Emotions…

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« … Aimer, c’est être un instrument aux cordes bien tendues. Une brise, un effleurement font chanter cette infinie palette. Alors d’instinct, on sait ce que l’autre contient, ce que l’autre déverse, on est à la source de l’humaine complainte.

Immensité de l’émotion.

« S’immerger. Faire silence. S’immerger. S’oublier. Faire silence. »…

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… Un jour, j’ai entendu un chant de femme. Je ne sais plus où, je ne sais plus quand. Mais j’écoutais, j’écoutais et cette voix montait.

Je pensais : « Va plus loin, va plus loin, plus haut… »

Je savais qu’elle pouvait atteindre ce point qui éclate le monde.

Et elle s’est arrêtée. Et j’ai été plein d’amertume.

Depuis, j’ai entendu beaucoup de timbres. J’aimais le chant. Chaque fois, c’était la même histoire. J’accompagnais silencieusement ces voix en leur soufflant :  » tu peux, tu peux. » Elles se taisaient toujours à la limite des fractures. Tout retombait.

Pourtant, je sais que l’homme peut retourner le monde comme un gant. Je sais qu’il peut crever les parois qui nous séparent de la perfection…

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… Comment peut-on résister au clin d’œil, aux formes soulignées, à la chaleur d’une mélodie, à un mot, à un bout de peau, à un moment de tiédeur, à l’ourlet d’une lèvre, rien quoi !

Mais moi avec ce rien, j’en faisais une histoire, un coin de la mosaïque de ma vie. Aujourd’hui, ce sont des milliers de petits carreaux épars qui voltigent autour de moi. J’en attrape parfois quelques uns. C’est étrange, tous ont une relation entre eux et rien n’est un hasard. Ce sont de merveilleuses ébauches. Mais là où je vais tout cela sans doute est inutile. C’est autre choses qu’on réclamera de moi.

On me dira : « Qu’as-tu fait de tes dons ? »

Et je répondrai : « J’en ai fait du mortier, du raphia, des soudures pour rassembler ce qui était dans l’air, ce qui passait, ce qui me frôlait, ce qui me croisait. »

À l’emporte-pièce, c’est vrai, mais avec amour.

À tire-d’aile, c’est vrai, mais avec amour…

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… « C’est ainsi qu’un jour, en plein combat, je découvris le métier à tisser. C’était dans la pénombre d’une misérable échoppe. Un vieil homme tissait (…) :

Mais que fais-tu vieillard ? Tu devrais fuir ou te cacher sinon tu vas mourir.

Il me répondit en souriant :

« Vois et ne t’inquiète pas. Je réécris le Monde. »

Je vis alors devant lui un merveilleux tapis, comme une grande page inachevée, un tableau frémissant de couleurs, un ruisseau de sérénité bordé d’un semis de signes paradisiaques, se frayant un passage au beau milieu du sang, de la fumée et des hurlements.

C’était comme un écran, une barrière d’étoiles et de fleurs de lumières. Des flammes, des feuilles, des arbres protégeaient le vieil homme et son antre du monde. (…) Je demeurais figé dans l’irréalité de ce nouveau silence rouge et lourd qui montait de la trame. L’étincelle bleue de la navette poursuivait son obsédante trajectoire.

Je voyais se construire un cyprès.

« Il pousse vers le ciel » me dit le vieillard.

« Regarde, il emporte l’humain vers le haut. Il boit dans son feuillage nos erreurs et nos fautes et s’élance vers le divin. La source et la flamme. Tu me crois maintenant ? Tu voudrais essayer ? »…

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… Si seulement les vivants connaissaient la valeur du verbe ! Ils ne perdraient plus un instant à gaspiller les mots.

Prononcés avec exactitude, ils ont chacun la force d’un éclatement solaire.

Et nous qui écoutons, nous sommes des vitraux, des filtres transparents recueillant les liqueurs d’éblouissantes vies.

Les sons de nos voix se répercutent dans l’espace et lui donnent matière à respirer.

Ce qui contracte l’univers, le bloque au point de l’étouffer, ce sont les refus, les incessants besoins de juger. L’homme n’a toujours pas pris possession de sa géographie.

Tourner en rond dans un tiède et sombre bourbier lui tient lieu de terre. Il est aveugle, bavard par couardise et tue par lâcheté.

Qui oserait, s’il pouvait l’éprouver en lui-même, détruire la perfection ?… »

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Extraits du texte : « FIN » 1999  Alain Cadéo.

Illustrations : 1/« Pommier aux fruits rouges » 2/« Digitales » 3/« Arums et Iris »  Paul-Elie Ranson 1861-1909.

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Faire vibrer nos plus belles cordes…

BVJ – Plumes d’Anges.

16 commentaires sur “Emotions…”

  1. Céleste dit :

    je me suis empressée de ranger ce texte merveilleux dans mon coffret plein de pépites d’or.
    Il est somptueux.
    Il dit si bien le mystère des mots et de la vie.
    merci chère Plume
    ¸¸.•*¨*• ☆

  2. angedra dit :

    Je recueille ce magnifique texte, je reste éblouie par ces merveilleuses gravures et je laisse éclater en moi de merveilleux sentiments.

  3. Anne dit :

    Ben dis donc, quel texte!!! Waouh!!!
    Je vais faire des recherches là-dessus!!! Et ce n’est pas la 1° fois sur ton blog!!!!

  4. Dominique dit :

    j’aime beaucoup ces peintures naïves elles respirent la tendresse

  5. Aifelle dit :

    Lumineux premier tableau ! Je ne connais pas l’auteur, je vais me pencher très vite sur ce qu’il a fait, j’aime 🙂 Bonne fin de journée Brigitte.

  6. De très beaux textes !
    Et les tableaux sont éclatants de couleurs et de lumière ! Merci Brigitte !

  7. Daniel dit :

    Tout vibre dans la vie. Nous sommes vibration et nous pouvons nous accorder au chant cosmique.

  8. Tania dit :

    J’avais oublié le nom de Paul-Elie Ranson dans le groupe des Nabis, « plus japonard » que Bonnard ! J’aime ces peintures florales

  9. Ariaga dit :

    Je vibre très for, au texte et aux illustrations. Amitiés.

  10. Un très beau moment chez toi ce soir, côté mots et côtés illustrations, je me sens tout à coup plus ‘forte’, bises et belle soirée à toi, Martine

  11. naline dit :

    Encore une très belle découverte chez toi ! Mille mercis !

  12. Lauriza dit :

    Beaucoup de plaisir à lire ce texte aux mots vibrants. Si seulement les êtres humains pouvaient tirer leur esprit vers le haut ils ne verraient que les connexions pleines d’amour que chacun a en lui. Le monde serait certainement meilleur.

  13. colo dit :

    Chanter les fleurs haut, à la perfection!
    J’ai lu ces mots avec beaucoup d’émotions, merci Brigitte, bonne soirée.

  14. JC dit :

    L’Amour est créateur, il porte nos dons au zénith ! Belle journée à toi Brigitte. Je t’embrasse. Joëlle

  15. Mathilde dit :

    Absolument superbe ..il raisonne comme en écho à mon billet de cette semaine …!!
    Merci Brigitte pourtant d’ émotions …
    je t’embrasse

  16. christinegio dit :

    Je vois ce gant retourné en plein milieu de la Ronde de Nuit de Rembrandt et je sais qu’il savait… Il nous le met sous les yeux… Juste devant la lumière…
    Bon retournement et jolie journée

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