Émotion…

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« … Si vous avez une lunette de nuit un peu forte, comme celles où l’on regarde quelquefois pour dix sous, braquez-là sur l’étoile bleuâtre. Et je vous jure que cela vous saisira autant qu’un Blériot volant.

C’est Saturne. C’est le bijou du ciel. Vous le voyez flotter dans un noir sans fond, et vous montrant autour de son globe son brillant anneau, assez incliné vers vous pour que vous aperceviez à droite et à gauche, deux petits creux d’ombre qui le détachent du globe, et font voir qu’il trace en ce pays-là un pont lumineux d’un côté du ciel à l’autre, quelque chose comme la trajectoire solidifiée de plusieurs centaines de lunes. Astre et anneau étincellent par le feu du soleil caché. On regarde de nouveau avec ses yeux ; c’est toujours la petite étoile bleuâtre ; on revient à la lunette ; on se prouve, non sans peine, que ce bijou existe ; on prend pied dans le ciel. J’ai entendu dire qu’un homme, illustre depuis, devint astronome du jour où il vit Saturne et son anneau. Comment s’en étonner ?

Mais je veux vous conter une histoire de lunette. Il y avait un château ; au-dessus du château il y avait le ciel ; dans le château il y avait des gens fort cultivés ; il y avait aussi un trépied dans un coin et une grande boîte sous le billard. On disait : « Il y a dans cette boîte une lunette qui vient d’un oncle » ; et l’on racontait l’histoire de l’oncle. Historiens grands et petits, on n’entend que cela. Saturne fait ses tours au ciel ; mais ils ne s’en souciaient point, parce qu’ils avaient appris au collège tout ce qu’un homme cultivé doit savoir là-dessus.

Il fallut qu’il vînt là un grand jeune homme à raquette, qui n’avait guère écouté ses maîtres, et qui flânait par le monde, grâce à l’argent qu’il avait. Cet ignorant savait qu’il y a un vrai ciel, et des lunettes pour les choses du ciel. Il tombe sur la boîte, l’ouvre, monte la lunette, tâtonne d’étoile en étoile, et dit finalement : « Il est là. » Sa voix tremblait un peu. Tous y coururent ; et ce jour comptera dans leur vie. Car l’habitude nous cache les choses  mais, quand on a vu cet anneau penché autour d’un globe, il faut qu’on revienne aux merveilles qui sont autour de nous, à nos pieds. Comment ne pas penser à cette vieille terre qui flotte, elle aussi, enveloppée de nuages, toute humide de ses océans ? Et comment n’y pas aller, je veux dire comment ne pas s’éveiller aux choses terrestres ? Quand on découvre Saturne au bout d’une lunette, c’est tout l’Univers qu’on découvre. »

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Extrait de :  » Propos sur la nature  (propos du 25 octobre 1909) »  Alain (Emile-Auguste Chartier 1868-1951.

Illustrations : 1/« Jeunes femmes regardant dans une lunette » 1882  Auteur inconnu 2/ « Saturne »  Paul Philippoteaux 1846-1923.

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Cultiver la curiosité, tout est là, à nos pieds…

BVJ – Plumes d’Anges.

8 commentaires sur “Émotion…”

  1. Les étoiles sont au ciel comme les lettres dans un livre…
    Merci Brigitte pour ce magnifique texte qui nous permet de réfléchir la tête dans les étoiles !

    Belle journée à Toi, ma grande.

  2. solveig dit :

    Oui, il faut garder son regard intact pour ces merveilles qui nous entourent
    inexpliquées et probablement inexplicables …
    Ce texte est très beau.
    Bises Brigitte.

  3. Christiane dit :

    ça me ramène un peu aux graines de cosmonautes de Bianca 😉

    Très belle lecture! Merci et belle journée.
    Merci pour ton/tes soleils.

  4. Aifelle dit :

    Je ne connais pas cet auteur, le texte d’aujourd’hui me donne envie d’en savoir davantage.

  5. Faut-il voir cet anneau céleste pour apprécier les merveilles terrestres ? Aussi infimes fussent-elles, elles m’entourent et me fascinent chaque jour. Amitiés.Joëlle

  6. Poussy dit :

    Pendant longtemps j’aurais tout donné pour avoir les bonnes lunettes, celles qui font voir « les choses du ciel », jusqu’à ce que je réalise qu’elles étaient sur mon nez, bien ajustées à ma vue…
    Depuis que je vois le ciel, la terre c’est vrai ne m’a jamais semblé aussi extraordinaire. Chaque seconde, chaque instant de ce qui s’y passe m’apporte plus de compréhension et d’émerveillement. Je sais aussi que le ciel n’est plus  » en haut, » et la terre plus « en bas », tout est juxtaposé, ensemble, complété par son contraire.
    Ce miracle interactif est permanent et on est aux premières loges, quelle merveille quand même quand on y pense…
    Je t’embrasse, le ciel est clair, si on essayait de voir Saturne ce soir, avec ou sans longue-vue?

  7. Nathanaëlle dit :

    C’est vrai, nous vivons sur un miracle, nous tenons debout sur notre belle planète où tout absolument tout, est source d’émerveillement. Saturne brille en bleu ? Je l’ignorais… D’ici bas, on voit toujours l’étincelante Vénus, (l’Etoile du Berger) mais je n’ai jamais pensé à chercher Saturne à l’oeil nu. On repère vite Véga, et les constellations des Ourses, grande et petite, Cassiopée, mais Saturne… Hey, je vais m’interesser de plus près à Saturne !
    Merci Brigitte ! Toujours mille choses douces, belles et merveilleuses à trouver ici…
    Bisous et belle soirée

  8. Phène dit :

    Saturne, Joyau du système solaire qui n’en finit pas d’émerveiller celui qui découvre ses parures !… Belle fin de semaine, chère Brigitte

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