Créer…

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« … Si, bien souvent, il est permis de s’étonner de la lenteur d’un projet, quelquefois aussi, une tâche considérable sera rapidement conçue. Le plus long, en ce qui me concerne, est l’attente, ensuite tout mon temps de réflexion. Ces délais passés, le parti de l’œuvre arrêté, l’étape définitive peut être réglée en quelques jours. Pourquoi ? Cette question met en cause tout ce qui, dans la création, fait partie de l’accumulation des connaissances. Tout artiste agissant, a, dans sa mine de plomb, son pinceau, son burin, non seulement ce qui rattache son geste à son esprit, mais à sa mémoire. Le mouvement qui paraît spontané est vieux de dix ans ! de trente ans ! Dans l’art, tout est connaissance, labeur, patience, et ce qui peut surgir en un instant, a mis des années à cheminer…

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… Ne devons-nous pas toujours recommencer ?… dis-toi bien, Bernard, que jamais les éléments ou les faits ne se présentent de la même façon. Revenons à la pierre : crois-moi ! je n’en ai jamais employé de semblable, je ne pensais pas, avant d’arriver ici que je devrais un jour construire avec ces matériaux. Cependant, j’ai su, peu après mon arrivée, que ces pierres seraient traitées grossièrement et posées finement. Comment t’expliquer que la beauté des murs va dépendre de cette sensation, si je ne fais pas appel à ce composé inconscient et complexe ? Tu me veux sage, expérimenté ; tu te refuses à admettre tout ce qui ne te paraît pas venir de l’essence de ces qualités…

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… Le jour venu, penché sur ma table, je dessine l’essentiel de ce monde imaginaire. Il semble certain que les musiciens agissent ainsi : pour écrire, ils doivent attendre sans doute que la composition chante en eux…

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… Je sais que le moment est là. Je feins encore et me dis : « ne t’inquiète pas, attends, tout arrive puisque tu as tout réfléchi ; tu sais ce que tu veux, tu connais la forme. Donc attends la sensation, tu vas l’atteindre. » Au milieu de détails infimes qui reviennent, des cheveux pareils à des écheveaux de soie aux apparences translucides, de reflets d’eau déformés par des ondes concentriques qui tendent vers le calme du miroir parfait : je me vois arriver. Une joie sauvage me parcourt des pieds à la tête, joie du félin qui bondit sur une proie certaine. Je m’attendais et je viens. Le miracle dans mes embarras de chaque jour. Soumis à ma nouvelle vigueur j’oublie mon mal, je tombe sur mon dos dans le retournement du concret. Je vais à la rencontre vers la table : nous nous rejoignons et vivons notre joie commune… »

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Extraits de : « Les pierres sauvages »  Fernand Pouillon 1912-1986.

Illustrations : 1/ à 5/ Dessins d’études  et  6/« Vierge aux rochers »  (détail)  Léonard de Vinci 1452-1519.

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Que souhaitons-nous construire ?…

BVJ – Plumes d’Anges.

12 commentaires sur “Créer…”

  1. Naline dit :

    Subtil processus de création, errements, doutes… et parfois, tout à coup, surgit une réalisation, un résultat tellement profond, tellement autre, qui me dépasse. Cela m’est arrivé… rarement… ce sont des moments très intenses.
    Ces mots me parlent beaucoup… j’ajoute ce livre à ceux de ma liste.
    Belle journée à toi !

  2. Il a fallu que j’approche des créateurs pour me rendre compte du travail qu’une oeuvre demande. Je pensais que seule l’inspiration comptait, mais non, il y a au moins trois fois plus de transpiration. Merci à eux car ils embellissent nos vies et leur donnent du piment. Belle journée à toi. Amitiés. Joëlle

  3. Dominique dit :

    les paroles d’un siècle se marient très bien avec les dessins d’un autre siècle, preuve que l’art n’a ni frontière ni limites

  4. J’ai visité le Musée Léonard de Vinci (en Italie).
    C’est à tomber à genoux, devant tant de créativité, et de génie.
    On y pense encore des années après…

    Merci pour ces magnifiques illustrations !

    Bises ma grande.

  5. ANNE dit :

    tiens, Fernand Pouillon, l’architecte, et ce dont il parle qui me tient à coeur: le processus de création. Et toujours e lire, vor tes illustrations, tout se tient, lié, en harmonie. quel bien, ça fait!

  6. Eve dit :

    Très jolie étude botanique de Léonard da Vinci. Quel génie ! Il s’intéressait à tout.
    Merci pour ces découvertes d’ouverture d’esprit de ces deux créateurs.
    Bises.

  7. chanchan dit :

    coucou ! peux-tu me dire où as-tu trouvé ce texte de l’architecte Pouillon ? si tu peux donner les références éditeur ? Bisous !!!!

  8. Daniel dit :

    Maturation et explosion. j’écris souvent la nuit dans mon lit( dans ma tête). Le matin je me mets à mon ordinateur et tout coule facilement.
    La création peut être aussi, à mon avis instantanée comme une fulgurance.

  9. Léa dit :

    Eh oui, c’est cette période bénie où tout est faisable en pensée(s), où tout est cogité, organisé dans le moindre détail, où tout peut aussi changer… ça prend des heures, des jours, des mois… C’est ça la création ! Bisous et merci pour ce joli texte. ♥

  10. Poussy dit :

    Dans mon travail, je connais bien cette sensation, ce moment précis où l’on sent que « la composition chante » en nous…
    Mais la création, toute récente et absolument parfaite qui m’émerveille le plus, tu la connais, …..elle s’appelle Juliette!

    Je t’embrasse Brigitte, merci de célébrer le vivant!

  11. Mathilde dit :

    Que de talents dans ces dessins de Léonard de Vinci…les lignes de Pouillon raisonnent toujours avec tant de justesse au coeur des artistes de tous les temps .
    Dès que l’ on veut mettre quelque chose en oeuvre , sans être pour autant un artiste , on fait un peu le même cheminement…Je ressens souvent cela…que ce soit avec mes pétales ..que ce soit en réalisations diverses ou en essayant d’ aligner trois mots…il y a toujours un moment , comme le dit Poussy où
     » la composition chante « …
    Plein de bises Brigitte

  12. LOU dit :

    A Saragosse, j’ai dégusté lentement les dessins de Goya. J’ai le souvenir des dessins de Léonard de Vinci en Italie. Tout est merveille.

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