Natures vivantes…

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« … » C’est une coupelle ancienne, me disait-il. Observe sa ligne admirable. Il te faut apprendre à goûter cette forme d’art. Achète-la, tu vivras avec elle jusqu’à la fin de tes jours. Elle t’apportera la pureté que tu dois trouver dans ton esprit pour travailler. »

Une fois, comme j’avais fait la moue devant un bol, il a éclaté de rire :

« Tu n’y connais rien : c’est une céramique de l’époque Song d’une rare qualité. »

Il me désignait une poussière sur la surface :

« C’est la technique de la »poussière d’étoiles », elle suggère le cosmos. »

Il m’expliqua les résurgences des mythes chinois à travers les petits personnages figurant sur le côté, comment on reconnaissait l’époque à laquelle les céramiques avaient été fabriquées. Leur présence au monde, même menue et modeste, devenait source de pensée. Ce n’était pas la ressemblance illusoire avec le réel que l’objet représentait qui nous intéressait, mais sa présence vivante.

Le vieux Lan poursuivait :

« Tente d’éprouver la plénitude de leur être dans l’espace du silence. Ils sont pleins du vide qui les fait être. Nés du chaos de la matière en fusion, comme ils paraissent tranquilles pourtant… Perçois la réserve, la retenue avec lesquelles ils livrent leur histoire… Déchiffre-la, décris la relation qu’ils entretiennent avec le monde. Saisis l’intelligence pure de leur forme intérieure. Essaie de pénétrer l’univers organique de leur matière ; il apportera à ton œuvre une dimension cosmogonique. Tu dois percevoir au bout de ton pinceau le flux et le reflux de la matière qui leur a donné vie. N’oublie pas, mademoiselle Fa, la perfection de leur forme dans leur maladresse. Elle est connaissance pure. Elle a le pouvoir de nous restructurer intérieurement. Aucun mot ne saurait traduire la joie qu’elle procure. Dans la clarté d’une glaçure ou la brillance lumineuse d’une porcelaine, nos pensées troubles disparaissent sans laisser de traces.

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L’objet est reposant. Il possède réellement un pouvoir magique sur l’individu qui le contemple. Inconsciemment, inlassablement, peut-être recherchons-nous l’esprit originel. Tu dois savoir que ces objets de lettrés sont un ressourcement infini pour le peintre, le point de départ de toute méditation, de toute création. Tu en auras besoin autour de toi, dans ton atelier. Je ne parle pas, ici, de « natures mortes » comme vous dites en Occident, mais de « natures vivantes ». Comme nous, ces objets portent l’émouvante patine du temps. Ils sont gardiens de secrets.Ne crois pas qu’ils se livrent facilement ! Quel souffle mystérieux les anime ? Imagine ce que va nous raconter cette coupe en forme de feuille de lotus où le jade et l’ambre dansent sur un socle tortueux ; la glaçure légère d’une coupe sur pied des Ming ; les boîtes à thé aux odeurs de bois de camphre ; ce vase tripode à encens, gravé de veines de dragon ; ce pot en céladon dont l’embouchure représente l’Être suprême : cette coupe de verre mouchetée de signes des constellations ; ce bassin en grès dont la marbrure représente le feu de l’énergie vitale ; ce plat en forme de châtaigne d’eau ; ce bac à bulbes massif et raffiné des Tang ; ce bol noir, luisant comme la Voie lactée, destiné à mettre en relief la clarté du thé ; ce brûle-encens en bronze incrusté de « taches solaires » d’or ; ce vase-maillet d’une porcelaine rare, à glaçures unies « poudre de thé » ; cet assemblage de vases « sang-de-bœuf » ; ce bol lobé calorifuge en forme de fleur de lotus Song ; ces pots à alcool craquelés, mémoires vivantes d’une nature sèche. Ces objets sont pour moi des îles de repos où l’âme va, par instants, puiser quelques pensées cachées de sérénité. »…

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Extrait de  » Passagère du silence » 2003  Propos de Maître Lan Yusong – Fabienne Verdier.

Illustrations : 1/« Oreiller en grès à englobe blanc » – XIIème siècle – Dynastie Song 2/« Vase » (détail) – XVIIIème siècle – Dynastie Qing- période Kangxi 3/ « Bol à thé en grès gris à couverte brune et grise dite en écaille de tortue » – XII/XIIIème – Dynastie Song.

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Le souffle qui anime…

BVJ – Plumes d’Anges.

7 commentaires sur “Natures vivantes…”

  1. Anne dit :

    Tu dois le savoir, les anglo-saxons ne parlent pas de nature morte mais de « still life  » (encore en vie) et je trouve ça -pour une fois- beaucoup mieux.Merci pour ces trouvailles bien documentées!!

  2. Fabienne Verdier ! J’aime tellement ! Et ces objets en grès sont de toute beauté.
    Tu m’émerveilles !
    Bisous chère petite plume d’ange.

  3. j’admire beaucoup cette artiste voyageuse qui m’intrigue aussi, quel courage, quelle passion! et ce sens profond que donnent les esthètes chinois à chaque aspect d’une oeuvre est si étonnant, fascinant…

  4. Paminé dit :

    Mille mercis pour ces documents où vous nous faites découvrir tellement de choses !!! vos « posts » sont si enrichissants, continuez dans ce sens, on se « régale »! Bonne journée

  5. Kenza dit :

    Magnifique ce billet! Tu n’as pas besoin d’en dire plus pour me donner envie de lire ” Passagère du silence”, c’est vraiment très beau!
    Merci de tout coeur pour ton adorable commentaire, et très belle journée ma gentille Brigitte

  6. valdelia dit :

    Quel ravissement, ce billet !
    Le texte est magnifique, vraiment, et ta riche iconographie le sert à merveille.

    Depuis l’ombre où j’aime me retirer parfois, je ne manque aucun de tes sujets, que je savoure en silence, mais dans un bonheur sans nom.

    Une grande inspiration apaisante, voilà ce que je prends chez toi, et je t’en remercie infiniment, ma chère Brigitte.

    Mille bisous
    V.

  7. Bridget dit :

    J’avais beaucoup aiMé ce livre, j’y pense souvent!
    Tu me donnes envie de le relire.

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