Réaliser…

.

.

« … Je n’aime pas Fouquet du début de son existence jusqu’à son emprisonnement. Cet « honnête homme malhonnête » me déplaît dans ses outrances, ses manigances, ses orgueils, ses mondanités et son désir de paraître. Mais le ciel avait un plan pour lui et Fouquet l’a compris : il a dû faire tout cela, le château de Vaux-le-Vicomte, les intrigues à déjouer, les après-dîners secrets, les pots-de-vin à toute heure, les jets d’eau et les feux d’artifice nocturnes, les tapis de Turquie, les cuirs de Cordoue et les lits de brocart parsementés d’or, pour aller tout droit vers sa fin. Il a dû traverser les splendeurs illusoires pour toucher à la vérité profonde. Il a dû vouloir les plaisirs corsetés pour connaître la souffrance qui libère. Il a dû être un géant pour n’être plus rien. D’autres que lui font ce chemin à l’envers et perdent ce qu’ils avaient gagné au début…

.

… Ceux qui se sentent étrangers sur terre en sont les vrais habitants…

.

… L’étrangeté de la vie est pour moi un moins grand mystère que le mystère de ceux qui ne s’étonnent pas de l’étrangeté de la vie…

.

… Soudain, papa s’agenouille devant un landau dans lequel s’est redressé un bébé joyeux. La maman n’est pas étonnée de voir papa, le visage rempli de bonheur, babiller quelques mots à l’enfant qu’il interroge d’un sourire de lumière. Le poupon lui répond d’un sourire plus lumineux encore. La maman dit merci, comme si le bon Dieu en personne la visitait. Et moi, je regarde cela furieux, piétinant sur place comme un diable authentique, tellement en colère de voir ce que je n’ai pas eu de ma vie, ce que je n’ai jamais vécu, ce que mon père ne m’a jamais donné. L’enfant s’en va et ses petits yeux soyeux dardent des rayons multicolores. Papa se retourne vers moi. Il lui reste sur le visage un peu de son sourire de lumière et je comprends soudain. Sans rien me dire, il m’a montré devant ce bébé joyeux comment il m’a aimé, avant, au début, et comment il regardait le petit garçon que je fus et qui ne peut s’en souvenir. Je me dis alors qu’il m’offre du passé perdu, papa. Je me dis qu’il ouvre une fenêtre du temps pour que j’inspire tout l’oxygène dont la suite de ma vie aura besoin. Mon père irréversible m’offre le plus beau des cadeaux et je me souviens qu’à cet instant-là, quand je comprends cela, l’émotion me coupe l’âme en deux parties égales, nuit noire et éblouissement.

Montreurs d’exemples, faiseurs de miracles, retournez vite au ras de mon enfance, allez me le chercher tout en bas, ce petit papa que je n’ai pas fini de serrer contre moi… »

.


Extraits de : « Devance tous les adieux » 2015 Ivy Edelstein.

Illustrations : 1/« Le triomphe de la Loyauté – Chambre des Muses – Château de Vaux-le-Vicomte »  Charles Le Brun 1619-1690  2/« L’artiste danois Pietro Krohn et son fils Mario »  Albert Edelfelt 1854-1905.

…..

Nous sommes tous « accompagnés »…

BVJ – Plumes d’Anges.

8 commentaires sur “Réaliser…”

  1. Aifelle dit :

    Un texte qui m’a beaucoup touchée et que je relirai sans doute un jour. Bon week-end Brigitte, bises.

  2. Dominique dit :

    je ne connais pas l’auteur mais je note
    Fouquet n’est guère sympathique en effet mais c’est le représentant de la lutte contre l’absolutisme c’est ce que j’aime chez lui

  3. naline dit :

    Merci pour cette découverte.
    Un texte et la deuxième toile est un bel écho à mon billet de ce jour.
    Très beau week-end, chère Brigitte.

  4. Isadova dit :

    Quel émouvant hommage d’un fils à l’égard de son père !
    Le questionnement de cet enfant est celui de beaucoup d’entre nous …

    Belle journée dominicale , Brigitte .

  5. Florinette dit :

    Magnifique extrait, merci pour cet émouvant moment Plumes d’Anges et bon dimanche, je t’embrasse

  6. angedra dit :

    Beau regard d’amour entre un père et son fils.
    Bises

  7. daniel dit :

    A vouloir tout posséder, le risque est grand de tout perdre. S’alléger un peu permet d’être plus libre.

  8. Mathilde dit :

    Un billet tellement attachant …Le langage du coeur qui passe dans la lumière et la joie d’ un regard …!!
    Merci Brigitte …contente de te retrouver …:-)

Laisser une réponse

*