Métamorphose poétique…

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« … Qu’ils me semblent loin, ceux d’en haut dont la tête roule et tangue à près de deux mètres du sol, loin, très loin du monde dont je suis le prince et où ils ne pourraient rentrer qu’à genoux, en pliant le dos… Loin, non pas plus forts, plus sages ni plus savants que moi, mais ayant changé d’échelle, peu à peu, sans s’en rendre compte, année après année, et troqué leur esprit d’enfance contre des affaires, des projets, des tâches et des obligations de toutes sortes, incurieux désormais de cette terre où ils marchent, des animaux, des fleurs, de la purée de carottes et des petits Gervais, accaparés par autre chose d’infiniment grave et sérieux à quoi je ne comprends rien et qui les conduit par exemple à se téléphoner sans cesse…

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… Je voudrais respirer les mots comme on respire le parfum des fleurs. Les cueillir sur le papier et les disposer en bouquets dans des vases si transparents qu’on en oublierait l’eau. Alors on se prendrait à croire que ces mots-fleurs coupés se tiennent debout tout seuls… Le livre dont je rêve, ce serait cela : un bouquet de fleurs parfumées plantées dans une eau invisible. Une sorte de miracle. Comme on en rencontre précisément dans les livres. Des fleurs sans histoire et sans ombre. Et pourquoi pas sans tiges, suspendues comme les étoiles au ciel. Ou comme des papillons…

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… Un papillon n’a jamais de peine. La flûte de son cœur voué aux passions légères ne s’affole qu’à la vue des fleurs. Il voit jaune, il voit rouge, un sang frénétique baigne sa minuscule tête d’épingle. Il s’immobilise alors en plein vol pour téter le nectar sucré, ses fausses pattes abdominales accrochées aux corolles tremblantes.

Quand ils s’aiment, deux papillons de nuit se tiennent longtemps serrés l’un contre l’autre. Dans un parc vide, au crépuscule, ils se sont rencontrés sur un banc de bois peint. Leur premier baiser a duré jusqu’à l’aube. Puis ils ont dormi tout le jour, accouplés sous leurs ailes, et ne se sont réveillés que le soir.

Le papillon vit sans papiers. Sa vie est écrite sur ses ailes. C’est une miniature peinte par un Dieu paisible. Ce vagabond fait cent fois par jour le tour du jardin.

Dans un cocon en fil de soie, il aura patienté longtemps. Puis, un jour, vient sa métamorphose. À présent, il ne changera plus : son existence est sans histoire. C’est pourquoi il se déplace si légèrement, en se riant du temps qui passe. Il boit le ciel à petites gorgées…

Il vit luxueusement, dans une espèce d’oisiveté odorante : il rend visite aux fleurs qui lui ressemblent. Sa fragilité le protège : il ne vieillit pas. Le soleil, un matin, oubliera de le réveiller… »

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Extraits de : « Journal d’un enfant sage » 2010  Jean-Michel Maulpoix.

Illustrations : « Album d’illustrations » – Planches 12, 23, 21 – Okamoto Shuki 1807-1862.

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Métamorphoser nos pensées…

BVJ – Plumes d’Anges.

18 commentaires sur “Métamorphose poétique…”

  1. Lauriza dit :

    Nous sommes pris dans le tourbillon des techniques toujours plus performantes et déjà, esclave de nous mêmes nous devenons de plus en plus prisonniers au fil des années. Essayons de retrouver une certaine liberté pour vivre de temps en temps comme les papillons. ça ferait le plus grand bien !

  2. Lily dit :

    C’est joliment et finement exprimé. Cependant aimerais-je être un papillon ? Il me semble que je préfère la complexité de la vie humaine, avec ses peines, ses papiers et au-dehors ses papillons voletant pour nous émerveiller et nous rendre plus légers.

  3. Dominique dit :

    C’est très bellement dit et je note l’auteur du coup
    Tu as vu ce soir à la Grande Librairie il y a Matthieu Ricard

  4. JC dit :

    Voilà quelqu’un qui sait vivre dans la Beauté, qu’elle soit extérieure ou intérieure. Merci pour ce doux moment. Amitiés. Joëlle

  5. lucie dit :

    Avec toute la légèreté d’un vol de papillon, mon fils de 4 ans m’a déjà conseillé

    de  »Mettre ma Morphose » …belle et grande idée! au plaisir, Lucie.

  6. flipperine dit :

    c’est vraiment très joli et si on pouvait être rien qu’un instant papillon et vivre sans soucis quel bonheur

  7. Aifelle dit :

    Un auteur que je ne connais pas et que je note pour son écriture très poétique.

  8. ANNE dit :

    Oh la la, quelle joie de relire ces lignes sublimes de Maulpoix. Merci!
    Ca donne de la légéreté à la vie, à la journée………………Amitiés!

  9. Martine dit :

    Un livre que je veux pour Noël, il donne de la joie et tes illustrations toujours si belle pour le plaisir des yeux après celui des mots, belle journée

  10. Daniel dit :

    Un beau texte, très poétique dont je ne connais pas du tout l’auteur !

  11. Mathilde dit :

    C’ est toujours avec un grand plaisir que je relis les mots de J.M Maulpoix …on ne s’ en lasse jamais …exactement comme les papillons …:-))
    À bientôt Brigitte

  12. angedra dit :

    Beauté et légèreté d’un texte papillon qui nous entraine à le suivre.
    Pourtant moi je ne rêve pas d’avoir une vie de papillon, car que serait notre vie sans papier pour y coucher nos paroles d’amour, que serait notre vie sans soucis. Les passions ne peuvent être légères, c’est bien leur folie qui nous mettent des ailes et nous permet de voler.

  13. naline dit :

    Magnifique…
    Je vais ajouter ce livre de Maulpoix sur ma liste ! Merci de m’en avoir fait découvrir des morceaux et excellente fin de semaine !

  14. Florinette dit :

    Quel beau texte !! En ce moment avec la douceur qui persiste, les papillons virevoltent autour de nous et c’est toujours avec émerveillement que je les regarde s’amuser avec le vent, mais avec aussi une pointe d’envie… Beau dimanche Plumes d’Anges, je t’embrasse

  15. Didier 85 dit :

    Joli moment partagé !
    Bisous et bon dimanche Brigitte

  16. Poussy dit :

    Je ne regarderai plus jamais un papillon de nuit de la même manière!!

    Ces mots incroyables d’émotion sont ceux d’un poète de l’humanité, c’est inoubliable.

    N’ayons plus jamais de peine nous non plus, vouons-nous à la passion de la vie, les papillons ont raison, je t’envoie un petit bouquet rond de mots -tendresse.

  17. Comme j’aime venir par ici. C’est tellement beau, tellement délicat. Comment faites-vous pour pouvoir citer autant de beaux textes, montrer autant de belles images…. Merci, quoi qu’il en soit, de les partager.

  18. Adélie dit :

    Le texte est très beau mais j’aime surtout la finesse de ces représentations japonaises de la nature!

    Adélie

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