La joie d’être…

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« … J’aime la tendresse de la terre sous mes genoux et j’aime aussi quand je la prends dans mes mains, quand elle glisse entre mes doigts. C’est comme une pluie, la pluie la plus douce qui soit. J’aime le miracle de ce silence qui éteint le tumulte de la cour. Et dans le ciel cet avion qui laisse une trace blanche ; il ne manque rien. Oh, je sais, il y a bien ces barbelés, il y a bien ces miradors mais je m’y suis fait. Ces barbelés, je peux les regarder longtemps, la tête renversée, je contemple ces formes enlacées et alors ce ne sont plus des barbelés : ce sont des corps qui font l’amour, c’est le croquis d’un peintre ou autre chose encore. Le surveillant aussi, là-haut, perché sur son mirador, il suffit d’un peu d’attention et c’est lui le prisonnier, c’est lui le chien exilé dans le ciel.

Ma parcelle dans le potager, j’ai mis des mois à l’obtenir. Des mois de bonne conduite pour avoir le droit de planter ds tomates et des courgettes, des poivrons et des oignons, des salades, des potirons. Ce que j’aime par-dessus tout, ce sont les potirons et les tomates, je ne sais pas pourquoi, peut-être pour leur couleur, ou pour leur démesure, surtout celle des potirons lorsqu’ils se mettent à enfler. J’en prends un énorme à pleines mains, je le soutiens et j’ai l’impression de sentir la force sous l’écorce, la vie qui pousse et qui réclame, éclate la carapace. Je réajuste la tige contre le tuteur, je resserre un peu le lien et je sais que ça suffit : il ne lui en faut pas plus pour cesser de ployer et croître de nouveau. Il fait beau, si beau, j’aime cet orange, ce rouge, ce vert, cette lumière qui traverse les feuilles et je suis dans les îles, là où le rhum permet de supporter la chaleur et de voir briller des serpents à la surface de l’eau, je suis partout où les grillons chantent leur bonheur d’être au monde, je suis allongé dans le sable, les bras en croix, partout où souffle le vent tiède…

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… Il ne comprend pas qu’ici, les déceptions n’ont pas le même poids : ici, on peut mourir d’espérer. Je lui dis que c’est le réel qui compte, c’est lui et lui seul qui peut nous rendre heureux. Mais je vois qu’il n’entend rien. Il a les yeux baissés. Dans un murmure, il dit qu’il me plaint. Alors je lui ordonne de bien m’écouter et je lui dis de me regarder. Je lui dis que ma sortie, je n’y pense jamais. Jamais. Je lui dis que j’ai cette vie-là à aimer et que c’est bien assez. Je lui dis que je ne veux pas de son espoir parce que l’espoir est un poison : un poison qui nous enlève la force d’aimer ce qui est là…

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… Un mot revient souvent dans la bouche du médecin, le mot comportement. (..) Il me dit qu’il veut comprendre ce que je ressens. Il me demande si je peux nommer ce sentiment, si je peux mettre un mot sur ce dont j’ai parlé, cette chose qui monte dans le ventre et même dans la gorge et qui parfois surgit quand je ne m’y attends pas. Je crois que c’est de la joie. C’est le mot qui me vient. Ses mains sont jointes devant lui et sa tête penchée. Il me fixe toujours. Je ne sais pas s’il pense à autre chose ou s’il est concentré et puis c’est comme un cri du cœur : « Mais… il n’y a pas de raison ! »… »

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Extraits de : « La joie » 2014  Charles Pépin.

Illustrations : 1/ et 2/ « Le jardinier potager »  Giuseppe Arcimboldo 1527-1593.

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Sublimer notre quotidien…

BVJ – Plumes d’Anges.

7 commentaires sur “La joie d’être…”

  1. Anne dit :

    De bien beaux extraits qui me donnent envie de lire le livre tout entier.Merci pour cette joyeuse découverte matinale.

  2. Dominique dit :

    j’aime énormément Arcimboldo

  3. Poussy dit :

    Lue la semaine dernière,cette phrase d’un prisonnier qui s’était mis au yoga pour tenir le coup, « ne me libérez pas, je m’en charge! »
    Quelle merveilleuse et totale acceptation de la situation.

    Je suis sûre que nous aussi, nous pouvons nous libérer de tout en décidant d’aller regarder de près la joie où elle se trouve, c’est-dire absolument partout.

    Merci Brigitte pour ta confiance en tout.

  4. christinegio dit :

    Ce texte est juste parfait. J’aurais aimer l’écrire car défois, je suis en prison… Enfin, défois.
    Des bisous.

  5. Ce texte est magnifique Brigitte !
    Je ne connaissais pas cet auteur…Merci d’amener à nous de si belles pages !
    Bises et douce journée à toi.

  6. Mathilde dit :

    Tellement beau ce regard sur la vie …:-)
    Merci Brigitte pour la découverte de cet auteur ..
    Bisous à toi

  7. Daniel dit :

    Ce matin j’ai pris mon vélo et j’ai fait le tour du lac. L’air était frais et je sentais les caresses du vent sur mon visage. La nature était calme et les cygnes glissaient sur l’eau. J’étais bien, j’étais heureux…..

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