Drôle de monde……

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« … Partons de l’équation du nénuphar telle que l’expose Albert : « On plante un nénuphar dans un grand lac. Ce nénuphar a la propriété héréditaire de produire chaque jour un autre nénuphar. Il se trouve qu’au bout de trente jours, la totalité du lac est recouverte par les descendants du premier nénuphar et que l’espèce entière meurt étouffée, privée d’espace et de nourriture.

Question : Après combien de jours les nénuphars ne couvraient-ils que la moitié du lac ?

Réponse : Non pas quinze jours, comme pourraient le penser un peu hâtivement l’élève distrait et l’énarque arrogant, mais bien vingt-neuf jours, c’est-à-dire la veille de l’échéance fatale, puisque la surface envahie double à chaque jour. Ce qui veut dire que l’apocalypse peut être plus proche qu’on ne l’imagine. »

Cette petite fable illustre le phénomène de la croissance dans un milieu fermé et a pour objet de bien mettre en évidence qu’une croissance de la production et de la consommation, souvent souhaitée par nos gouvernants, si elle venait à se perpétuer, constituerait un danger pour nous compte tenu de la limitation des ressources de la planète et de sa capacité à absorber nos déchets.

« Si nous étions l’un de ces nénuphars, à quel moment aurions-nous conscience que l’on s’apprête à manquer d’espace, sachant qu’au bout du vingt-cinquième jour le nénuphar ne couvre que 3,12% de la surface de l’étang ? » demande encore Albert Jacquard. « Pourquoi nous inquiéter, alors que nous avons ce comportement depuis plus de trois semaines et que 97% de la surface du lac est encore disponible ? » répondent en chœur les élèves de CM2 et les princes qui nous gouvernent. Nous n’imaginons probablement pas la catastrophe qui se prépare et pourtant nous sommes à moins d’une semaine de l’extinction de l’espèce… Si l’on s’en inquiète le matin du trentième jour, on s’entendra sans doute répondre par le destin, comme le met en scène Dario Fo dans une pièce sur le changement climatique* : « Trop tard, bande d’imbéciles ! » Et même si un nénuphar particulièrement vigilant commençait à s’en préoccuper le vingt-septième jour et lançait un programme de recherche de nouveaux espaces, et que le vingt-neuvième jour, trois nouveaux lacs étaient découverts, quadruplant ainsi l’espace disponible ? Eh bien, l’espèce disparaîtrait au bout du… trente-deuxième jour ! On aurait fait que du développement durable alors qu’il fallait faire de la décroissance !… »

* L’Apocalisse rimandata, overro Benvenuta catastrofe, Guanta, 2008.

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Extrait de : « Réinventons l’humanité » 2013  Albert Jacquard (1925-2013) -Hélène Amblard- Postface de Serge Latouche.

Illustrations : 1/« Nymphéa tetragona »  Kawahara Keiga 1786-1860  2/« Planche des nénuphars-La plante et ses applications ornementales » (détail)  Maurice Pillard Verneuil 1869-1912.

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Réfléchir et vivre le monde autrement…

BVJ – Plumes d’Anges.

11 commentaires sur “Drôle de monde……”

  1. angedra dit :

    Le compte a rebours a déjà commencé…

  2. Daniel dit :

    Ce n’est pas très gai ! Retroussons nos manches !

  3. Dominique dit :

    il faut nous secouer ou disparaitre

  4. Je suis le lac et personne ne sait, même pas moi, combien il y a de nénuphars dessus !
    Mais quelle est cette manie de toujours tout vouloir compter ? Ce n’est pas raisonnable, bande d’imbéciles ! Moi, j’oublie toujours tout les chiffres et ça me rend joyeuse. Contempler un nénuphar aussi, même s’il a les racines dans la vase.
    Je t’embrasse, Fleur de Nénuphar !

  5. Aifelle dit :

    Le commentaire de Christine au-dessus me fait rire ! la démonstration d’Albert Jacquard un peu moins … J’aime particulièrement la première illustration. Bises Brigitte 🙂

  6. Aloysia dit :

    Le monde est équilibre ; l’harmonie règne par nature ; à chaque problème surgit sa correction. Pourquoi s’inquiéter et faire des calculs d’apothicaire ? Avons-nous déjà compté le nombre d’étoiles dans l’univers, le nombre de grains de sable et de gouttes d’eau contenus dans notre planète ? Savons-nous le nombre de respirations que nous avons émises depuis notre apparition sur cette terre ? Alors le reste importe peu…

  7. Ca fait froid dans le dos…. Personnellement, j’ai opté pour la décroissance mais c’est dur d’être à contre courant.
    Merci pour votre article, passionnant encore une fois. Et les illustrations…. C’est un plaisir de venir ici.

  8. Célestine dit :

    Colibris, Nuit debout, bleu blanc zèbres, les indignés…quelques exemples des mouvement citoyens qui réfléchissent. Malheureusement les gens qui gouvernent n’ont pas de cerveau…
    la démonstration des nénuphars est implacable.
    Mais gardons espoir, non ?

  9. naline dit :

    Merci pour cette belle fable. Demain, c’est déjà aujourd’hui 😉 Les initiatives citoyennes se multiplient. Nous avons notre part à faire, comme le colibri. Nos gouvernants sont cependant plus préoccupés par leur vision électoraliste que par un vrai projet sociétal… Il ne reste à espérer qu’ils finiront par ouvrir les yeux avant qu’il ne soit trop tard.
    Beau week-end, Brigitte !

  10. C’est bien vrai…c’est maintenant qu’il faut agir et pas demain, pour nos enfants et petits enfants.
    Encore un très beau post, Merci Brigitte !

  11. ulysse dit :

    et oui c’est un peu comme l’homme qui chute d’un immeuble de 30 étages et qui parvenu au niveau du 1er dis jusqu’ici tout va bien !

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