Harmonie partagée…

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 » Dans une petite ville entre les collines, un mendiant erre dans les ruelles tortueuses et sordides. Il parvient à la place du marché, quelqu’un le bouscule, il s’assoit sur une pierre levée, on lui sert un bol de soupe de riz. Puis il va vers la rivière, tout le long s’étalent les échoppes. Le mendiant se met à son endroit favori près du pont de l’Harmonie.

Parmi les échoppes se trouve une boutique en bois rouge sans enseigne, la boutique du marchand de thé. Le mendiant observe la foule aller et venir. Un homme riche et bien vêtu entre dans la boutique. C’est la première fois qu’il le voit. On n’entend rien, on ne sait ce qui se dit mais, quand l’homme ressort, le marchand sur le pas de la porte, le salue profondément. L’homme porte une boite en laque que le mendiant reconnaît : c’est un thé de collection, rare, qui vient des montagnes lointaines. Le mendiant interroge, on lui répond que cet homme est un amateur de thé réputé, poète également. Il vit dans le quartier des vastes demeures qui se trouvent derrière le temple de la Paix Sublime. Le mendiant va de ce côté.

À la porte d’entrée de la maison de l’amateur, il répond au portier qu’il est venu goûter le thé : « Votre maître a la réputation d’être un amateur, un grand connaisseur de thé, je désire parfaire ma connaissance et éprouver nos goûts. »

Le serviteur rapporte ses paroles à son maître. Celui-ci a des sentiments mêlés, il est surpris, intrigué, flatté et heureux d’une possible rencontre. Il le fait entrer. Le maître découvre dans ce mendiant un homme agréable et cultivé, il l’invite dans le jardin.

Dans le pavillon de la Lune Pourpre, on prépare le thé. La cascade résonne, son ténu entre les bambous, qui rafraîchit cet après-midi d’été. Le mendiant apprécie : « Ce thé est un thé de printemps de première récolte, mais la théière est trop neuve, cela amoindrit le goût ! »

En effet, le serviteur l’avoue. Le maître est impressionné de sa sûreté de jugement. Le mendiant ajoute qu’il peut améliorer le goût. Comment ? s’exclame le maître. Comme ceci, et le mendiant sort de la manche de sa veste une théière. Une petite théière, ronde, de terre cuite brun foncé. Le couvercle est surmonté d’une tortue tête levée. Théière polie par les années, couverte de la patine des mains… Elle l’accompagne depuis des années, depuis toujours, murmure-t-il, le regard embué…

Le mendiant prépare le thé. Excellent !

Avec respect, le maître prend la théière, regarde dedans. La paroi est tapissée d’une épaisse couche. Il la tourne dans ses mains. Reflets profonds. Traces de chaque thé bu, accumulées…

Autrefois, le mendiant, amateur lui aussi, possédait des théières fabuleuses, pièces uniques dans lesquelles il buvait des thés assez rares. Puis, un jour, le vent a tourné, les affaires moins bonnes, il a tout vendu. Sauf cette théière qu’il porte sur lui. Le maître veut l’acquérir, il propose un bon prix, le mendiant refuse ! Le maître pose le double de la somme, le mendiant accepte de vendre ! Il vend la moitié de sa théière !

Chaque jour, le mendiant vient chez l’amateur. Dans le pavillon de la Lune Pourpre, l’amitié résonne entre cascade et bambou. Le maître offre le thé, il le fait préparer dans la théière qu’offre le mendiant. Tous deux partagent ce moment… Harmonie parfaite… »

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Extrait de : « Contes de la chambre de thé » 2010  Sophie de Meyrac.

Illustrations : 1/ et  2/  « Fleurs de Lotus » Peintre anonyme – Chine XVIIème.

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Clarté lumineuse de l’harmonie partagée…

BVJ – Plumes d’Anges.

11 commentaires sur “Harmonie partagée…”

  1. Phène dit :

    Exquise saveur de l’In-fusion… Belle semaine, chère âmie Brigitte

  2. Aifelle dit :

    Je ne connais pas ces contes, s’ils sont tous de la même veine, je note .. Bises Brigitte et bonne semaine 🙂

  3. Merci, Brigitte pour cette belle histoire. Ce mendiant me rappelle quelqu’un… Je crois que le Maître qui se croit riche a quelque chose à comprendre.

  4. Martine dit :

    Un livre que j’aime, moi, buveuse de thé et amoureuse de tout ce qui en parle! Et je suis ravie du texte choisi
    et pour ces superbes illustrations que j’étudie et, je m’en inspire depuis longtemps pour peintures et appliqués, belle semaine et amitiés, Martine

  5. Dominique dit :

    de bien jolis contes que ceux là : l’ harmonie autour du thé a de bien belles couleurs

  6. angedra dit :

    Je me suis laissée bercer par ce breuvage qui sait si bien se partager.
    Je ne suis pas spécialiste de thé, mais chaque jour j’apprécie mon moment thé.
    Cela commence par la préparation, le choix de la tasse, la présentation… puis je m’installe pour mon petit rituel.
    Je ne connais pas ces contes mais celui-ci me donne envie de les découvrir.

  7. naline dit :

    Il est des partages qui sont de vrais trésors !
    Merci pour ce doux moment et cette idée de lecture que j’ajoute de ce pas à ma liste !
    Belle semaine, Brigitte !

  8. Mathilde dit :

    Le thé partagé devait être parfumé de  » délicatesse  » …rare moment à savourer pleinement comme ce conte d’ un maître du thé…:-)
    Bisous Brigitte

  9. Lily dit :

    Bien vu ce conte ! Toi tu as le thé, moi j’ai la théière. Une belle invitation au partage. Et une méditation intéressante sur les richesses cachées et la pauvreté au coeur de la richesse.

  10. Daniel dit :

    Rechercher l’harmonie est une façon agréable de bien vivre…L’harmonie crée la fluidité énergétique…

  11. MISS MM dit :

    Quelle belle histoire ! Merci de la partager avec nous.

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