Ferveur…

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« … Créer, c’est manquer peut-être ce pas dans la danse. C’est donner de travers ce coup de ciseau dans la pierre. Peu importe le destin du geste. Cet effort t’apparait stérile à toi, aveugle, qui te tiens le nez contre, mais recule-toi. Considère de plus loin le mouvement de ce quartier de ville. Il n’est plus là qu’une grande ferveur et qu’une poussière dorée du travail. Et les gestes manqués tu ne les remarques plus. Car ce peuple penché sur l’ouvrage, bon gré mal gré, édifie ses palais ou ses citernes ou ses grands jardins suspendus. Ses œuvres naissent comme nécessairement de l’enchantement de ses doigts. Et je te le dis, elles naissent autant de ceux-là qui manquent leurs gestes que de ceux-là qui les réussissent, car tu ne peux partager l’homme, et si tu sauves seuls les grands sculpteurs tu seras privés de grands sculpteurs. Qui serait assez fou, pour choisir un métier qui donne si peu de chances de vivre ? Le grand sculpteur nait du terreau de mauvais sculpteurs. Ils lui servent d’escalier et l’élèvent. Et la belle danse naît de la ferveur à danser. Et la ferveur à danser exige que tous dansent – même ceux-là qui dansent mal – sinon il n’est point de ferveur mais académie pétrifiée et spectacle sans signification.

« Ne condamne pas leurs erreurs à la façon de l’historien qui juge une ère déjà conclue. Mais qui reprochera au cèdre de n’être encore que graine ou tige ou brindille poussée de travers ? Laisse faire. D’erreur en erreur se soulèvera la forêt de cèdres qui distribuera, les jours de grand vent, l’encens des oiseaux. »…

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… Il disait ailleurs :

« N’invente point d’empire où tout soit parfait. Car le bon goût est vertu de gardien de musée. Et si tu méprises le mauvais goût tu n’auras ni peinture, ni danse, ni palais, ni jardins. Tu auras fait le dégouté par crainte du travail malpropre de la terre. Tu en  seras privé par le vide de ta perfection. Invente un empire où simplement tout soit fervent…

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… Bâtir la paix c’est bâtir l’étable assez grande pour que le troupeau entier s’y endorme. C’est bâtir le palais assez vaste pour que tous les hommes puissent s’y rejoindre sans rien abandonner de leurs bagages. Il ne s’agit point de les amputer pour les y faire tenir. Bâtir la paix c’est obtenir de Dieu qu’Il prête son manteau de berger pour recevoir les hommes dans l’étendue de leurs désirs. Ainsi de la mère qui aime ses fils. Et celui-là timide et tendre. Et l’autre ardent à vivre. Et l’autre peut-être bossu, chétif et malvenu. Mais tous dans leur diversité, émeuvent son cœur. Et tous, dans la diversité de leur amour, servent sa gloire… »

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Extraits de : « Citadelle »  Antoine de Saint-Exupéry 1900-1944.

Illustrations : 1/« Une fleur parmi les fleurs »  Nicolae Grigorescu 1838-1907  2/« Fleurs, fruits et fougères de Madeire » Couverture d’un livre du XIXème siècle de Jane Wallas Penfold et William Lewes Pugh Garnons.

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Tous ensemble, vivre chaque jour avec ferveur…

BVJ – Plumes d’Anges.


11 commentaires sur “Ferveur…”

  1. L’art de travailler sur soi en amour plutôt qu’en jugement afin d’offrir aux autres un regard tolérant. Amitiés. Joëlle

  2. Dominique dit :

    Citadelle ! Que voilà un bon souvenir de lecture et tes illustrations sont ….comme d’habitude

  3. Mathilde dit :

    Un texte qui parle au coeur des hommes de bonne volonté…je vais le relire..:-)
    J’ aime les petits cailloux que tu sèmes sur nos chemins d’ incertitude…
    Bises Brigitte

  4. Aifelle dit :

    J’aime beaucoup le tableau de Grigorescu et le texte de Saint-Ex .. un bon souvenir également pour moi. Bises du soir.

  5. Christelle dit :

    En résumé, il faut tâtonner, essayer, persévérer , goûter à tout , créer et espérer . Un joli texte avec une illustration exquise.

  6. Daniel dit :

    Comme si c’était un jour nouveau. Sachons nous renouveler en envoyant nos habitudes aux calendes grecques !

  7. Poussy dit :

    « La FERVEUR de vivre », sans James Dean dans le rôle principal mais avec nous tous, habités et propulsés par ces paroles pures…
    Antoine de St-Ex serait le metteur en scène, il n’y aurait aucun rôle de figuration, tous seraient dans le vrai, quant à la musique il y en a tellement qui nous soulèvent, le choix serait facile.

    Oh le beau film que ce serait!

    Allez j’y vais, j’ai une scène dans trois minutes…

  8. Didier 85 dit :

    Merci pour ton passage chez moi !
    Belle journée Brigitte

  9. Lily dit :

    Un texte qui fait du bien, car dans nos gestes il y a à la fois lourdeur et folie, mais ce qui importe c’est bien la confiance en la nécessité de faire du neuf, chaque jour, enfin aussi souvent que l’on peut. Et à force de maladresse, on apprend beaucoup ! Car celui qui ne risque rien sombre dans l’ennui de la routine. Bises brigitte !

  10. Tiens, pourquoi ne pas relire Citadelle….. Merci. Bon week end.

  11. karine dit :

    Un texte qui me touche tout particulièrement, venir chez toi, c’est trouver respect, sérénité et espoir.
    Merci pour ces si beaux textes.
    Très belle soirée à toi!

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