Chemin céleste…

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… » Le vieux peintre Wang-Fô et son disciple Ling erraient le long des routes du royaume de Han.

Ils avançaient lentement, car Wang-Fô s’arrêtait la nuit pour contempler les astres, le jour pour regarder les libellules. Ils étaient peu chargés, car Wang-Fô aimait l’image des choses, et non les choses elles-mêmes et nul objet au monde ne lui semblait digne d’être acquis, sauf des pinceaux, des pots de laques et d’encre de Chine, des rouleaux de soie et de papier de riz…Son disciple Ling, pliant sous le poids d’un sac plein d’esquisses, courbait respectueusement le dos comme s’il portait la voûte céleste, car ce sac, aux yeux de Ling, était rempli de montagnes sous la neige, de fleuves au printemps, et du visage de la lune d’été…

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… On disait que Wang-Fô avait le pouvoir de donner la vie à ses peintures par une dernière touche de couleur qu’il ajoutait à leurs yeux…

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… Tu m’as menti Wang-Fô, vieil imposteur…

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… Le seul empire sur lequel il vaille la peine de régner est celui où tu pénètres, vieux Wang, par le chemin des Mille Courbes et des Dix Mille Couleurs…

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Sans doute, au moment où tu peignais, assis dans une vallée solitaire, tu remarquas un oiseau qui passait, ou un enfant qui poursuivait cet oiseau. Et le bec de l’oiseau ou les joues de l’enfant t’ont fait oublier les paupières bleues des flots. Tu n’as pas terminé les franges du manteau de la mer, ni les cheveux d’algues des rochers…

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… Wang commença par teinter de rose le bout de l’aile d’un nuage posé sur une montagne. Puis il ajouta à la surface de la mer de petites rides qui ne faisaient que rendre plus profond le sentiment de sa sérénité. Le pavement de jade devenait singulièrement humide, mais Wang-Fô, absorbé par sa peinture, ne s’apercevait pas qu’il travaillait assis dans l’eau. Le frêle canot grossi sous les coups de pinceau du peintre occupait maintenant tout le premier plan du rouleau de soie. Le bruit cadencé des rames s’éleva soudain dans la distance, rapide et vif comme un battement d’aile…

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… Ces gens ne sont pas faits pour se perdre à l’intérieur d’une peinture… La mer est belle, le vent bon, les oiseaux marins font leur nid. Partons mon Maître, pour le pays au delà des flots…

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… Le sillage s’effaça de la surface déserte, et le peintre Wang-Fô et son disciple Ling disparurent à jamais sur cette mer de jade bleu que Wang-Fô venait d’inventer. « …

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Extraits de : « Comment Wang-Fô fut sauvé. »   Marguerite Yourcenar 1903 – 1987.

Illustrations : 1/ »Fauvette et bambou. »  2/ »Grenouilles dans un étang. »   Watanabe Shoteï 1851 – 1918.

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Être l’artiste, peintre de sa vie…

BVJ – Plumes d’Anges.

9 commentaires sur “Chemin céleste…”

  1. Dominique dit :

    J’aime beaucoup cette nouvelle, Yourcenar y est au meilleur de son art et tes illustrations sont superbes

  2. Anne dit :

    Merci de nosu donner l’illusion qu’on n’est pas totalement ignares !! Superbe ensemble: merci encore et toujours!

  3. Kenza dit :

    Très bel extrait et comme à ton habitude, magnifiquement illustré!
    J’aime particulièrement et je n’hésite pas a le redire…
    Bisous, bisous ma douce et très belle semaine

  4. Que de beaux mots et puis des réalisations superbes dans la boutique,
    Je découvre avec plaisir
    A bientôt
    Bises
    Marie

  5. Un livre que j’ai aimé, lu et relu, partagé et si joliment illustré ! bisous ma plume légère !

  6. Aifelle dit :

    Comment ai-je pu ignorer cette nouvelle de Marguerite Yourcenar jusqu’ici ? Régulièrement, je suis submergée par l’ampleur de mes lacunes, merci de m’aider à les combler !

  7. Merci Brigitte , que c’est beau .EB

  8. Nout dit :

    De belles pages par chez toi aussi…On dit que le monde qu’on voit est en adéquation avec ce qu’on est. Wang-fô et son disciple ont été sans doute engloutis par la vision grandiose du maître! 😉
    Merci pour Yourcenar!

  9. poussy dit :

    Incroyable concept que celui de pouvoir entrer dans une peinture qu’on rend ainsi vivante!
    Il a raison Wang-Fô, pourquoi ne croire que dans ce que nous voyons? On peut créer autre chose, à tout moment, étirer nos limites, et franchir des mondes…
    C’est fascinant, et incroyablement réconfortant! Et quelle beauté cette Poésie!

    Brigitte, je t’embrasse.

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