Autre chose…

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… » Nous savons bien, dans la mémoire consciente, le mal que nous avons parfois à nous rappeler un souvenir dont nous avons besoin, et pour lequel notre pensée tâtonne, cherchant des repaires inattendus et des ressemblances complices…

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… Et je m’émerveille de penser que ces révélations du passé sont là, quelque part et que nous avons tant de peine à les accueillir et à les identifier. Tout se passe comme si un souvenir riche et lumineux s’accrochait ainsi à n’importe quoi de connu pour arriver enfin, si nous en avons assez de loisir et de liberté intérieure pour en accueillir le don, à notre perception consciente.

Les souvenirs seraient donc là, réels, capables de se présenter un jour, au moment favorable, et cette certitude était aussi précieuse que la révélation elle-même…

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… Le résultat est là : encore aujourd’hui, dans ma chambre parisienne, je sens, physiquement, à n’en pas douter, la caresse de cette eau immobile et transparente. Cette fraîcheur revit en moi, et cette transparence autour de moi, si étrangement irréelle. J’étais dans un monde de rêve, mais on ne peut plus concret, sensuel et proche.

J’accepte donc, en théorie, l’idée qu’il y a là une grande part d’imagination, mais, spontanément, mon être s’y refuse : la caresse de l’eau dans la grotte bleue est une sensation que je ne puis renier.

En tout cas, l’important n’est pas là : il est dans le fait que cette sensation et cette perception si particulière soient restées en moi tout ce temps ; le trésor était demeuré là, bien caché, enfoui depuis si longtemps ! Et, tout à coup, tout m’était rendu, tout m’était offert, peut-être embelli par l’imagination, mais en tout cas plus lumineux que ce qui m’entourait et m’occupait dans la vie. C’était comme si on entrouvrait un grand voile, me livrant, un instant, une lumière céleste…

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… En effet, tout le monde en conviendra, il y a autre chose que les journées qui se suivent les unes après les autres, du lever au coucher, du travail à la fatigue, des protestations aux révoltes. Il y a autre chose que ces buts d’enrichissement immédiat ou de survie sans projet particulier, qui font que nos vies s’usent sans jamais viser vers quoi que ce soit de bon, de noble et d’important. Il y a autre chose que cette façon de marcher, les yeux au sol, avec un regard mauvais pour son voisin, sans rien entreprendre, sans rien espérer. Il y a autre chose que le sexe et l’argent, et même la prétendue gloire de jouer un rôle à coups d’intrigues plus ou moins sordides. À partir de toutes petites surprises que vous ménage parfois l’attention au réel, on découvre qu’il y a autre chose que de vivre pour rien : il y a cette possibilité d’obéir à cet élan intérieur tourné vers un monde entrevu, lumineux, durable, qui est peut-être à portée de main pour chacun de nous… ».

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Extraits de : « Les révélations de la mémoire »  Jacqueline de Romilly 1913-2010.

Tableaux : 1/ »Soir d’été » 2/« Crique sur les îles de Schoals » 3/ « Chez la fleuriste » 4/ « Celia Thaxter dans son jardin »  Frédéric Childe Hassam 1859-1935.

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Percevoir autre chose, s’attacher à le faire éclore…

BVJ – Plumes d’Anges.



9 commentaires sur “Autre chose…”

  1. nout dit :

    Magnifique et vrai! Il fait toujours beau chez toi chère Brigitte! 🙂

  2. Nathanaëlle dit :

    Coucou Brigitte,

    Quel joli choix que Childe Hassam pour illustrer ce texte, ces reflexions ô combien vraies, il y a en effet « autre chose » que le quotidien, autre chose que l’on peut trouver en soi… une soif qui est en soi. Un idéal, une beauté, un bonheur à contempler et à vivre que la nature peut nous offrir chaque jour, il suffit de se laisser aller à le chercher, et on le trouve. On ne peut vivre sans cet idéal intérieur, cet appel qui devient tout à fait réel lorqu’on le découvre enfin. Pardon de le dire, c’est peut-être prétentieux, mais je l’ai trouvé.
    Merci Brigitte,
    Mille Bisous
    Nath.

  3. Aifelle dit :

    J’aurais dû reconnaître plus tôt la plume de la délicieuse Jacqueline de Romilly, j’ai deux livres d’elle en attente et j’adorais l’entendre. Bon dimanche Brigitte (enfin ensoleillé chez moi)

  4. J’ai bien aimé lire ce texte et regarder ces jolis tableaux.
    Je pense très souvent à Jacqueline de Romilly, dont j’ai aimé les livres : elle vivait près de la Ste Victoire où je vais régulièrement et elle aimait, comme moi, y marcher.
    Bon dimanche.

  5. naline dit :

    Ce petit « autre chose » qui met de la lumière, de la joie et du bonheur dans nos journées… Souvent, ce sont des petites choses toutes simples; mais il faut ouvrir son coeur et on les repère plus facilement !

  6. Mathilde dit :

    Ah!! Comme j’ aime les tiroirs de la mémoire…C’ est vrai que parfois on égarée certaines clefs et puis un petit rien inexplicable nous fait retrouver l’ une ou l’ autre…Parfois c’ est délicieux…d’ autres fois c’ est plus difficile…
    Mais c’ est toujours avec le passé que s’ est construit le présent..:-))
    J’ aime beaucoup les tableaux d’ Hassam…de plus tu m’ as donné envie de lire J .de Romilly
    Joli Dimanche à toi

  7. Poussy dit :

    Brigitte, tu es un cadeau pour le monde.

    Je t’embrasse

  8. anne dit :

    Tu as convoqué à ta table de bons illustrateurs et Jacqueline de Romilly; le tout ne peut que produire un cocktail original et appréciable ô combien…………..

  9. céline dit :

    Cela sonne si vrai ! pourquoi l’oublie-t-on si vite ?

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