémone a baillé, le store se soulève.

 

Les oiseaux ont jeté au ciel leurs vocalises

sur le pas de leurs nids les jeunes s’enhardissent

vannent en s’ébrouant l’eau frêle du matin.

 

Le soleil a tôt fait de dissiper les gouttes

sur la feuille l’oiseau l’herbe folle des routes

la toilette du ciel éclaircit les jardins. »

 

Rosée  –  Août 1981.

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« Une pétillance de l’eau

un miroitant jeu de lumière,

entre pierre et boue une source,

devenant capricieux ruisseau

ou bien un hiératique fleuve.

 

On peut bien rêver d’être fleuve

quand on est qu’un simple ruisseau ;

sur fond mélodique de l’eau

conserver la joie de la source

dans un legato de lumière.

 

La réfraction de la lumière

porte l’arc-en-ciel dès la source.

Les cascatelles des ruisseaux,

le train des chalands sur le fleuve ;

sillages, mémoire de l’eau.

 

Les villes reflètent dans l’eau

jeunesse et vieillesse du fleuve,

dans des plumetis de lumière.

Scintillant, miroitant ruisseau ;

souvenirs perdus de la source.

 

À l’ombre d’un chêne, une source

conte guilledou au ruisseau.

La mer a oublié le fleuve.

Soleil, lune, étoiles, lumières

sautillent à l’inconstant de l’eau.

 

Le fond mélodique de l’eau.

Les cascatelles du ruisseau,

tout en plumetis de lumière.

Le mer oublieuse du fleuve.

Entre pierre et boue une source. »

 

Quintine à la source

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« Chacun porte en son coeur

sa blessure secrète,

camouflée comme il peut.

 

Et, chacun comme il peut,

a son île déserte

où il s’évade heureux. »

 

Blessure secrète…

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Lucien Forno  (1923-2006) éminent médecin neuropsychiatre à Toulon, très impliqué dans son métier et dans sa ville, fut marqué à l’adolescence par sa rencontre avec Saint-Pol-Roux.

Aimant les Arts, il fut naturellement attiré par celui de la poésie, mania superbement les mots et les langues anciennes,  écrivit et offrit parfois ses poèmes à l’occasion des fêtes.

Un recueil humblement signé Lucien vit le jour en 1972 : « Sincèrement votre » aux éditions-saint-germain-des-prés.

… « Un bourgeon coupé/ une feuille tombée/ une fleur fanée/ à quoi cela sert-il,

au bourgeon de vivre/ à la feuille de pousser/ à la fleur d’embaumer/ au poète de rêver »…

Quelle surprise pour ses enfants quand, exhumant 17 ans après son décès, les archives de leur père, ils découvrirent un lumineux trésor : des essais, des traductions d’œuvres latines… et plus de 600 talentueux poèmes.

C’est le livre d’une vie, chaque poème est à lire, à relire pour en saisir toutes les facettes, toute la profondeur.

Lucien Forno qui pendant tant d’années écouta les maux et les mots des autres,

lui qui discrètement, tissant des poèmes, entra dans le souffle de la création,

face aux désordres de la tête et du cœur de ses patients,

il dut trouver des mots, les ordonner, les poétiser.

Il lui fallut découvrir des sources vives pour toujours alimenter le flux et apporter la lumière.

N’y-a-t-il pas dans son prénom LUCIEN, le mot LUCI, lumières en italien, Italie pays de ses racines ?

Il explora diverses formes poétiques, sonnets, quintines, sextines (une découverte pour moi, un exercice de style de haute voltige qu’il affectionna particulièrement ), il se lança des défis, jouant avec un vocabulaire d’une immense richesse.

Homme de passion, il sut fouiller les temps anciens pour en rapporter des mots cadeaux, il jongla avec certains trouvés aux confins du ciel ou inventa des mots nouveaux d’une exquise poésie. 

Mettre en mots les joies et les souffrances, les ombres et les lumières, les moments d’intimité et de partage amoureux… quelle merveille ! 

À cette heure de libération de la parole, Lucien avait encore de belles choses à nous dire,

je vous invite vraiment à découvrir ce livre, il se lit,  se relit puis se picore délicieusement,

 merci à lui pour cette délicieuse sortie poétique, merci à ses enfants…

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Poèmes extraits de : « Lucien  est de sortie «   magnifique préface d’Isabelle Forno – 312 poèmes – 2024  Lucien Forno  1923-2006.

Illustrations : 1/ « Primevère, papillon et coléoptère »  2/ « Dent de lion, chenille et papillon »  Barbara Regina Dietzsch  1706-1783.

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Cheminer dans le courant des mots…

BVJ – Plumes d’Anges.

Contre vents et marées…

dimanche 3 mars 2024

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« … – Regarde, un arc-en-ciel.

Ça ne veut rien dire, grommela la fillette. Il y a des arcs-en-ciel partout.

– Je n’ai pas dit que ça voulait dire quelque chose. Parfois les choses sont belles même quand elles ne veulent rien dire. Tiens, ce sera ta première leçon.

Ils arrivèrent en surplomb d’une anse. Les échouages paisibles reposaient au bout des câbles les reliant à de longs pieux plantés dans la vase de basse mer. Ils descendirent, se trouvèrent encerclés de saleuses et de pêcheurs. Le duelliste exposa son projet, mais il n’avait pas encore trouvé les bons arguments. Il disait : « V’là votre occasion de changer les choses » et ensuite, il lisait l’incompréhension sur les visages burinés. Il voyait dans leurs yeux le reflet de cet océan qui ne laissait jamais savoir à l’avance combien de poissons il allait donner ni combien d’hommes il allait prendre.

« Elles changent bien assez comme ça, les choses », lui répondit-on.

Il disait : « Tout ceci, toute cette côte, ce n’est pas obligé d’être une fatalité pour vos petits. On peut en faire un passage, un tremplin, au lieu d’un échouement. »…

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… – Jacques, dis-moi, c’est vrai qu’on est des héros ?

– Non, on n’est pas des héros. Nous, on ne fait que notre devoir. Ce qu’on a fait pour les naufragés, beaucoup l’auraient fait pour nous.

– Mais justement, eux autres disaient le contraire. Ils disaient que personne l’aurait fait.

– Je sais. On vit dans un monde de naufrageurs, mais faut faire comme si.

– Comme si quoi ?

– Comme si on vivait dans un monde où les principes servent à nous grandir plutôt qu’à nous épaissir…

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… « La mer parle, il faut savoir l’écouter. Ce n’est pas un langage comme le nôtre, construit de syllabes et de voyelles qui se succèdent. Ses sons se superposent et s’agencent comme les éléments d’un orchestre. Il faut être sensible au tableau qu’elle crée, à l’harmonie de sa cacophonie. Elle a plus de dimensions que nous autres, qui ne connaissons que bâbord et tribord, nord et sud. Ce qui fait que la mer est mer, c’est que toutes ses contradictions existent en même temps »… »

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Une incroyable fresque qui chevauche le temps – cela se passe au XVIIIème siècle -, sur l’île imaginaire d’Ys, sise entre Terre-Neuve et Ouessant : sur son sommet est posée une ville fortifiée, verticale, où l’on ne peut pénétrer que si l’on a commis un acte héroïque ou si l’on est l’invité d’un habitant.

C’est une histoire tout à fait singulière, celle de Danaé Berrubé-Portanguen, dite Poussin. Elle est orpheline, possède l’incroyable don de savoir nager, don unique sur l’île d’Ys où les femmes salent la morue et ramassent le goémon, chantent ou hèlent le chaland… Elle prend sa vie en main dès le plus jeune age, s’aventure dans les eaux, sauve des vies, récupère des morceaux de trésors engloutis, expérimente au gré de ses rencontres des situations et émotions universelles.

La première rencontre de Danaé est celle d’Enoc Martel, un homme précieux, élégamment vêtu, il apparait sur les côtes balayées par les vents, poussant une brouette dont le contenu est caché par une toile goudronnée dont il se protège la nuit. Il offre ses services aux habitants mais ne sait visiblement pas faire grand chose, il était Maitre d’armes, duelliste plus précisément. Quatre autres rencontres vont suivre au fil des chapitres…

C’est un très beau roman, riche, coloré, plein de vie et de fantaisie, avec des histoires incroyables qui se succèdent. La force de ce conte est aussi dans la qualité de l’écriture de Dominique Scali, la richesse de son vocabulaire – elle est experte en vocabulaire maritime – et un art des descriptions à la manière d’un artiste peintre. Son imagination nous emporte loin avec la force de l’océan omniprésent et la transmission de certaines valeurs humaines.

Je vous souhaite à tous de rencontrer ce livre un peu fou, une douce folie, n’ayez peur…

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Extraits de : « Les marins ne savent pas nager »  2022  Dominique Scali.

Illustrations : 1/ « Pêche côtière »  2/ « Le naufragé »  Ambroise Garneray  1783-1857.

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Naviguer au gré des vents, au gré des vagues, avec sagesse…

BVJ – Plumes d’Anges.

Poésie extrême…

dimanche 18 février 2024

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« … J’attends devant la table vide. Rêver, c’est se taire. Ce sillon de silence à mes lèvres est mon plus grand voyage. Il faut qu’à chaque instant j’use et j’épuise tout ce que je possède pour être neuf. À chaque instant. J’écris pour vous rejoindre mes frères et sœurs du monde analphabète du rêve, d’un rêve qui doit tout au mont Blanc du cœur, plus haut sommet de nos vies…

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… L’ambulance n’est pas une ambulance, mais une carriole destinée à recevoir et amplifier chaque bosse de la route, c’est la place de Grève. Je vois les nuages. Je dis à l’ambulancière : « C’est beau les nuages. » Il est très facile et très difficile d’être jeune. Elle réfléchit et dit : « Tout est beau. » Sa parole explose dans l’ambulance.

– Qu’est-ce-que tu fais dans la vie ?

– Moi ? Rien. Je réfléchis sur ce qu’est un sourire, un vrai sourire.

– C’est tout ? Rien d’autre ?

– Non, rien d’autre, mais ça me prend tout mon temps. Il me semble que si je découvre de quel abîme étoilé remonte vers nous un vrai sourire, alors je n’aurai perdu ni mon temps, ni ma vie.

Et les larmes ?

– Les larmes – pas celles du sentiment, de la perte, mais les larmes sans origine -, quand tu te penches sur leur eau blanche et salée, tu peux y entrevoir un sourire comme celui-là qui m’intrigue tant.

– Qu’est-ce qui t’aide à vivre ?

– Rien. Ah si peut-être : écrire. Tirer les moustaches du tigre.

– Je ne comprends pas. Qu’est-ce que tu écris au juste ?

– C’est très proche de l’enfantin trépignement de la pluie sur une verrière colorée dont une plaque est brisée : je passe, j’entends ce petit piétinement et c’est comme si j’entendais ce « Ah ! » dont les japonais disent qu’il est le souffle, l’âme, la substance des choses que parfois elles délivrent. Quelque chose chuchote quelque chose. L’écriture reprend ce chuchotement et l’amplifie.

– Dans quel but ?

– Arracher le langage à l’enfer des opinions…  »

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Une déclaration d’amour absolu, des mots cueillis dans les jardins de la poésie, les mots simples et enchantés de l’ami Bobin, une musique jouée par le pianiste russe Grigory Sokolov, des pages ultimes écrites sur son lit d’hôpital, les deux derniers mois de sa vie terrestre : un magnifique cadeau fait à son épouse.

Quand la fin du Voyage approche, il ne reste que l’essentiel, l’amour.

Mille et un mots naissent, le portent à explorer, à réfléchir, à écrire encore et encore, ils s’élèvent en lui depuis le cœur, nid de l’éclosion et se posent dans le nôtre.

On pense ici à Christiane Singer dans « Derniers fragments d’un long voyage « . L’émotion est intense face à ces œuvres de l’extrême, on ne peut que saluer la profondeur et la sérénité de ces auteurs. Ils sont de ces gens qui ne s’attribuent pas leur œuvre, qui n’en tirent pas de gloire personnelle, leur main est poussée par l’inspiration, le souffle, le souffle des anges. Magnifique dernier murmure…

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Extraits de : « Le murmure »  2024  Christian Bobin  1951-2022.

Illustrations : Médaillons Le Lys et la Rose attribués au sculpteur André-Joseph Allar  1845-1926 et au céramiste Jules Loebnitz  1836-1895.

 (exposés à l’Union des Arts décoratifs de 1884 à Paris) 

  – Photos BVJ  Janvier 2024  –  Exposition du Musée d’Art de Toulon

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Ne parler qu’avec son cœur…

BVJ – Plumes d’Anges.

 

Luministe…

samedi 10 février 2024

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« Le salon de musique »

« Ou comment choisir d’une part entre la beauté profuse, toujours renouvelée, du monde sensible avec ses grands ciels suaves, ses lointains, ses contrées, tout ce que les saisons et les jours déposent en nous d’intrigues, d’errances, la rencontre de l’aube, de la nuit, les amours, les chemins, et d’autre part ce que la solitude, le confinement et l’esprit distillent lentement, l’œuvre élaborée, philtre ou formule, concrétion étrange de ce qui a été plus rêvé que vécu ?

C’est ce doux va et vient entre Narcisse et Goldmund qui est ici mis en scène. C’est la théâtralisation d’une double soif, jamais étanchée, entre les deux tentations majeures, celle de la vie dépensée ou celle du repli méditatif.

L’aventurier ou le scribe.

Parmi les œuvres de l’esprit et de la main entassées dans ce vaste salon, la présence fragile d’une rose coupée nous parle de ce qui est inimitable, mais aussi quelle musique vient de résonner ici, digne du ciel impeccable dont elle provient ? »

Pascal Vinardel

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« Le retour d’Ulysse »

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« L’inconnue »

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« La vigie »

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« Pandore »

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« Le vent chaud »

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Dans l’exposition TERRA INCOGNITA qui se tient au Musée de la Banque à Hyères les Palmiers jusqu’au 19 mai 2024 , le peintre PASCAL VINARDEL semble nous tenir la main d’une toile à une autre, il a quelque chose à nous raconter et prend le temps de le raconter.

Il célèbre la lumière de l’aurore ou des dernières clartés du jour, juste avant que la nuit ne dépose son voile sombre. Vient le moment où les intérieurs s’éclairent, les familles se réunissent, les solitudes s’exacerbent…

Des tableaux qui suggèrent une chaleur intense. Une ville qui s’étire au creux d’une baie – est-ce toujours la même ? Les fenêtres et les portes ouvertes sur l’extérieur nous invitent à poser un regard attentif sur les paysages et les espaces clos : la petitesse de certains personnages et la hauteur des plafonds impressionnent, des rideaux comme des voiles gonflées par la brise, des tableaux ou des miroirs dorés aux murs, quelquefois une icône qui attrape joyeusement la lumière, verre, carafe d’eau limpide, piano, pendule, lampe à huile, ventilateur ou lustre à pampilles au plafond, au sol un tapis, des livres , des feuilles égarées, un chat qui médite… vestiges d’anciennes splendeurs, vestiges d’un passé révolu… Tout cela nous parlent d’intériorité, de souvenirs gravés dans la mémoire du cœur. L’atmosphère est paisible, silencieuse, les couleurs chaudes y participent. Au dehors, pas de routes goudronnées mais des chemins de terre, souvent sinueux ou pentus. Rues désertes, vieilles demeures tels des palais abandonnés, rares volets aux fenêtres, stores en toile écrue, un aéroplane, un bus, navires, automobiles d’un autre temps, personnages esquissés, presque fantomatiques, légers comme des plumes, fontaines, flaques d’eau circulaires…

Toutes ces images émanent d’un feu intérieur, une « terre inconnue » qui donne naissance à l’œuvre.

L’homme artiste commence par un texte – très beau – dans lequel il décrit un sujet, son intention, puis il crée le tableau. Là il maitrise totalement le geste, la main dessine, construit des architectures, les pinceaux immortalisent des ambiances liées au passé ou rêvées. La matière picturale est talentueusement travaillée, ombres et lumières sont omniprésentes.

À côté de ces grands formats, quelques petites peintures sur bois et des lavis en noirs et blancs qui confirment le grand talent de Pascal Vinardel.

Vous l’aurez sans doute compris, la découverte de cet artiste est pour moi un enchantement.

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« … L’humanité n’a pas vieilli. Elle peut à chaque instant retrouver ses pouvoirs d’embellissement. C’est le monde qu’elle s’est fabriquée qui vieillit de plus en plus vite, drainé par ses nouveautés incessantes, se fissurant à chaque instant, se regardant tomber en miettes… » 

Jaime Semprun  1947-2010  dans « Andromaque, je pense à vous ! »  (œuvre posthume).

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« Les joueurs »

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« La grande terre »

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« Anna au chemisier blanc »

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« Le royaume »

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« Noli me tangere« 

« … Au mur, un pan de « Noli me tangere » du Titien.

« Ne me touche pas » dit le Christ à Marie Madeleine. Sa résurrection accomplie, il n’appartient plus désormais au monde « tangible ».

Peut-on toucher l’aurore ? Étreindre un chant ? Peut-on s’emparer de ce qui est lointain ? Quoi de plus intact qu’une jeune fille ? Quoi de plus impalpable qu’une buée dans une vitre, qu’un visage reflété dans une glace, qu’une lumière d’aube qui saupoudre une chevelure, un livre, quoi de plus évanescent que l’air ?

Il est dit ici que le monde sonore et lumineux est inaccessible et ne peut s’appréhender que par la contemplation.

Mais il est dit aussi que le peintre, et seulement lui, par la magie de ses onguents et la conscience de son office, peut donner chair à ce monde et nous offrir, par le truchement mystérieux du tableau, de le « toucher ».

Pascal Vinardel.

Tableaux de Pascal Vinardel.

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Aspirer à l’authenticité…

BVJ – Plumes d’Anges.

Rencontre toscane…

dimanche 4 février 2024

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« … Il n’est pas bien difficile de comprendre pourquoi les habitants de Monterchi sont aussi attachés à cette image. Elle est née là, fresque peinte sur le mur d’une petite chapelle qui marquait la limite entre la Toscane  et l’État de l’Église ; puis la chapelle fut englobée dans le cimetière ; en 1911, on détacha la fresque du mur pour qu’elle échappe à l’effondrement de la construction et on la transporta à Sansepolcro en 1917, où elle demeura dans le musée communal jusqu’en 1925, date à laquelle, une fois encadrée, on la rapporta à son ancien emplacement. C’est donc pour les habitants de Monterchi, une Vierge familière, une Vierge née dans le village : Piero della Francesca venait de Sansepolcro mais on dit que sa mère était originaire de Monterchi ; quand il peignit cette fresque, il voulut peut-être honorer la mémoire de sa mère et , dans ce portrait, il se la représenta en pensée telle qu’elle devait être quand elle était jeune et qu’elle était enceinte de lui.

Le décor entourant la vierge est de style traditionnel. Deux anges, placés symétriquement aux deux angles inférieurs de la peinture, soulèvent, chacun de son côté, les lourdes tentures d’un pavillon royal, de forme conique comme la tente de la célèbre fresque du Songe de Constantin…

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Mais le mystère que dévoile ces deux anges n’a rien de royal ni de divin. C’est là la nouveauté sublime de cette révélation : le mystère en question est tout entier humain et terrestre.  l’intérieur du pavillon fourré d’hermine se trouve une femme de cette terre, de ce peuple, vêtue modestement, sans manteau royal ni riches vêtements, sans aucun ornement symbolique visant à la faire paraître différente des autres femmes : c’est une fille du peuple qui se montre à la porte de sa maison. Mais la jeune femme est enceinte et dans la simplicité pensive de son attitude, elle ne cherche pas à dissimuler les signes visibles de son état, au contraire elle s’en glorifie presque en elle-même : tel est le miracle que révèlent les anges… »

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Merveilleux petit livre et sublime fresque !

Piero Calamandrei, juriste, auteur, professeur, recteur d’université et photographe à ses heures se promène avec des amis dans les villages de Toscane et d’Italie centrale. Ils visitent en ce printemps de 1938 le Monastère de Camaldoli, quand l’un de ses amis propose d’aller jusqu’à Monterchi pour « faire la connaissance » de la Madonna del Parto.

 À cette époque elle se trouvait dans une chapelle « enfermée dans le cimetière ». Puis la guerre arrivant, elle fut miraculeusement épargnée lors des destructions d’œuvres d’art par les allemands et les gouvernants fascistes (qui dictaient ordres et contre-ordres pour mettre à l’abri les trésors italiens). Elle fut aussi protégée par les femmes du village auxquelles s’associèrent de nombreux hommes…

Je vous laisse découvrir ce très beau texte admirablement illustré dans lequel on perçoit l’émotion de l’auteur face à cette découverte, son imagination vagabonde vers d’autres œuvres, il nous parle d’art et de beauté…

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Je viens de faire ce voyage – énergisant – et j’ai pu admirer la Madonna del Parto.

Cette vision est magique, tout est délicieusement simple et infiniment merveilleux dans cette représentation. La Madonna est plongée dans son intériorité, elle vit l’attente et le mystère, son regard presque mélancolique invite à se porter sur l’essentiel, les teintes de l’œuvre restaurée (en 1990) sont douces, plus douces que celles employées par l’artiste à Arezzo.

La seule petite ombre au tableau serait l’écrin qui abrite la fresque, c’est l’ancienne école du village dont l’intérieur a la froideur d’un crématorium, mais ceci n’est qu’un détail…

Dominique en avait parlé –>

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Extraits de : « Rencontre avec Piero della Francesca »  Piero Calamendrei  1889-1956.

Photos BVJ.

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Partir à la rencontre du beau, du simple, du vrai…

BVJ – Plumes d’Anges.

Révélation…

dimanche 14 janvier 2024

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« … L’or fait courir le monde mais le monde se trompe de course, on ne fait pas belle fortune en vidant les rivières, et surtout quand l’or est de la pyrite de fer. Aujourd’hui, à part les quelques enfants qui ressuscitent les survivantes pour jouer à se faire peur, les cailloux n’intéressent plus personne et il n’en reste de toute façon plus guère. À part aussi Rimbaud qui cherche et ramasse ceux-là que le monde n’a pas mis dans ses poches, parce qu’à courir, le monde passe à côté de l’essentiel, à côté des discrets, les plus secrets qui scintillent ou répondent à la lune, autant dire que lorsqu’elle est pleine Rimbaud remercie les anges. Quand les nuits sont noires, il trace et compte les bâtons jusqu’au premier quartier, puis regarde grossir les croissants, l’impatience le fait parfois sortir avec une lampe de poche, mais avec les années il a l’œil du gecko et ne s’éclaire de rien. Il marche toute la nuit, et à l’aube il s’assoit pour contempler sa récolte, seulement quelques pépites, parfois une bonne dizaine qu’il dispose en rond dans sa paume. Il les remet ensuite à l’eau une à une et pour s’excuser de les avoir dérangées, avant de repartir il tient compagnie à la rivière qui, de temps en temps, et c’est pour ça le sac à sa ceinture, lui donne quelques pierres en cadeau. Alors bien sûr, ça sourit derrière les fenêtres, on parle du bossu et du chercheur d’or, oui, sans doute un peu plus fou que la moyenne mon frère, ou simple question d’horloge à l’envers. Il dort le jour et il sort le soir à l’heure des lucioles – en été, elles balisent son chemin, et le reste de l’année il marche avec la mémoire du chemin de l’été…

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… « Pour toi, ce matin, je suis allée marcher le long du canal de la Deûle. L’orage de la nuit avait lavé le ciel, dans le bleu je suis allée chercher de la paix. Un peu de légèreté aussi, je l’ai trouvée dans les petits nuages – je te les envoie. « Dans nos ténèbres, il n’y a pas une place pour la Beauté. Toute la place est pour la Beauté. » Dans les ténèbres, il fait moins noir quand on y est moins seul. Chacun sa vie, sa mort, dis-tu. Si la vie fait que je ne peux pas être celle qui allume la lumière à tes côtés, prends s’il te plaît de la douceur qui t’entoure – du vent, du genêt, de l’oiseau sur la branche. Sans doute que la saison du genêt est passée, alors ce que tu trouveras qui sent le soleil… »

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… Avant le matin, je suis retournée dans la maison vide et dans le foyer j’ai brûlé toutes les lettres, les mots sans bruit que j’avais gardés pour les apprendre, les désirs à pas de loup, les craintes et les colères – avec la balayette j’ai poussé toutes les cendres et j’ai dispersé l’amour dans le jardin. J’ai aimé l’amour moi qui n’en connais rien, j’ai aimé l’amour avec tout dedans. Je l’avais sauvé des retours à l’envoyeur, du vide et du fond des gorges, et je l’ai fait disparaître. Comme une voleuse j’ai effacé les preuves. Pourtant, pourtant je ne volais rien à personne. De la douceur sous enveloppe que la vie a omis de mettre sur mon chemin, mais dont le souvenir réveillera les feux de tous mes hivers, j’aurais voulu le dire à cet homme avant qu’il ne parte, que l’amour est capable de ça, qu’il a la force de chasser novembre pour recevoir juillet – est-ce-qu’on peut tourner le dos à l’amour et disparaître ?… »

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Noële, la narratrice, brutalement orpheline à l’age de 7 ans, n’a jamais connu l’amour. Élevée par « une tante », elle grandit au pied d’une montagne surnommée La Géante, elle y ramasse les plantes qui serviront à la fabrication de tisanes et d’onguents et du petit bois qu’elle fagote pour les flambées hivernales. Son frère Rimbaud est muet – il converse seulement avec les oiseaux -, il dort le jour et vit la nuit, il s’émerveille à la vue des petits cailloux d’or de la rivière Bendola.

Arrive dans la maison voisine – la maison froide – Maxim, un homme très cultivé, atteint d’une maladie. Elle l’observe de loin, s’en approche à petits pas, tente de l’aider… Et puis arrivent les lettres d’une femme, Noële les lit. N’ayant jamais appris l’amour, c’est une découverte totale : la tendresse, le désir, les mots magnifiques qui en parlent… Je vous laisse découvrir la suite.

 C’est un roman subtil, lunaire, on navigue dans les émotions au sein de plusieurs mondes. Les descriptions d’une nature sauvage et forte sont très belles, l’écriture de l’auteure est fluide et poétique.  Lu deux fois de suite pour mieux en saisir la profondeur, j’ai vécu là un moment de grâce, l’amour est un trésor que Noële, à sa façon, a voulu mettre dans un écrin, comme tout trésor.

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Extraits de : « La Géante »  2023  Laurence Vilaine.

Illustrations : 1/ « Brumes montantes »  Franz Marc  1880-1916  2/ « Monde merveilleux »  August Strinberg  1849-1912.

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S’élever vers les mondes merveilleux…

BVJ – Plumes d’Anges.

Douceur des choses simples…

dimanche 7 janvier 2024

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Imaginez un homme d’une cinquantaine d’années, il se prénomme Hirayama, il est filmé pendant quelques jours.

Chaque matin il se lève, plie son futon, range son livre, humidifie sa petite forêt d’érables en pots, fait une toilette légère, s’habille, sort de sa modeste maison et admire la couleur du ciel en souriant, achète une canette de café dans un distributeur automatique, démarre son véhicule, enclenche une cassette audio – Lou Reed, Patti Smith… -, se rend sur son lieu de travail. Il n’a pas d’ordinateur, pas de smartphone juste un petit téléphone portable.

Il nettoie – avec soin et application – les toilettes publiques d’un quartier de Tokyo. À midi, il déjeune d’un sandwich dans un parc où il prend une photo d’arbres ou de fleurs, écoute le chant des oiseaux et sourit toujours. Il veille sur un vieil homme qui campe sur un coin de pelouse et s’inquiète pour lui quand il ne le voit pas, il aide des jeunes un peu paumés dans ce monde sans porter sur eux le moindre jugement…

Il rêve chaque nuit, des rêves de nature, des rêves souvent paisibles, en noir et blanc.

En fin de semaine, il se rend en vélo au bain public, fait sa lessive et quelques courses, apporte à un photographe une pellicule à développer, en achète une neuve et récupère les photos de la semaine précédente – il en a des boites pleines chez lui, soigneusement classées -, il fouille dans les rayons d’une librairie, la libraire est ravie de son choix, sa bibliothèque ne cesse de grandir… Sa vie entière obéit à des rituels mais il accueille avec joie les petites surprise de l’existence. Et puis des brins de passé ressurgissent…

Je vous parle là du dernier film de Wim Wenders « Perfect Days«  que j’ai adoré.

Hirayama est un homme présent mais silencieux, son sourire est irrésistible.

Il a trouvé sa place dans la vie en acceptant totalement ce qui est,

il maitrise ses émotions – cache ses bleus à l’âme ? –

et s’exprime avec amour et respect dans ses actes.

On sent un esprit curieux, son regard cherche la beauté et trouve matière à s’émerveiller dans une vie simple.

Ces « Jours parfaits » sont un beau moment de cinéma,

la caméra se promène et saisit les scènes sous des angles sobres toujours réinventés,

on ne voit pas le temps passer…

DASOLA en avait parlé –>

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« Le jeu du soleil

Sur le tronc d’un chêne

Le temps d’un bonheur »

Eugène Guillevic

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Illustrations : 1/ « Bouvreuil et cerisier pleureur »  2/ « Pivoines et canari »  Katsushika Hokusai   1760-1749.

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Être un être d’attention…

BVJ – Plumes d’Anges.